[ Analyse ] Otan Delenda Est (L'Otan doit être détruite)
Utiliser l'Otan en Afghanistan fut une catastrophe. Etendre de facto l'Otan à l'Ukraine est une catastrophe. Etirons l'Otan à la région Asie-Pacifique pour confronter la Chine. Tout se passera bien.


Par Carthago Delenda Est - Carthage doit être détruite - finissait toujours ses discours, selon la légende, le sénateur romain Caton l’ancien durant les guerres puniques.
Les Américains (les Occidentaux en général) ne gagnent de guerre qu’au cinéma. Corée, pas gagnée. Vietnam, perdue. Somalie, perdue. Irak, perdue. Afghanistan, perdue. Syrie, perdue. Libye, perdue. Ukraine, perdue. Plus de trente interventions militaires de par le monde depuis la chute du Mur : toutes se sont terminées en eau de boudin. Les Américains ne sont capables somme toute que d’envahir avec succès la Grenade et le Panama.
A chaque fois que les USA ont voulu “apporter la démocratie”, les pays concernés ont fini en ruine. Amérique latine des années 1950 à 1980. Vietnam, Irak, Afghanistan, Syrie, Libye. Et maintenant Ukraine.
En Irak, les Américains ont détruit systématiquement toutes les infrastructures civiles, eau, assainissement, électricité, télécommunication (ce que les Russes n’ont pas fait en Ukraine). Mais ce n’est pas grave. Pour la “démocratie”, les populations peuvent vivre sans eau potable, sans énergie, sans service de santé, sans Etat... Un peu d’effort que diantre !
En 2006, incapables de faire face à l’insurrection résultant de leur invasion illégale donc criminelle du pays dirigé par Saddam Hussein, les Etats-Unis feignirent de donner le commandement des opérations en Afghanistan à l’Otan afin de dégager les moyens nécessaires à leur “surge”. Dans les faits, ils le conservèrent.
Cela donna la “International Security Assistance Force” (ISAF), force de plus de 350 000 hommes qui 14 ans durant a été tenue en échec par quelques dizaines de milliers de talibans en sandales équipés d’armes légères. Pour finir dans la débandade que fut le départ de l’armée américaine en 2021 et, on l’oublie trop souvent, de celles de l’Otan, Allemagne en tête.
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L’Otan est une bureaucratie. Qu’elle soit peuplée de gens en uniforme aux cheveux bien dégagés derrière les oreilles n’y change rien. L’Otan reste une bureaucratie, et il n’y a pas de pire bureaucratie que les bureaucraties militaires qui peuvent opérer sous le sceau du secret quasiment à leur guise. Ce n’est par exemple pas le cas du ministère de la défense français, qui est sujet au contrôle parlementaire, bien réel. Alors que l’assemblée parlementaire de l’Otan ne contrôle rien. L’Otan depuis la fin de la guerre froide se cherche continuellement une mission, manière de dissimuler qu’elle n’est que l’extension des intérêts américains en Europe.
Depuis l’intervention au Kosovo et en Serbie, ce qui était à l’origine une alliance strictement défensive n’a cessé de démontrer l’absurdité du monde unipolaire fantasmé par les Etats-Unis. Car, enfin, pourquoi donc nos amis d’outre-atlantique ont-ils systématiquement besoin de recourir depuis 20 ans à l’alliance atlantique pour exécuter des missions qui ne sont pas les siennes afin de protéger ou d’étendre leurs propres intérêts, qui ne sont pas les nôtres ?
La réponse est simple : les USA n’ont jamais dirigé le monde, ne dirigeront jamais le monde parce qu’ils n’en sont pas capables - personne ne l’est. Malgré leurs 625 bases militaires qui encerclent la planète. Malgré la mise en coupe réglée de l’Europe. La guerre en Ukraine en est l’ultime manifestation.
Après avoir été entraînée au même niveau que celles de l’Otan au rythme de plus de 10 000 hommes par an depuis 2014, après avoir reçu près de 100 milliards de dollars en 5 mois (soit deux fois plus que le budget annuel de défense russe) en assistance militaire et en armes, la redoutable armée ukrainienne équipée des dernières technologies, drivée par des conseillers essentiellement anglo-saxons et abreuvée de renseignements occidentaux, est taillée en pièce par une force d’invasion russe quatre fois inférieure en nombre.
Les buts de guerre russes étaient pourtant limpides dès le début. Il faut être un de ces fins stratèges de salon de l’Otan ou un général 2S de plateau de télévision pour être tombé dans le panneau de l’annexion totale de l’Ukraine et de la poussée russe initiale vers Kiev, maskirovka qui permit de fixer les renforts ukrainiens hors du Donbass, de protéger le flan Est du corps de bataille russe et de focaliser l’attention des Occidentaux sur Kiev.
Premier objectif. “Dénazifier” l’Ukraine, c’est à dire anéantir les groupes paramilitaires nazis et/ou ultranationalistes anti-russes utilisés par les USA et l’Otan pour arrimer par la force l’Ukraine à l’Occident contre la Russie. C’est chose faite depuis Kharkov et Marioupol.
Deuxième objectif. Neutraliser l’armée ukrainienne, massée sur des positions de départ fortifiées dans le Donbass, opération qui est actuellement dans sa phase finale. Les Russes ont le temps et le prennent. Les livraisons d’armes occidentales ne changeront rien à l’issue du conflit. L’Ukraine sera neutralisée.
Déjà, Evgueni Primakov, alors premier ministre de Boris Elstine, avait consigné par écrit que l’entrée de l’Ukraine dans l’Otan constituait une ligne rouge. Les vagues successives d’élargissement de l’Otan eurent lieu parce que les USA considéraient la Russie comme trop faible pour s’y opposer. Vladimir Poutine n’a eu cesse de répéter 20 ans durant qu’une entité anti-russe armée jusqu’aux dents aux frontières russes constituait un casus belli. Notamment lors du sommet de l’Otan de Bucarest de 2008 auquel il fut invité, sommet lors duquel fut décidé que la Géorgie et l’Ukraine deviendraient membres de l’Otan.
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Depuis l’arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche et le retour des néoconservateurs au pouvoir, l’attitude agressive des Américains et de leurs pantins ukrainiens a forcé la Russie a faire la démonstration de sa force réelle. Que tout à notre arrogance habituelle, nous avons gravement sous-estimée. Confronté à l’exigence russe légitime d’une nouvelle architecture de sécurité en Europe comprenant entre autres la non-intégration de l’Ukraine dans l’Otan et sa neutralité, le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken a répondu en décembre 2021 : “il n’y aura aucun changement”.
Sauf que la situation géostratégique a changé depuis le détricotage unilatéral du système de sécurité mutuelle par les USA commencé en 2000 sous la présidence de G.W. Bush (Traité ABM, traité sur les armes nucléaires à portée intermédiaire, START) et le coup d’État de Maidan en 2014, qui mena à l’annexion de la Crimée et à la guerre civile dans le Donbass.
La Russie a pris ses dispositions, notamment en développant des missiles hypersoniques passant au travers du bouclier anti-missile américain déployé en Europe de l’Est et en réformant à marche forcée ses armées, version russe en plus impressionnante de la “révolution dans les affaires militaires” américaine. Sans compter préparer son économie à des sanctions occidentales “massives” dont en 2014 nous lui avions donné un avant goût, préparation dont nous voyons la réelle efficacité. La Russie détient aujourd’hui la suprématie stratégique et n’est pas prête de la perdre. L’échec du dernier tir de prototype de missile hypersonique américain lui donne une bonne quinzaine d’années d’avance.
Grosse panique. Non seulement la Russie n’est pas vraiment faible, mais en plus elle fait ce qu’aucun pays de l’Otan, USA inclus, n’est capable de faire : gagner à la fois une guerre de haute intensité, une guerre économique globale et celle de l’opinion du reste du monde. Les “trains” de sanctions occidentales non seulement n’ont eu aucun effet sur le cours prévisible du conflit en Ukraine, non seulement sont en passe de détruire les économies européennes, mais ont également déclenché une crise énergétique, alimentaire et économique globale que le reste du monde n’est pas prêt de nous pardonner.
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Quant à la Chine désignée comme ennemi, l’administration Biden a vite abandonné son ton belliqueux et baissé son pantalon. Pour la troisième fois en quatre mois. Imaginez que General Motors n’a pas pu livrer 100 000 véhicules neufs au premier semestre 2022, pourtant commandés, par manque de semi-conducteurs fabriqués en Chine. L’intégralité des grandes entreprises américaines font le siège de la Maison Blanche en menaçant d’attaquer en justice l’Etat fédéral pour obtenir compensation des manques à gagner causés par les sanctions, comme le prévoit la loi. A l’exception des marchands d’armes, Corporate America est vent debout contre la catastrophe qu’est à tous points de vue l’administration Biden.
Outre être le premier fournisseur de l’Oncle Sam sans lequel l’économie américaine s’arrête, la Chine possède les plus grosses réserves de dollars au monde et est le premier détenteur de dette publique américaine. En clair, la Chine finance le train de vie des Américains depuis une bonne trentaine d’années. Ironie du sort, la Chine a dans les faits financé en grande partie toutes les guerres américaines depuis 2001, qui le furent exclusivement par la dette.
La Maison Blanche vient de supplier la Chine de tout faire pour maintenir les “chaînes industrielles et d'approvisionnement mondiales”, comme on peut le lire dans le déroulé ci-dessous.

Les Américains viennent donc de faire fi, trois jours après sa conclusion, du “cadre stratégique” qu’ils ont imposé lors du sommet de l’Otan à Madrid la semaine dernière et de lâcher en rase campagne une Union européenne croupion, au sein de laquelle il n’existe d’ailleurs pas de consensus quant à l’attitude à adopter vis à vis de la Chine, qui ne nous veut aucun mal.