[ Flux-reflux ] Le Rhône ne va pas perdre un Rhin
Le Rhône pas si à sec demain ? Les premiers résultats d’une vaste étude balaient le scénario d’un Rhône quasi-asséché à la fin du siècle.

« Le Rhône devrait perdre 30 % de son débit d'ici à 2050 ... (Libération - 2013). Le Rhône bientôt à sec ? (France 3 - 2017). Avec le changement climatique, le Rhône va-t-il s'assécher ? (Reporterre - 2018). « L'eau du Rhône va devenir rare » (Libération - 2020).
« A l’horizon 2050-2070, le débit moyen des principales rivières de France devrait diminuer d’au moins 10 à 40 % », soulignait l’Agence de l’eau en 2021. « Et le débit moyen du fleuve Rhône risque de subir une baisse de 40% d’ici à la fin du siècle ».
Sauf qu’aujourd’hui, rien n’est moins sûr. Certes, l’eau manque, les petits cours d’eau sont à sec et les nappes phréatiques se ratatinent. Le préfet de l’Isère a du reste placé les bassins versant de montagne du département en alerte sécheresse renforcée ce 7 juillet 2022. Mais le Rhône, à cheval entre le nord et le sud du pays, lui qui prend sa source au lac Léman pour finir dans la Méditerranée, pourrait ne pas être si secoué que cela par la hausse des températures.
Et ce qui a motivé le changement de régime du préfet de l’Isère illustre parfaitement le scénario qui est à l’œuvre aujourd’hui, et qui pourrait l’être pour les années qui viennent. Dans les territoires de montagne du sud du département, le peu de stock de neige et le manque de pluie vient se heurter à une fracture géographique et un nord plus arrosé.
En 2015 déjà, l’hydro-climatologue grenoblois, Thierry Lebel (à l’époque interviewé pour Place Gre’net), ne disait pas autre chose. « Le changement climatique dans les Alpes, si on parle de températures, de saisons et encore plus de précipitations, ne va pas être homogène. Dans la partie méditerranéenne, c’est là où l’on a le plus de certitudes sur les modifications à venir, c’est à dire des étés beaucoup plus secs, plus chauds et éventuellement des hivers légèrement plus pluvieux ».
« Quand on va remonter vers le nord, on est dans des zones où le signal est déjà un peu plus difficile à analyser. Il y aura une augmentation de températures, probablement plus fortes au printemps et en été que l’hiver. Dans les scénarios du futur, on trouve une saisonnalité assez forte. Si on parle de changement de température, de changement de précipitations, cela ne va pas être uniforme sur toute l’année. Et en particulier dans le cas des Alpes du Nord, la tendance que l’on pourrait détecter c’est un renforcement des précipitations en hiver et un assèchement en été ».
Une fracture géographique dont pourrait bénéficier le Rhône. Sept ans après, les premiers résultats d’une vaste étude initiée par l’Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse et réalisée par le bureau d’études BRLI, viennent apporter de l’eau à une situation pas si figée. Où il apparait que le Rhône, qui alimente tout à la fois agriculteurs, industriels et particuliers tout en refroidissant centrales nucléaires, ne serait certes pas à l’abri d’une hausse des températures – laquelle devrait s’accentuer – mais pourrait trouver un équilibre d’une augmentation des précipitations sur le bassin de la Saône. Le point avec Hélène Michaux, directrice du programme et des interventions à l’Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse.
L’Eclaireur - Une nouvelle étude a été lancée, qui semble fournir de premiers éléments venant contrecarrer le scénario, pessimiste, d’un assèchement du Rhône d’ici la fin du siècle….
Hélène Michaux - Il s’agit d’une étude qui vise à caractériser la vulnérabilité du Rhône aux effets du changement climatique. Une première phase, de diagnostic, a été réalisée. Nous allons poursuivre une deuxième phase cet automne pour essayer de mieux évaluer la criticité des usages qu’il y a autour du Rhône et de ses différents tronçons et affiner notre évaluation.
La dernière phase évaluera quelles sont les perspectives d’évolution sur le Rhône et si, globalement, le fleuve dans les années qui viennent, d’ici 2050, sera toujours en capacité de satisfaire les besoins actuels et éventuellement des besoins futurs, notamment à couvrir des projets qui viseraient à mobiliser la ressource en eau du Rhône pour substituer d’autres prélèvements sur d’autres affluents sans qu’il soit en situation lui même critique.
Il s’agit d’une étude à la fois retrospective et prospective, d’évolution de la ressource en eau du Rhône d’ici 2050 à partir des derniers scénarios du Giec publiés l’été dernier.
De manière rétrospective, les premiers éléments de l’étude confirment que l’on a bien à la fois une augmentation nette de la température de + 1,8 degré constatée ces soixante dernières années sur le bassin du Rhône, soit le Rhône et ses affluents, la Saône, la Drôme, l’Isère, l’Ain, la Durance, depuis son entrée en France à la sortie du lac Léman jusqu’à la mer Méditerranée. Sur le bassin du Rhône, les températures moyennes annuelles augmentent de 0,3 degré par décennie. On le savait, cela se confirme : on a un climat qui se réchauffe.
L’étude confirme que la température de l’air va continuer d’augmenter : elle devrait passer à + 0,5 degrés par décennie.
L’Eclaireur - Ces températures ont-elles un impact direct sur la ressource ? Si l’eau est un cycle, l’évaporation née de températures plus chaudes ne va-t-elle pas se retrouver sous forme de pluie ?
Hélène Michaux - Une augmentation de la température de l’air amène une augmentation de la température de l’eau. Donc cela peut avoir des effets sur les milieux aquatiques, entrainant un risque plus important d’eutrophisation de l’eau, des conséquences sur le refroidissement de nos centrales nucléaires. Et effectivement, cela entraine globalement une plus forte évapotranspiration de l’eau et donc d’une part une moindre recharge des nappes et un assèchement des sols qui font qu’ils sont moins en capacité de filtrer l’eau vers les nappes. Mais aussi, indirectement, une augmentation d’usages et notamment de l’irrigation agricole avec une augmentation des besoins des cultures du fait de cette évapotranspiration plus importante.
Et puis, ce que l’on constate aussi, c’est une diminution des précipitations sous forme neigeuse, liée à l’augmentation des températures et à l’évolution de l’isotherme zéro. Et ces précipitations sous forme neigeuse vont continuer de baisser. Ce qui entraine aussi une poursuite de la fonte des glaciers, qui est un phénomène déjà très largement à l’œuvre et qui va se poursuivre, pouvant conduire à leur disparition d’ici 2100. Sur notre bassin, on constate une avancée du pic de fonte. C’est désormais à la fin de l’hiver que les glaciers alimentent le débit du Rhône.
Et cette avancée se traduit par un moindre apport en période estivale. On constate ainsi une diminution des débits estivaux, à l’aval du Rhône, à Beaucaire, de 30 % si on compare deux période de 30 ans entre 1960 et 1990 et entre 1990 et 2020. Et ces débits estivaux vont continuer de baisser, pouvant aller jusqu’à 20 % sur le mois d’août d’ici 2050 par rapport à aujourd’hui 1.
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Mais, s’il y a des inquiétudes qui se confirment sur la période estivale, en revanche, globalement, cette étude montre que les débits annuels du Rhône devraient être stables en raison de possibles augmentations des précipitations pendant la période hivernale. Tout cela est à mettre au conditionnel car ce qui ressort de manière très forte de cette étude est que l’on a des modèles prospectifs sur l’évolution des précipitations qui sont très incertains, avec des résultats de modèles très différents.
Ce signal climatique qui concerne les précipitations nous amène à penser que l’on va avoir des phénomènes beaucoup plus imprévisibles et beaucoup plus extrêmes, fortes sécheresses et fortes pluies et inondations.
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On a vu l’été dernier avec des précipitations importantes sur le nord de la France. Ce sont des phénomènes nouveaux que l’on ne connaissait pas jusqu’à présent. Globalement, il pourrait y avoir sur l’hémisphère nord et le nord de la France des augmentations des précipitations en hiver. Et, sur le nord de notre bassin, l’augmentation des précipitations en hiver devrait globalement soutenir les débits moyens annuels.
On va alors se retrouver sur un bassin avec de forts contrastes entre des territoires au nord et autour de la Saône qui vont pouvoir peut-être bénéficier d’un apport de pluies plus conséquent en hiver, et un sud du bassin où la situation devrait être beaucoup plus critique avec des phénomènes de baisse des débits à l’étiage beaucoup plus prononcés sans apport en période hivernale.
L’Eclaireur - Sans équilibre possible, transfert de resources entre le nord et le sud de ce bassin ?
Hélène Michaux - Cela ne peut pas s’équilibrer. On peut via du stockage de l’eau en hiver réabonder des ressources en déséquilibre l’été mais ce sont davantage des phénomènes locaux, pas à l’échelle du Rhône.
Ce qui ressort, ce sont des contrastes forts géographiques et des contrastes forts du point de vue saisonnier. Ce que montre aussi les premiers résultats de cette étude est cette divergence en termes d’évolution entre la situation en hiver et la situation en été avec une criticité qui va s’accentuer l’été et, sur certains territoires, une situation plus favorable en hiver avec des précipitations plus abondantes.
L’Eclaireur - Comment les pratiques et usages vont-ils s’adapter ?
Hélène Michaux - C’est la suite de notre étude. Mais ces premiers résultats invitent en premier lieu à avoir des approches plus locales compte-tenu des contrastes entre les différents territoires. On voit la nécessité de conduire des diagnostics et des études prospectives à de échelles plus petites, au niveau de ce que l’on appelle les sous-bassins versants.
Ils nous invitent aussi à continuer tous les efforts en termes d’économie d’eau puisque les situations à l’étiage vont continuer de s’accentuer. Et c’est déjà à l’étiage aujourd’hui que l’on a les situations les plus compliquées. C’est là où nos ressources en eau, nos rivières sont le plus en tension et c’est aussi là où on a le plus fort besoin en eau, entre l’irrigation et la fréquentation touristique.
Cela nous invite à continuer les projets de territoire mis en place sur notre bassin, les plans de territoire de la gestion de l’eau (PTGE) qui organisent un partage de l’eau à l’étiage sur nos territoires qui sont en tension.
L’Eclaireur - Des associations de protection de l’environnement dénoncent des plans et une politique gouvernementale très axés sur l’irrigation avec on le voit des investissements conséquents en la matière…
Hélène Michaux - Ces plans d’actions (il y a 62 PTGE sur le bassin) ont permis de modéliser toutes les actions d’économie d’eau plus faciles. On a encore une marge de progression importante et on voit bien que plus la situation va évoluer sous l’effet du changement climatique, plus les solutions vont être complexes à mettre en œuvre.
Néanmoins, la critique de l’irrigation n’est pas juste. C’est très majoritairement le secteur agricole qui a fait le plus d’efforts en termes d’économie d’eau sur notre bassin. Sur l’ensemble de nos PTGE en cours, les actions d’économie d’eau représentent 80 % des actions, dont 70 % sont réalisées par le secteur agricole.
L’Eclaireur - Parce que ce secteur est celui qui a aussi le plus de marge de progrès, ou qui a pris conscience un peu plus tardivement ?
Hélène Michaux - Parce qu’il y a une prise de conscience. Parce qu’il y a des marges de progrès important, parce que l’irrigation agricole représente aussi des gros volumes de prélèvement à l’étiage et parce qu’aussi en termes de techniques, ce sont des rapports coûts/bénéfices très intéressants. Avec un moindre investissement sur les systèmes d’irrigation, on a des gains en termes d’économie d’eau qui sont très importants.
L’Eclaireur - D’autres solutions commencent à être mises en œuvre. Comme pomper dans des cours d’eau plus gros, l’Isère, le Rhône ou utiliser des techniques de réinfiltration/recharge de nappes phréatiques… Ce sont des solutions ?
Hélène Michaux - Ce sont des solutions. Il n’y a pas de dogmatisme de l’agence de l’eau. Notre Sdage (schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux, ndlr) qui a été réactualisé en début d’année reconnait que ce sont des solutions. Néanmoins, ce qui est important, c’est avant de mettre en place quelque solution que ce soit, qu’il y ait vraiment un diagnostic posé à l’échelle des bassins versant et entre tous les usagers concernés à l’aide d’une étude économique qui prenne en compte les coûts, les bénéfices attendus et l’entretien à venir de ces investissements. Une étude pour savoir aussi quelle est la situation des ressources en eau, quelle est la situation des prélèvements.
Et on recommande que la priorité soit donnée aux économies d’eau avant d’envisager des investissements qui sont toujours beaucoup plus coûteux.
Actuellement, différents modèles affichent avec des estimations différentes, qui restent donc à affiner dans la suite de l’étude.