[ Humeur ] Le climat pour les nuls
Faut-il s'en réjouir ou s'en inquiéter ? Sitôt élus, nos députés vont être pris en main, briefés sur le climat et la biodiversité. La réflexion en mode pré-mâchée.

En France, on n’abandonne pas les représentants du peuple en rase campagne. On les accompagne, on les forme, de leur entrée dans la vie politique à leur sortie et leur retour à la vraie vie. On leur fournit éléments de langage, guides et autres kits.
Souvenez-vous, en 2020. Pour ses têtes de liste aux élections municipales, La République en marche avait confectionné un guide du bon candidat, sobrement intitulé “Le petit livre rouge du candidat Lrem aux municipales”. A Grenoble, comme le révélait Place Gre’net à l’époque, la représentante de la majorité gouvernementale, l’actuelle députée de l’Isère candidate à sa réélection Emilie Chalas, avait en bon petit soldat décliné à sa façon l’initiative en se fendant d’un kit du parfait communicant distribué à ses colistiers. Le fascicule passait en revue, entre pense-bête et prêt-à-penser, les grandes lignes de la politique macroniste.
Après la campagne des municipales pour les nuls (ils n’ont visiblement pas osé pour ces législatives), le climat pour les béotiens ? Certes, le sujet est complexe. Mais il n’est pas nouveau. Pour qui veut s’informer, il n’est pas très difficile de s’y pencher. Il est du reste rappelé à longueur d’articles, d’études, de rapports et de sommets qui ne font en rien avancer le schmilblick. Les températures ont beau grimper, les objectifs de limitation de la hausse du mercure paraissent toujours aussi inatteignables.
C’est ainsi que les Conférences des parties (Cop) se suivent, et se ressemblent. La Cop 26 spécial climat, qui s’est tenue en 2021 à Glascow en Ecosse, n’a pas fait mieux que ses prédécesseurs. Elle pourrait même faire pire.
« La principale promesse sur laquelle s’étaient laissés les 196 pays à la fin de la dernière Conférence des Nations unies sur les changements climatiques était de “revoir et renforcer” leurs promesses de réduction des gaz à effet de serre. Six mois plus tard, on attend encore », souligne l’agence Science Presse.
Celle qu’on attend aussi, c’est la Cop 15 biodiversité. L’autre Cop, moins médiatiquement tapageuse mais ô combien plus cruciale. Après avoir été dûment reportée, officiellement pour cause de confinement, c’est la Chine qui désormais trainerait des pieds. Bref, à ce jour on ne sait toujours pas si le grand rendez-vous aura bien lieu à la fin de l’été… Ce qui donne une petite idée de l’empressement des parties à faire aboutir quoi que ces soit.
Fin de la parenthèse. La France, elle, se tient prête. Prête en tout cas à bien briefer ses représentants. C’est ainsi que sitôt élus, soit dès le 20 juin, nos députés vont être pris en main. Pendant trois jours, 25 scientifiques de renom nous apprend un communiqué, se mettent en quatre pour expliquer pourquoi le climat et la biodiversité partent en vrille, pourquoi surtout il est urgent d’agir, partout et tout de suite.
Une idée signée Matthieu Orphelin, futur ex-député écologiste et Christophe Cassou, climatologue au CNRS. Une première mondiale, s’enorgueillit le collectif.
« C’est la première fois qu’une session de formation est ainsi offerte aux nouveaux parlementaires. Ce bagage scientifique permettra de guider et irriguer l’ensemble des décisions des député-es lors de leur mandat et d’étoffer la mallette d’accueil. Celles et ceux qui participeront à ces formations recevront des documents synthétiques clés sur ces sujets ».
Le climat clé en main. Livré prêt à penser. Ce n’est pas la défense de telles causes qui nous plonge dans une certaine perplexité. D’autant que, parmi les scientifiques, certains, co-auteurs de rapports du Giec, apportent une vision aussi large que nuancée, permettant de tempérer les discours catastrophistes. Ré-écouter à ce titre Gerhard Krinner, climatologue basé à Grenoble, interviewé en 2015, à propos du réchauffement dans les Alpes. Et qui fait partie du groupe des 25 scientifiques justement.
« Dans les Alpes, le réchauffement va plus vite », soulignait-il à une de mes questions. « Après, c’est toujours la même question : est-ce de la variabilité inter-annuelle, décennale ou pas ? Effectivement, on a l’impression, et il y a des raisons physiques à cela, que dans les régions montagneuses, le réchauffement peut aller plus vite en altitude ».
Climatosceptique en vue ? A l’époque, la remarque m’était revenue aux oreilles. Confirmant qu’en la matière, toute parole un tant soit peu modérée, tout questionnement, ne sont pas toujours bons à entendre et à trop faire entendre surtout.
« Les causes du réchauffement sont dues à l’homme, c’est certain. Aucun scientifique sensé n’a de question là-dessus, continuait Gerhard Krinner. Par contre, le fait que les Alpes se réchauffent plus vite que d’autres régions, et que ce serait une tendance qui va forcément continuer, n’est pas si certain à mon avis… Ce peut être une question de variabilité naturelle. Plus on descend à la petite échelle, plus la variabilité devient importante. A un endroit donné, d’une année à l’autre, d’une décennie à l’autre, vous pouvez avoir une très grande variabilité. A l’échelle du globe, cette variabilité est déjà beaucoup plus faible. A l’échelle du globe, la température varie de 0,1 à 0,2 degré d’une année à l’autre. Si vous regardez là où vous habitez, la variabilité peut être beaucoup plus importante. C’est l’effet lissant de la grande échelle ».
Nos élus auraient-ils de coupables lacunes ? Et notablement celles de ne pas suffisamment potasser leurs sujets ? « Les premières expériences en commission développement durable à l’Assemblée et au Sénat en fin d’année dernière ont montré la nécessité d’élargir ce type de pédagogie à l’ensemble des décideurs, gouvernement compris », poursuit avec tact le collectif à l’origine de cette initiative.
Faut-il se réjouir ou s’inquiéter de cette prise en main ? De cette incapacité supposée qu’auraient les représentants du peuple à chercher et se renseigner par eux-mêmes ? On se rassurera (ou pas) en voyant que nos députés ne sont pas lâchés en rase campagne sitôt leur mission accomplie (ou pas).
Depuis cette année, un cabinet est chargé d’aider nos parlementaires à se réinsérer dans la vie active. En mars, on apprenait dans La Lettre A qu’Alixio mobilité, filiale du groupe de Raymond Sourbie, l’ex-conseiller social de Nicolas Sarkozy, avait été missionné pour aider à la reconversion professionnelle des députés en fin de mandat.