[ Poursuite-bâillon ] Le cas Eric Piolle c/ L'Eclaireur, suite
Réponse de Pascal Clérotte aux conclusions du conseil d'Eric Piolle, qui l'attaque en diffamation civile. D'intérêt public, nous la publions.
Tout comme nous avions publié le premier mémoire en défense parce qu’il était d’intérêt public, nous publions la réponse de Pascal Clérotte aux conclusions de Me Fourrey, l’avocat d’Eric Piolle.
L’audience du 1er juin a été renvoyée au 28 juillet, à la demande de l’avocat d’Eric Piolle.
Le mémoire en défense originel est à trouver ici.
L’article et le podcast incriminés sont ci-dessous :
Les conclusions de Me Fourrey montrent que cette procédure est bien une procédure bâillon, abusive et téméraire. C’est une procédure ad hominem, qui vise la personne de la défense et non pas son travail de journaliste. Il s’agit incontestablement d’une poursuite bâillon, qui vise d’abord à supprimer une analyse embarrassante pour la partie civile plutôt qu’à faire valoir son honneur et sa considération, auxquels la défense n’a en aucune manière attenté, puisqu’aucun fait non avéré ne lui a été imputé.
Si les propos de la défense sont diffamatoires et de la gravité avancée par la partie civile, alors elle aurait pu engager une procédure pénale en diffamation par citation directe ou par constitution de partie civile, sans risque pour elle mais bien plus contraignante pour la défense.
Pourquoi ne l’a t-elle pas fait ? La partie civile en avait pourtant tout le loisir, le constat d’huissier ayant été réalisé et l’assignation délivrée à la défense avant la prescription des faits.
La défense tient à déclarer que le second renvoi a été demandé par Me Fourrey, alors qu’il avait reçu son mémoire en défense le 23 mai, délai suffisant pour y répondre pour l’audience du 1er juin.
Il est étonnant que dans une affaire qui vise à faire supprimer un texte considéré comme diffamatoire, le Conseil de la partie civile ne fasse pas plus diligence. (…)
1 – De l’impérative nécessité d’assigner le directeur de la publication
Le Conseil de la partie civile écrit au point 1.2.3 de ses conclusions du 12 juillet 2022 : « Dans la présente procédure, la mesure la plus adaptée est évidemment d’ordonner la suppression des propos. Le fait que M. CLEROTTE ne soit pas le directeur de publication de ce site est sans incidence : il est le contributeur et est celui qui a mis en ligne l’article. Il a donc la faculté de le retirer. »
Plaise à la cour de constater qu’il s’agit là d’une argutie. Si la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique stipule que tout service de publication en ligne doit posséder un directeur de la publication, c’est pour préserver l’esprit et la lettre de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, et la jurisprudence, considérable, qui en découle.
L’édition et la presse numériques sont ainsi soumises au même corpus juridique que les médias « traditionnels ». En particulier, aux articles 42 et 43 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, qui établissent un mécanisme de responsabilité en cascade en matière de délits de presse où le responsable de premier rang est le directeur de publication.
Non seulement le Conseil de la partie civile ne démontre pas en droit que le fait que la défense ne soit pas le directeur de la publication n’a aucune incidence, mais il avance au surplus que la défense a publié elle-même l’article et le podcast incriminé, sans en apporter la preuve.
Gênant pour un auxiliaire de justice spécialisé en diffamation et droit de l’internet, qui méconnaît visiblement le droit de la presse, et passe outre ce principe fondamental constant : c’est le directeur de la publication qui décide ce qui est publié et qui en est en premier chef responsable.
Comme consigné dans le constat d’huissier contenu dans l’assignation en référé délivrée par la partie civile, la directrice de la publication de l’Eclaireur Rhône-Alpes est Mme Patricia Cerinsek, journaliste. C’est par conséquent à Mme Cerinsek à qui il faut enjoindre de supprimer les passages incriminés par la partie civile, non pas à la défense, M. Pascal Clérotte. C’est Mme Cerinsek qui en premier chef doit être poursuivie pour diffamation civile.
La cour peut ordonner à Pascal Clérotte le retrait de l’article. Cela n’aura aucun effet, puisqu’il n’a pas ce pouvoir. Il ne peut au surplus être condamné à une astreinte pour une action qu’il n’a pas l’autorité d’effectuer.
2 – Du hors-sujet en droit du Conseil de la partie civile.
L’argumentation du Conseil de la partie civile est fondée sur la nécessité du « sérieux de l'enquête » et du gage de la « fiabilité de l'enquête ».
L’article incriminé est, comme il est écrit en toutes lettres dans le titre, une analyse. Me Fourrey peut donc aisément arguer qu’il s’agit « du degré zéro de l’enquête journalistique », puisqu’il ne s’agit pas d’une enquête. Un chat est indéniablement le degré zéro du chien, puisqu’un chat n’est pas un chien.
L’analyse de Pascal Clérotte vise à démontrer sur la base de faits avérés que la justice a dysfonctionné dans le dossier de la fête de tuiles et dans celui du Crédit agricole.
La défense souhaite bon courage à quiconque tenterait de démontrer le contraire. Ayant elle-même dénichés, documentés et signalés ces deux affaires dès 2015 et 2016 (alors que la défense ne s’était pas encore lancée dans le journalisme) au parquet – qui n’a rien fait – et à la Chambre régionale des comptes – qui elle a visiblement saisi que la défense était sérieuse et ne lançait pas des fables en l’air – elle n’a jamais été entendue par un OPJ alors qu’une procédure judiciaire a été ouverte pour la Fête des tuiles et que l’affaire du Crédit agricole est suffisamment sérieuse pour qu’un fonctionnaire de police ou un militaire de la gendarmerie y consacre un peu de temps. (…)
On peut contester les conclusions de l’analyse de la défense, réalisée en toute bonne foi puisque les faits sur lesquels elle se fonde sont avérés et établis dans des documents qui suffisent amplement à la démonstration. « Il s'agit d'une déduction, voire d'un procès d'intention, dont la pertinence peut être librement débattue » et qui ne constitue pas diffamation (Cour d’appel de Paris, 29 juin 2022, Lévy contre Blast).
Il y a d’un côté les faits, et de l’autre tout le reste : l’analyse, l’interprétation, le commentaire, le questionnement. A partir du moment où les faits sont suffisants pour justifier l’analyse, l’interprétation, le commentaire et le questionnement, il ne saurait y avoir de diffamation.
L’analyse dont la défense est le rédacteur se fonde sur les délibérés de la Chambre régionale des comptes Auvergne Rhône-Alpes des 28 mai et 1er Juin 2018, sur un exploit de l’acte authentique de vente du siège du Crédit Agricole, et pour le contexte d’articles de presse jamais démentis.
Les délibérés de la Chambre régionale des comptes confèrent au rapport d’observation définitif concernant la commune de Grenoble l’autorité de la chose jugée, arrêtant la vérité quant à la gestion de cette collectivité. Ce rapport, résultat d’une longue procédure d’audit contradictoire durant laquelle la collectivité et son ordonnateur, la partie civile, ont eu l’occasion de se faire assister d’avocats comme c’est l’usage, consigne les réponses qu’ils ont produites à la Chambre.
Quant à l’acte authentique de vente, signé par la partie civile, deux notaires et pour ordre du président de la Caisse régionale du Crédit Agricole Sud Rhône-Alpes, il est le plus haut degré de la preuve en droit français.
Les articles de presse qui concernent tous la fête des tuiles, dont le contenu n’a jamais été démenti, s’ils ne constituent pas preuve, apportent des éléments de contexte importants qui vont au-delà du simple renseignement. La défense a vérifié leur contenu et est par ailleurs disposée à faire citer des témoins qui confirmeront sous serment la véracité de ce qui est consigné dans ces articles si la présente affaire devait finir au pénal.
Contrairement à ce qu’avance Me Fourrey, la défense a bien pris la peine d’enquêter et a pris attache avec M. Hakim Sabri, adjoint aux finances de la ville de Grenoble, dès le 18 janvier 2016. C’est la partie civile elle-même, Eric Piolle, maire de Grenoble, qui en réponse lui a transmis l’acte authentique de vente du siège du Crédit Agricole, accompagné d’une lettre à l’entête de la ville de Grenoble, portant la référence DGA/FAN/2016/501161 et signée par Eric Piolle, maire de Grenoble, comme l’établit la pièce n°2 du mémoire en défense.
Par ailleurs, la défense a bien naturellement contacté d’autres sources très proches de ce dossier afin de mieux sérier le contexte et les tenants et aboutissants du rachat du siège du siège Crédit agricole. Celles qui ont accepté de s’exprimer ont toutes requis l’anonymat et ont refusé d’être citées. Requêtes auxquelles la défense a accédé, question d’éthique journalistique. Il appert que le rapport de la Chambre régionale et des comptes et l’acte de vente suffisent amplement à la démonstration de la défense.
Le conseil de la partie civile avance au fond que la défense aurait du refaire l’audit de la Chambre régionale des comptes, ce qui est une deuxième argutie. Tout comme il pose que l’exploit de l’acte authentique de vente que lui a transmis la partie civile ne saurait éclairer le jugement de la Chambre régionale des comptes et démontrer une infraction – troisième argutie.
2 - De l’atteinte à l’honneur et à la considération
La mention de l’arrêt Cass. crim., 23 nov. 2004, n° 04-81.156 effectuée par le Conseil de la partie civile est dans ce contexte absconse. Outre le fait que la défense n’impute pas directement ou indirectement à la partie civile des faits non avérés, Il n’est pas constant qu’imputer la participation à des faits de nature délictueuse ou criminelle à une personne soit diffamatoire, puisque l’existence d’une base factuelle suffisante démontrant la bonne foi, exonère l’auteur de sa responsabilité (Ladj Ly contre Causeur et Valeurs Actuelles, 17e chambre correctionnelle de Paris, 13 avril 2022).
Quant à l’article 46 de la loi de 1881, il est contraire à la jurisprudence constante de la CEDH, qui lui est supérieure (CEDH 1er juillet 1997, Oberschlick c/ Autriche). Au civil comme au pénal.
3 - De l’inexistence de base factuelle suffisante affirmée par le Conseil de la partie civile
Plaise à la Cour de constater que les faits sur lesquels se fonde la défense sont consignés dans un jugement de la Cour des comptes et un acte authentique de vente, signé par la partie civile. Comme base factuelle suffisante, difficile de trouver mieux.
Quant au classement sans suite par le parquet de Grenoble de deux plaintes sur le rachat du siège du Crédit agricole, il ne préjuge en rien de l’absence d’infraction. Un classement n’a pas l’autorité de la chose jugée. Un dossier peut être rouvert à la discrétion de l’autorité de poursuite.
Le fait que M. le procureur de la République ait envoyé copie au maire de Grenoble de son courrier (pièces n° 9 et 10), notifiant le classement de leur plainte contre X à deux contribuables grenobloises, vient jeter une ombre sur la procédure. Pourquoi donc mettre en copie le maire de Grenoble à cette notification de classement sans suite d’une plainte qui ne le visait pas nommément ?
En outre, la défense n’a jamais affirmé que MM les procureurs de la République de Grenoble et Valence étaient « à la solde du pouvoir ». Elle s’est au contraire attachée à les exonérer en affirmant que la seule explication plausible était des instructions reçues. Les magistrats sont des fonctionnaires bénéficiant d’un statut particulier garanti constitutionnellement à fins de séparation des pouvoirs. Les procureurs de la République restent subordonnés au ministre la Justice auquel ils doivent rendre compte de l’activité de leur parquet.
L’actuel ministre est mis en examen par la Cour de justice de la République depuis un an pour prise illégale d’intérêt dans l’exercice de ses fonctions de garde des Sceaux pour être intervenu dans une affaire le concernant. Il est toujours en poste. Et l’on a pu constater ce qui s’est passé avec la dernière transparence … Amicus Plato sed major amicus veritas 1.
Le Conseil de la partie civile avance à raison que la Chambre régionale des comptes n’a pas écrit en toute lettre « dessous de table ». En revanche, dans la partie 8.5.2.4.3 « Le motif du rabais accordé » de son rapport, elle donne par deux fois en sept lignes la définition du dessous de table.
Me Fourrey signifierait-il que si la Chambre régionale des comptes avait écrit « animal domestique de la famille des canidés », comprendre et écrire « chien » serait diffamatoire ? Cinquième argutie.
Pour la démonstration de la réalité de ce qu’elle avance, la défense renvoie à son mémoire de défense originel, amplement documenté.
4 - Des insinuations de trouble à l’ordre public et des interrogations du Conseil de la partie civile sur la santé mentale de la défense
Me Fourrey écrit au 1.2.1 de ses conclusions « Il s’agit ici de propos tout simplement délirants, et d’affabulations dangereuses, alors qu’on constate depuis plusieurs mois une recrudescence des actes violents dirigés contre les élus locaux... »
Si l’on en croit le Conseil de la partie de civile, le fait de publier des informations et une analyse charpentée concernant deux affaires dont une pour laquelle la partie civile est poursuivie en correctionnelle, mettrait en danger sa sécurité physique. Sixième argutie.
La défense ne saurait être tenue responsable du niveau de popularité de M. Eric Piolle.
Quant à la nature affabulatrice et délirante des propos de la défense avancée par Me Fourrey, aucune expertise psychiatrique n’est versée au dossier, qui permet de l’affirmer.
La presse ne se préoccupe que deux choses avant publication :
La véracité des faits
L’intérêt public que présente leur publication
La défense tient à souligner que les arguments qui visent à faire condamner et supprimer des propos qui déplaisent et fondés sur des faits avérés au motif du statut de la partie civile, de trouble à l’ordre publique, d’atteinte à la démocratie et de l’état psychiatrique présumé de leur auteur, sont inacceptables dans le débat contradictoire qui doit prévaloir dans les affaires civiles.
Par ces motifs
- Constater que la procédure intentée par la partie civile est viciée puisque la défense n’est pas le directeur de la publication de L’Eclaireur et ne peut de son propre chef décider de supprimer les passages incriminés par la partie civile;
- Constater que Pascal Clérotte ne saurait être condamné à une astreinte pour une action qu’il n’a pas l’autorité d’effectuer;
- Constater que cette procédure vise la défense en tant que personne et non pas son travail de journaliste et qu’il s’agit d’une poursuite bâillon;
- Constater que les critères du débat d’intérêt général et de la base factuelle suffisante ont été établis de manière irréfutable et exonèrent la défense de sa responsabilité ; et
- Constater que la recommandation européenne relative aux poursuites-bâillon doit être appliquée ;
En conséquence, la défense demande à la Cour:
- De débouter Eric Piolle de l’ensemble de ses requêtes;
- D’ordonner la condamnation d’Eric Piolle aux dépens ;
- De condamner Eric Piolle à payer 3 000 euros – trois mille euros – à Pascal Clérotte à titre de dommages et intérêts pour poursuite abusive, téméraire et poursuite-baîllon.
La défense sollicite respectueusement de la Cour et de tout fonctionnaire de justice ayant eu connaissance de ce mémoire en défense et de son addendum, le signalement à M. le procureur, chef du parquet national financier, en vertu de l’article 40 du code de procédure pénale, des faits concernant le rachat du siège du Crédit Agricole, qui constituent des infractions pénales.
“Platon m’est cher, mais la vérité m’est encore plus chère” - Aristote.