[ Santé ] Décriée, la T2A pousse la porte de la psychiatrie
Décriée, la tarification à l'activité des hôpitaux et cliniques fait son entrée, quoique modulée, en psychiatrie. Laissant entière la question, centrale, de la hauteur du financement.

Vous avez aimé la T2A ? Le financement des établissements de santé via la tarification à l’activité, passablement décrié jusqu’à être remis en question et notamment dans le dernier rapport de la commission d’enquête sénatoriale, s’applique depuis janvier 2022 à la psychiatrie. Dans une version quelque peu modifiée, améliorée affirment les pouvoirs publics.
Un dispositif innovant, censé être plus juste, découpé en compartiments qui lui vaut son appellation en coulisses de T2C.
L’intention était louable : l’ancien système d’une dotation annuelle de financement, globale donc, était notoirement insuffisant, n’augmentait pas au même rythme que les besoins et n’était également plus adapté à la psychiatrie et ses multiples prises en charge.
Le nouveau dispositif, entériné par l’article 34 de la loi de financement de la sécurité sociale 2020, découpe donc le financement en huit compartiments.
Au risque de retomber dans les mêmes travers que la T2A, entraînant les établissements dans une course à la rentabilité sans régler le problème de fond : le sous-financement désormais chronique des établissements publics psychiatriques et l’absence de vision à long terme ?
Ré-écouter à ce titre le discours du Dr Hartemann, chef du service diabétologie à la Pitié-Salpêtrière :
Quinze ans après la médecine, la chirurgie et l’obstétrique, la psychiatrie s’apprête à suivre peu ou prou le même chemin. Mêmes maux, mêmes remèdes ?
« Sur les dix dernières années, le financement des établissements publics de psychiatrie a évolué deux fois moins rapidement que l’Ondam 1 hospitalier global et quatre fois moins vite que le financement des établissements de psychiatrie privés lucratifs dont le taux de rentabilité apparaît près de huit fois supérieur à celui des cliniques relevant de la médecine, chirurgie et obstétrique (la médecine dite conventionnelle, ndlr) », dénonçaient en mai 2021 dix organisations représentant la psychiatrie publique dans une lettre ouverte à Jean Castex.
C’est pas gagné. Avant d’être premier ministre, Jean Castex était directeur de l’Hospitalisation et de l’Offre de Soins au ministère de la Santé. Et a notamment participé à l’introduction de la notion d’objectifs et de rentabilité dans l’hôpital dans le cadre du plan Hôpital 2007. C’est aussi lui qui a introduit la T2A.
A ses cotés, comme directeur de cabinet, on retrouve Nicolas Revel. Nicolas Revel fut directeur de la Caisse nationale de l'assurance maladie de 2014 à 2020 et… grand défenseur des politiques d’austérité.
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Dans leur lettre ouverte, les organisations professionnelles réclamaient notamment une mise à niveau préalable des établissements psychiatriques avec un financement rehaussé de 5 %. Elles n’ont pas été entendues.
Elles réclamaient également une évolution du financement de la psychiatrie au moins égale au niveau de l’Ondam pour les années à venir. Demande également refusée. A la place ? Un moratoire jusqu’en 2025.
« Les montants de financement de chaque centre hospitalier seront préservés jusque-là, les budgets annuels ne pouvant être inférieurs aux budgets de l’année précédente », explique Jean-Pierre Benoit, pédopsychiatre au centre hospitalier de Saint Denis. « Certains se verront perdants et tenteront de modifier leurs prises en charge en se délestant des soins les moins rentables ».
Bref, la T2C comme la T2A est bien partie pour réorganiser le financement, mais à moyens constants. Et rien ne dit que le nouveau dispositif avec ses huit dotations/compartiments ne verse pas dans les mêmes travers que la T2A.
Car parmi ces compartiments, il y a la “file active”, une dotation qui représente 15 % du financement, la deuxième plus importante. La file active, c’est le nombre de patients vus au moins une fois dans l’année. Un encouragement à faire du chiffre quand bien même cette dotation prend en compte le nombre de patients mais aussi le nombre de journées ou d’actes réalisés, le financement étant d’autant plus important que la file active est élevée ?
Pour Mathieu Bellahsen, ancien chef de pôle à l'unité d'Asnières de l’hôpital Roger-Prévot-de-Moisselles, cette dotation n’est rien d’autre que le ver dans la pomme. « Plus vous voyez de personnes dans l’année mieux c’est, donc mieux vaut voir 1 fois 1000 personnes que 10 fois 100 personnes », tance le psychiatre.
Risque d’un un rabot des prises en charge au long cours
D’autant plus tentant que des tarifs dégressifs peuvent désormais être appliqués en hospitalisation comme en ambulatoire. Difficile de ne pas y voir un encouragement à raccourcir les durées de traitement…
« La maladie mentale est pourtant connue pour sa chronicité, et les troubles développementaux qui nécessitent des prises en charge pluridisciplinaires prolongées sont fréquents, aujourd’hui plus qu’hier, pointe Jean-Pierre Benoit. Cette évolution est observée cliniquement quotidiennement. Elle a été rapportée dans le rapport qu’a consacré l’Igas aux CMP, CAMSP et CMPP. Ces effets risquent d’entraîner un rabot des prises en charge au long cours et feront préférer les thérapies brèves aux traitements de fond, les rencontres diagnostiques sans lendemain aux suivis intensifs et prolongés ».
Cette dotation à l’activité, certes mineure par rapport à la T2A, va-t-elle être contre-balancée par la dotation populationnelle qui représente 80 % de la note ? 2. Ce n’est pas gagné non plus. Car cette dotation est fixée sur la base de critères pondérés et révisés tous les 5 ans, comme la population, le taux de pauvreté, l’offre de soin existante, etc. A première vue, l’intention est louable là aussi puisqu’il s’agit de s’assurer de l’équité entre les régions et de garantir le rattrapage des régions les moins bien dotées. Ce système, c’est du reste ce que recommande la commission d’enquête sénatoriale pour réviser la T2A.
La pomme empoisonnée ? « Dans ce compartiment géo-populationnel, le financement pour le public diminue d’autant qu’il existe une offre privée lucrative et non lucrative sur le territoire », fait remarquer Mathieu Bellahsen.
« Plutôt que de tout rééquilibrer à la hausse puisque “ la psychiatrie est le parent pauvre de la médecine”, comme on le dit dans les médias, et la pédo-psychiatrie son enfant oublié, eh bien que nenni, tout le monde devra être mis au pas de la nouvelle psychiatrie plateformisée, celle qui se marie si bien avec les réformes néolibérales. Et sans surprise, les grands gagnants sont ceux qui ont un modèle de soin congruent au modèle néolibéral, à savoir les centres hospitalo-universitaires (CHU) qui, en psychiatrie, s’adonnent aux centres experts et à la promotion de telles plateformes privatisées pour la mise en place de soins. Et donc, encore une promotion pour FondaMental et l’institut Montaigne dans ce grand bond en avant qu’est celui de la destruction d’un service public de proximité, accessible, accueillant tout le monde quelque soit son diagnostic, sa sévérité et son niveau de ressources sociales ».
Au risque aussi que ce déséquilibre ne se répercute plus bas, entre départements d’une même région, plus ou moins dotés. Entre communes, ou arrondissements. « Les données géo-populationnelles ne sont pas très précises », convient Christophe Libert, le président de l’association des psychiatres de secteur infanto-juvénile (API). « Les besoins ne sont par exemple pas les mêmes dans le 16e ou le 19e arrondissement de Paris ».
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En attendant, une question reste centrale : ce nouveau mode de financement peut-il, si ce n’est sauver, du moins éviter que la psychiatrie publique ne s’enfonce un peu plus ?
Le 16 février dernier, la Cour des comptes soulignait dans son rapport « l’absence de priorité politique donnée à ce secteur pendant de nombreuses années ». Mais aussi la faiblesse des ressources allouées au secteur public, qui « a conduit les ARS à se retourner vers les cliniques privées pour augmenter l’offre de soins ».
« Que ce soit la T2A ou une enveloppe, ils ne donneront pas plus », se désole Michel Soulié, délégué CGT et infirmier psychiatrique en Isère. « Quelles que soient les clés de répartition, depuis 1996, le montant est décidé à l’avance. La forme du financement est un faux débat. La question, c’est la hauteur du financement ».
Alors que le coût de la santé augmente chaque année en moyenne de 5 %, l’Ondam lui plafonne entre 2 - 2,5 %.
L'Objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) est un objectif de dépenses à ne pas dépasser en matière de soins de ville et d'hospitalisation dispensés dans les établissements privés ou publics, mais aussi dans les centres médico-sociaux. Il est fixé chaque année par la loi de financement de la Sécurité sociale, votée par le parlement. En 2022, il est de 2,6 % (hoirs Ségur), en baisse de 1 % pour la première fois de son histoire.
Les 5 % restants se répartissent entre activités spécifiques, qualité des soins, structuration de la recherche, nouvelles activités, qualité du codage et accompagnement à la transformation.