[ Urgences ] Mission flash : l'hôpital comme au loto
Enième rapport commandité sur la situation des urgences en France alors que 120 services sont au bord de la rupture. Deux mois après le dernier rapport, sénatorial, sur le sujet.

A ce stade, on ne sait plus s’il faut en rire ou en pleurer. Les urgences, point de rupture le plus visible de l’agonie de l’hôpital, débordent puis s’effondrent dans tout le pays (120 services ont été recensées), mais on continue de discutailler. Vite fait.
On a hâte de voir sur quoi la mission flash annoncée par Emmanuel Macron va déboucher, vu que depuis six ans, et même avant, et alors que l’hémorragie de soignants menace à tout moment de provoquer des drames, Emmanuel Macron et ses gouvernement successifs se sont contenté d’un seul geste: une prime de 180 euros. La solution par l’aumône, c’est se foutre de l’hôpital par la charité. Rétintégrer les soignant non-vaccinés ? Que nenni ! Emmanuel Macron s’y refuse alors qu’il est établi scientifiquement que les vaccins disponibles n’arrêtent en aucun cas l’infection.
On se consolera en se disant qu’on a échappé au numéro vert, à la plateforme internet et au job dating, comme avec les enseignants, dont on devrait mesurer dès la rentrée prochaine toute l’efficacité à la faveur du retour des mathématiques dans le tronc commun - en option. Rien à dire, notre gouvernement, qui tente d’éteindre “dans le même temps” tous les incendies qu’il a lui-même allumés, a le sens des réalités.
Du reste, la nouvelle ministre de la Santé, Brigitte Bourguigon, à qui il n’est pas revenu d’annoncer la mission flash (ce doit être une prérogative présidentielle) et qui semble résignée à jouer les lampistes, a annoncé lancer une… concertation (énième cela va de soi) avec les soignants.
« Nous avons pris conscience de cette crise dès maintenant, s’est-elle écriée. Le président de la République fait de la santé le chantier prioritaire ». Bon. Bien. Il n’aura échappé à personne qu’il y a même pas deux mois, une mission d’enquête parlementaire s’est penchée sur le sujet. Elle en a même fait un rapport et a dégagé des pistes1, résultats de plusieurs dizaines d’auditions.
Forcément, ses auteurs se sont étranglés. « Nul besoin d'une nouvelle enquête, le diagnostic est très simple : c'est le même depuis des années ! L'hôpital a prioritairement besoin de moyens », s’est insurgée par voie de communiqué de presse Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales et rapporteur de la commission d’enquête du Sénat sur l’hôpital.
« Les constats, nous les connaissons et nous avons rendu fin mars le rapport de la commission d’enquête sur l’hôpital après quatre mois de travaux. Que va nous apprendre une nouvelle mission ? Que l’hôpital manque d’infirmiers, de manipulateurs radio, de kinés ? Nous le savons. Que la médecine de ville doit être rapidement mobilisée pour soulager l’hôpital ? Nous l’avons recommandé. Que le gouvernement utilise nos travaux, ce sera du temps gagné pour l’hôpital ! ».
Le gouvernement tiendrait-il pour anecdotique le travail des parlementaires ? On n’ose l’imaginer. Au Sénat, le retour ne s’est pas fait attendre. Le 7 juin, en même temps que la CGT appelle à la mobilisation nationale, la commission des affaires sociales entendra lors d’une audition publique le Dr François Braun, président de Samu-Urgences de France… et chargé par Emmanuel Macron de la mission flash. De l’art de se marcher sur les pieds. Il ne faudrait pas oublier que nous sommes à quinze jours du premier tour des législatives…
Bref, le constat, tout le monde le fait, tout le monde le connait, et ce depuis plus de dix ans. Et tout le monde s’accorde dessus. Mais en attendant que s’amorce le début de l’entame du projet de brouillon préliminaire d’une vraie solution, c’est le système D qui prévaut. A Grenoble, la clinique mutualiste dont le rachat par le groupe Doctegestio-Avec est passablement contesté, n’hésite plus. Pour recruter, et notamment des infirmiers de nuit, elle débauche. Et promet 6 000 € à toute signature d’un contrat en CDI jusqu’au 18 juin, et des salaires supérieurs jusqu’à 30 % par rapport aux autres établissements du territoire.
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On saluera au passage la capacité du gouvernement à potentiellement dresser les établissements hospitaliers les uns contre les autres alors qu’ils avaient fait montre de solidarité durant la crise sanitaire… Au CHU Grenoble Alpes comme ailleurs, le personnel fuit. A Grenoble, 14 urgentistes ont claqué la porte quand l’hôpital de Voiron (qui dépend du CHU), contraint de fermer ses urgences chaque week-end la nuit depuis des mois, passe le relais à Bourgoin-Jallieu. Lequel ne devrait pas tarder à craquer à son tour. De l’effet domino…
D’autant que, derrière, ça congestionne. D’autres établissements se voient dans l’obligation de faire appel aux urgences. De plus en plus. Comme les hôpitaux psychiatriques qui ont vu, confinement aidant, la santé mentale des enfants et adolescents se dégrader. Et encore maintenant alors que les cas d’anorexie mentale et de boulimie, qui se multiplient, inquiètent sacrément les professionnels.
Des mois que les organisations professionnelles et syndicales appellent là aussi à un plan d’urgence et une loi-cadre. Un député, Matthieu Lorphelin, a annoncé s’y atteler mais en attendant, la situation s’aggrave.
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Le Défenseur des droits, qui en novembre 2021 avait souligné la gravité de la situation dans son rapport annuel – rapport appuyé quelques semaine plus tard par les chiffres alarmants de Santé Publique France – s’est rappelé au bon souvenir du gouvernement ce 1er juin.
« L’arrivée des enfants dans les structures pédopsychiatriques hospitalières pour tentatives de suicides est un moment décisif pour leur prise en charge, pointe Claire Hédon. Bien souvent, il met en lumière des défaillances des systèmes d’écoute et de recueil de la parole de l’enfant et de l’ensemble des actions de prévention qui auraient dû être mises en place pour protéger l’enfant en souffrance. Pourtant, certaines structures continuent de fermer des lits en pédopsychiatrie par manque de personnels et de moyens ».
La mission flash dans tout ça ? François Braun a un mois pour la boucler. Elle prévoit de prendre la mesure du problème territoire par territoire. Manière de noyer les responsabilités ? Voire de botter en touche ? Pour Jean-François Cibien, vice-président de Samu urgences de France, Emmanuel Macron joue la montre. Comme toujours depuis 5 ans. Beaucoup de palabre, pas d’action.
« On a déjà attendu très longtemps la nomination du gouvernement alors qu’il y avait une urgence sanitaire avec une insécurité galopante. Une semaine après la nomination du ministre, on nous annonce qu’il va y avoir des réunions, soulignait le 2 juin l’urgentiste dans Libération et sur Sud Radio. On attend toujours d’être convoqué. On est en train de jouer à qui perd-gagne. Mais à ce jeu, ce sont souvent des morts à venir ».
Le rapport préconise notamment une meilleure coordination de la permanence des soins en ville pour soulager les entrées à l’hôpital mais aussi revaloriser les gardes de nuit ou de week-end et soulager les services d’urgence par un rétablissement des capacités en aval. Ces réouvertures de lits ne peuvent passer que par des plans d’urgence de recrutements d’infirmiers sur des contrats longs et une fidélisation des soignants en poste, soulignent ses auteurs.