A L'Alpe d'Huez, les drôles de faveurs de monsieur le maire
Jugé pour favoritisme, le maire d'Huez Jean-Yves Noyrey, qui risque deux ans d'inéligibilité, a aussi beaucoup œuvré du côté des Deux-Alpes.

Le 14 octobre, le parquet de Grenoble a requis deux ans d’inéligibilité contre le maire de L’Alpe d’Huez. Jean-Yves Noyrey est accusé d’avoir favorisé la société Laquet Tennis dans l’attribution d’un marché, celui de l’Île aux loisirs. Si la décision a été mise en délibéré au 9 décembre, cette affaire résonne étrangement dans le massif.
Dans l’Oisans, on parle volontiers de “système Noyrey” tant l’homme s’est imposé dans le paysage, à tort ou à raison. Jean-Yves Noyrey n’est pas seulement le maire d’une des stations phare de l’Isère. Il a aussi un pied dans l’Ecole de ski français (ESF) et au syndicat national des moniteurs de ski français (SNMSF). Il est conseiller régional et a l’oreille de l’exécutif régional, et notamment de Gilles Chabert, le monsieur ski de Laurent Wauquiez. Il est surtout le président de la Sata, la société d’aménagement touristique de L’Alpe d’Huez et des Grandes rousses. Le numéro 2 de la gestion des domaines skiables en France, qui se verrait bien plus gros que le bœuf – la Compagnie des Alpes, le numéro 1 – mais sans en avoir les moyens.
A la Sata, il a la main haute. Certes rien ne l’y oblige mais aucun élu de l’opposition ne siège au conseil d’administration de la société. Quand en 2015, deux élus de sa majorité posent un regard divergent, voire critique, sur des décisions afférent à la Sata, ils se voient retirer leurs délégations. Le prix à payer, aux dires de Jean-Yves Noyrey, pour faire avancer le dossier.
Quand il s’agit de désigner un représentant de la collectivité à une assemblée générale extraordinaire de la Sata, comme en 2019, le nom de Jean-Yves Noyerey s’impose de lui même. En 2022, la chambre régionale des comptes soulignait la forte représentation de la commune d’Huez – elle détient 9 sièges sur 18, au prorata de sa participation au capital de la Sata, les autres collectivités ne disposant que d’un siège au sein d’une assemblée spéciale.
Omnipotent, Jean-Yves Noyrey. Incontournable la Sata ? La Sata gère aujourd’hui le domaine skiable de L’Alpe d’Huez mais aussi de La Grave, d’Oz-en-Oisans, de Vaujany. Elle a en 2020 remporté le marché de l’exploitation des remontées mécaniques des Deux-Alpes qu’elle ambitionnait de raccrocher à L’Alpe d’Huez moyennant une liaison, histoire de damer le pion aux plus grands domaines skiables d’Europe. Liaison qui n’est plus qu’un doux rêve.
Dans cet objectif, décrocher le marché de la gestion des Deux Alpes était donc capital. Et d’autant plus “facile” que le gestionnaire jusqu’en 2020, Deux Alpes Loisirs, filiale de La Compagnie des Alpes, ne donnait pas complètement satisfaction.
Comme pour l’Île aux loisirs à L’Alpe d’Huez, où Jean-Yves Noyrey est accusé d’avoir transmis avant le lancement de l’appel d’offres les plans de travaux de l’Île aux loisirs au futur bénéficiaire du marché, le contrat de délégation de la gestion des remontées mécaniques des Deux Alpes n’aurait pas non plus suivi la procédure. D’après nos informations, des pièces ont là aussi été transmises en amont de l’appel d’offre à celui qui s’avèrera être le bénéficiaire du marché, en toute irrégularité. Des éléments en notre possession, initialement publiés sur le média grenoblois Place Gre’net, montrent que des échanges et des rencontres informels ont précédé l’appel d’offre, ce qui est rigoureusement interdit à ce stade de l’appel d’offres.
Le cahier des charges s’est-il opportunément retrouvé entre les mains de la Sata ? écrivions-nous en 2021. Il a visiblement bel et bien circulé au-delà du cercle restreint des donneurs d’ordre. Avec quelles conséquences ? Toujours est-il que la Sata a répondu quasiment point par point au cahier des charges rédigé par la commune des Deux-Alpes. Et que le marché lui a été attribué.
“Dans le cahier des charges, la Sata avait proposé tout ce qu’on voulait”, affirmait en décembre 2020 Laurence Chopard, alors élue de l’opposition et membre de la commission d’appel d’offres aux Deux-Alpes.
La Sata a-t-elle été favorisée au détriment de la Compagnie des Alpes ? C’est à cette question que doit répondre l’enquête ouverte en 2020 par le parquet de Grenoble.
Depuis, le dossier a fait boule de neige. Aux avaries techniques sur le 3S (des pylônes pas conformes) a suivi son difficile financement, lequel a nécessité de s’en remettre à la bienveillance communale. L’Eclaireur vous avait relaté en novembre 2023 comment la commune des Deux-Alpes et son maire Stéphane Sauvebois, en poste lors de l’attribution du marché à la Sata et lui aussi au cœur du dossier, avait volé au secours de son délégataire en se portant garant du financement du 3S. Une nouvelle irrégularité puisque le délégataire doit assumer seul les risques de l’exploitation.
Les drôles de comptes du numéro 2 des domaines skiables en France
Aux Deux-Alpes, les travaux du téléphérique 3S suivent leurs cours. Un chantier colossal, “l'un des plus conséquents de l'arc alpin européen”, colonne vertébrale d’une station désormais exploitée par la Sata, la société d’aménagement touristique de L’Alpe d’Huez et des Grandes Rousses, le numéro 2 des domaines skiables en France. Un chantier hors-normes pour un dossier… hors-normes ?
De fait, la facture du 3S a doublé. Estimée initialement à 68 millions d’euros, elle est passée à 135 millions d’euros. Classique ? Pas vraiment. “Il y a une sous-évaluation de l’investissement sur le 3S”, soulignait à l’époque Antoine Pirio, le directeur de Deux Alpes Loisirs – le candidat écarté au profit de la Sata – contacté en 2020 pour Place Gre’net. “On a fait faire trois devis, tous peu ou prou à 5 millions d’euros près. On a retenu le moins disant”. Deux Alpes Loisirs avait estimé le coût de l’appareil à 89 millions d’euros.
C’est peu dire que le 3S est la clé des Deux Alpes. Car il est vraisemblablement l’élément qui a joué dans l’attribution du contrat à la Sata. Au risque de planter les finances de la commune. Depuis, rien ne va plus. Aux Deux-Alpes, les signalements et plaintes à la gendarmerie et au parquet se succèdent. Les procédures se multiplient. Les frasques aussi, sans que cela fasse beaucoup bouger le préfet.
Les dernières élections municipales, en mai 2023, avait vu un candidat, l’ex-maire de Meylan Jean-Philippe Blanc, se retirer de la course, se sentant menacé. En avril dernier, des caméras-espions avaient été retrouvées dans plusieurs bureaux de la mairie, faisant planer un climat délétère sur fond de pressions immobilières. Saisi, le parquet a finalement classé l’affaire.
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