[Actifs russes] Affaire Alstom le retour ?
Utiliser les actifs russes pour financer l'Ukraine, une nouvelle affaire Alstom en pire, la France étant l'actionnaire de référence d'Euroclear, qui détient ces actifs?
Bart de Wever, ancien maire d’Anvers et actuel premier ministre belge, un nationaliste flamand, est à peu près le seul adulte en Europe en ce qui concerne les actifs russes. ”Derrière mon dos, ce qui se passe, c’est de mon cul” avait-il fameusement déclaré en 2011 lors d’obscures négociations gouvernementales, que même outre-Quiévrain on peine à saisir. Il reste - il faut le lui rendre - fidèle à sa devise qui consiste à ne pas “se la faire mettre”. Ni par devant, ni par derrière.
Si nous eussions cru qu’un jour nous en serions arrivés à féliciter Bart de Vlaming et à nous réjouir que la Belgique, pays du compromis (nous restons polis), dise non à la folie consistant à utiliser les actifs souverains de la Banque nationale de la Fédération de Russie pour aller encore irriguer l’Ukraine, nous aurions acheté vingt-cinq ans de production de sirop de Liège sans sourciller - et pas en stoemelings!
L’UE, monstre bureaucratique qui ne sait que menacer, vient chercher des poux dans la tête de la Belgique au motif que - accrochez-vous - Euroclear étant une société commerciale de droit belge soumise à l’impôt sur les sociétés, elle tirerait des recettes fiscales pour avoir mis en œuvre les sanctions imposées par l’Union européenne. La rumeur selon laquelle la Belgique encaisserait 25% d’impôts sur l’ensemble des intérêts est fausse: Clearstream n’est pas propriétaire des titres qu’elle détient au nom de ses clients, des institutions et opérateurs financiers. Les plus-values et intérêts qu’ils dégagent sont intégrés dans leurs comptes et soumis à l’IS dans le pays de la société qui les détient. Pas en Belgique. Règles sur les transferts internes obligent.
Une semaine auparavant, Benjamin Haddad, secrétaire d’Etat aux affaires européennes, tenait ce discours.
Le principe qui vaut en droit international est que les actifs d’un Etat souverain sont inaliénables. On ne peut les saisir, ni les geler, ni les gager. Voir les Américains, dont les sanctions ne concernent que des entreprises (publiques comme privées) ou des personnes physiques liées à un Etat, jamais l’Etat lui-même comme personne morale publique.
La finance, c’est comme les chasseurs. Il y a la bonne finance. Et il y a la mauvaise finance. Les chambres de compensation - ou pour être exact les Central Security Depositories, dépôts centralisés de titres - c’est la bonne finance. Une infrastructure neutre et transparente.
Les actifs de l’Etat russe gelés - illégalement - dans l’UE ne sont pas détenus par les banques ni même les banques centrales, BCE incluse. Les actifs russes gelés en Europe sont détenus au nom de l’Etat russe par des chambres de compensation, principalement Euroclear.
Lire l’interview de Valérie Urbain, la patronne d’Euroclear, réalisée par Le Monde, dans laquelle elle explique avec une clarté limpide les conséquences désastreuses, financières et systémiques, qu’aura immanquablement la décision de gager sur les marchés obligataires des actifs souverains dont nous ne sommes pas propriétaires.
Contrairement à ce qu’avance Le Monde, Euroclear ne “gère” pas les actifs russes. Le Monde se garde bien d’expliquer, soit par ignorance soit par calcul, ce qu’est une chambre de compensation, qui n’est pas un gestionnaire d’actifs, comme par exemple BlackRock. La différence est de taille, vous comprendrez pourquoi en lisant l’intégralité de cet article.
Avant les chambres de compensation modernes, les règlements d’opérations de marché se faisaient par des transferts physiques d’argent liquide et de titres - obligations et actions. Des palettes de billets, de certificats papier d’obligations et d’actions prenaient littéralement l’avion, le bateau, le train ou le fourgon blindé.
C’est la raison pour laquelle les banques possédaient d’énormes chambres fortes où étaient stockés tout cela - des infrastructures.
Maintenant imaginez que des institutions financières, lassées de devoir opérer la lourde, risquée et coûteuse logistique des transferts de fonds et de titres entre elles, décident de créer une entreprise commune dont le rôle sera de construire une gigantesque chambre forte centralisant et leurs fonds et leurs titres, dans laquelle chaque institution financière disposera d’un coffre fort pour stocker ses titres et ses fonds. Mais n’en dispose pas de la clé, qui elle est détenue par la société commune chargée de transférer d’un coffre à l’autre, fonds et titres selon les ordres de règlements découlant des opérations de marché.
Pour illustrer, si la banque Tartempion a acheté 100 000 bons du trésor de l’Estonistan pour 100 000 euros à la banque Bidule, la société commune gérant l’immense chambre forte ira, une fois l’ordre de règlement reçu, sortir 100 000 bons du trésor de l’Estonistan du coffre de la banque Bidule pour les transférer au coffre de la banque Tartempion et prélèvera 100 000 euros du coffre de la banque Tartempion pour les transférer à celui de la banque Bidule.
Un autre avantage fondamental de la société commune gérant la chambre forte est que tous les titres et les fonds des institutions financières participantes étant centralisés au même endroit, et parce que les institutions financières échangent entre elles de multiples titres, il suffit de comptabiliser le solde des achats et des ventes au niveau de chaque coffre fort - chaque compte - pour optimiser les transferts de titres et de fonds. C’est là le mécanisme de la compensation: on ne fournit ou on ne reçoit que le solde de l’ensemble de ses opérations, la chambre de compensation compensant, c’est à dire ventilant les soldes entre les coffres tout en tenant les comptes de chaque coffre.
Bien évidemment, quiconque laisse la clé de son coffre à une tierce partie lui fait confiance et dispose à chaque instant de la possibilité de vérifier que la tierce partie agit en conformité aux ordres de règlements. En d’autres termes, les agissements de la société commune gérant la chambre forte sont parfaitement transparents à tout instant pour tous les acteurs y disposant d’un coffre.
Les progrès des technologies de l’information et de la communication vers la fin des années 1960 ont permis de mettre progressivement un terme aux mouvements physiques des titres grâce aux chambres de compensation, des infrastructures pivots de la finance internationale, qui à leur tour ont permis la mondialisation des marchés financiers.
A moins que ce ne fut l’inverse: la centralisation des titres fut le prérequis du développement de marchés d’abord à l’échelle d’un continent, l’Europe de l’Ouest, puis de la planète. Euroclear a été créée en 1967 par ce qui est aujourd’hui la banque américaine JP Morgan Chase afin de répondre aux besoins du marché obligataire européen (bons du trésor inclus), à l’époque émergent. Euroclear n’a plus rien d’américain. Voir plus bas la liste de ses actionnaires.
Les chambres de compensations sont donc des tiers détenteurs de confiance centraux à l’exécution des opérations de règlement. Elles ont pour principale fonction de détenir au nom d’opérateurs certifiés leurs titres en un seul “endroit”, sur un seul compte, et d’exécuter les transferts des soldes selon les ordres de règlement reçus. Elles recueillent également au nom de leurs mandants les produits de leurs titres - intérêts et dividendes. Les deux principales chambres de compensation dans le monde sont Clearstream et Euroclear. Elles sont européennes.






