[ Analyse ] IVe Reich progressiste
Le cartel politique qui depuis 1919 dirige l'Allemagne s'est toujours évertué à réprimer les mouvements populistes, sauf le Parti national-socialiste.
Le ministère des Affaires étrangères allemand répond à Marco Rubio. Au secrétaire d’État américain, qui critique à juste raison la décision d’utiliser le renseignement intérieur allemand pour surveiller et intimider l’AfD, promptement et officiellement classé comme parti extrémiste et danger pour la démocratie, les officiels allemands invoquent la démocratie. Tout cela serait fondé sur une enquête indépendante respectant l’état de droit – qu’on nous sert désormais à toutes les sauces.
Le service de renseignement intérieur allemand, le Bundesamt für Verfassungsschutz (BfV, Office de protection de la Constitution), est placé sous l’autorité du ministre de l’Intérieur. Il n’est pas indépendant, puisque son client est le gouvernement. C’est le cas de tous les services de renseignement. En 2015, la presse a révélé que le BfV avait conclu un accord secret avec la NSA américaine : la fourniture de toutes les métadonnées des Allemands en échange de l’utilisation du logiciel XKeyscore. Le BfV n’a pas su détecter la cellule d’Al-Qaïda qui planifiait, à Hambourg, les attentats du 11 septembre 2001, pas plus que certains des terroristes du Bataclan passés par l’Allemagne, l’année même où Angela Merkel décida unilatéralement d’ouvrir les frontières européennes, alors que Berlin n’est la gardienne d’aucune.
L’enquête du BfV n’est qu’une enquête administrative commanditée par le gouvernement Scholz à des fins politiques, dont l’annonce n’a pas incombé au prochain ministre de l’Intérieur du futur gouvernement Merz, mais à la ministre sortante socialiste. Preuve de la cartellisation de la politique allemande et du manque d’épine dorsale du futur chancelier, que nous avons incontinent et très méchamment surnommé Friedrich Merzkel.
Cette enquête est non contradictoire et ne relève pas du domaine de la preuve judiciaire. Pour couronner le tout, le rapport de mille pages du BfV est secret, même si l’on s’est ingénié à en faire fuiter quelques passages choisis. Si le parti politique mis en cause pouvait se défendre point par point, accusation par accusation, ce ne serait naturellement pas du jeu, puisque les règles ne seraient pas pipées.
Démocratie et État de droit, dites-vous ? Quand le cartel de partis politiques, responsable de l’effondrement de l’Allemagne, et des bureaucrates serviles utilisent la puissance de l’État pour mettre hors jeu le premier parti politique allemand – si l’on en croit les sondages –, on est dans l’arbitraire le plus complet. Il s’agit d’un procès secret auquel l’accusé est absent.
Et bien sûr, tout ce que la classe politique allemande compte de rentiers se retranche avec morgue derrière le « nous avons retenu les leçons de l’histoire ». Rien n’est moins vrai. La classe politique allemande n’a rien retenu de l’histoire. Rappels et démonstrations.
On dit souvent qu’Hitler a été élu démocratiquement. Rien n’est plus faux. Le NSDAP (Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterpartei, Parti national-socialiste des travailleurs allemands) n’a jamais obtenu la majorité au Parlement. Hitler a été nommé chancelier grâce aux conservateurs et aux libéraux le 30 janvier 1933, sous sa condition expresse d’organiser des élections législatives le plus rapidement possible, car il voulait renforcer la présence du parti nazi au gouvernement, où il ne disposait que de deux ministres.
Ce fut fait le 5 mars 1933, non sans que le parti nazi ait fomenté, deux jours avant le scrutin, l’incendie du Reichstag, promptement attribué aux communistes – un peu comme on impute aujourd’hui à la désinformation russe toute information dérangeante pour les pouvoirs en place. Malgré cela et une gigantesque campagne de propagande organisée par Goebbels et financée par les grands industriels, le NSDAP n’obtint que 43,7 % des voix. Donc, pas de majorité.
C’est en votant, le 23 mars 1933, la Gesetz zur Behebung der Not von Volk und Reich vom 24. März 1933 (loi d’habilitation du 24 mars 1933 pour la réparation de la détresse du peuple et du Reich), abolissant la séparation des pouvoirs, que les conservateurs et les libéraux offrirent à Hitler les pleins pouvoirs pour une durée de quatre ans. C’est par lâcheté, et surtout par volonté de rester, quoi qu’il en coûte, aux affaires, que les aïeux de ceux qui donnent aujourd’hui des leçons de morale furent les principaux responsables de l’avènement du régime nazi.
« Il est nécessaire de reconnaître que le mot Ermächtigungsgesetz (loi d’habilitation, ndlr) est une appellation juridiquement imprécise et même inexacte. [...] La réalité, c’est une loi constitutionnelle provisoire de la nouvelle Allemagne », reconnut Carl Schmitt à l’époque.
L'ingrédient critique qui a permis la prise du pouvoir des fascistes en Italie et des nazis en Allemagne est aujourd'hui inexistant. Le Fascisme et le Nazisme étaient des mouvement de masses violents. Les rues de grandes villes allemandes et italiennes étaient remplies de milliers de nervis en uniformes. C'est pression dans la rue exercée par des milices paramilitaires qu'étaient les chemises noires et la SA qui permit le basculement. Ceux qui hurlent au retour des années trente ne connaissent pas l'histoire.
Légiférer par décrets autorisés par des lois temporaires d’urgence ? Une vieille manie de la classe dirigeante allemande. À partir de 1919, le premier président du Reich, le socialiste Friedrich Ebert, usa largement de ce dispositif pour imposer 116 lois en six ans. Ebert, celui à qui l’on doit la répression sanglante, par les corps francs (il avait passé un pacte oral, resté secret jusqu’en 1924, avec le Haut commandement militaire), de la révolte des spartakistes et les assassinats de Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht.
À partir de 1930, le président Paul von Hindenburg et les chanceliers Franz von Papen et Kurt von Schleicher en systématisèrent l’usage, non pas dans une logique d’urgence, mais plus prosaïquement pour faire passer des lois que le Parlement refusait de voter. Démocratie, quand tu nous tiens !
Cela ne vous rappelle-t-il rien ? C’est exactement le même procédé utilisé par les institutions européennes pour faire passer des monstruosités telles que le DSA par des règlements du Conseil, qui ne sont pas des lois, car l’UE ne dispose d’aucune autorité constitutionnelle, laquelle reste entre les mains de chaque État membre.
Non seulement le cartel politique allemand, constitué par les conservateurs, les libéraux, les socialistes et les écologistes (les pires de tous), n’a pas appris les leçons de ce qui a mené au nazisme – à savoir que ne pas répondre aux aspirations populaires et réprimer ceux qui les expriment ne produit que plus de radicalisation –, mais il n’a pas non plus retenu celles de la République démocratique d’Allemagne (RDA) et de sa sinistre Stasi, car les méthodes qu’il s’apprête à appliquer à l’AfD sont les mêmes : surveillance totale et permanente, infiltration, violence administrative constante.
Cette idéologie éminemment germanique a percolé partout en Europe. Dans les institutions européennes, contrôlées par l’Allemagne bien sûr, mais également au sein de l’ensemble des élites politiques. En France, par exemple, Emmanuel Macron a fait passer l’état d’urgence dans le droit commun et a fait voter, lors de son premier quinquennat, des lois-cadres autorisant à légiférer par ordonnance (loi Travail, réforme de l’épargne retraite).
L’utilisation systématique du 49-3, notamment pour faire passer sans débat la réforme des retraites sous couvert de la loi de financement de la Sécurité sociale, relève de la même méthode. Nous ne parlerons pas de son refus de prendre acte de ses défaites électorales systématiques depuis les législatives de 2022, qui aurait dû provoquer sa démission en juillet 2024, comme l’esprit de notre Constitution l’exige, après sa défaite aux législatives qu’il avait convoquées en dissolvant l’Assemblée.
Il est donc particulièrement ironique que celui qui a embrassé à pleine bouche l’ordolibéralisme autoritaire allemand procède, en octobre prochain, à la panthéonisation de Marc Bloch, l’historien, auteur de L’Étrange Défaite, assassiné par la Gestapo en 1944.
Marc Bloch écrivait dans son journal l’année de sa mort : « Le jour viendra […] et peut-être bientôt où il sera possible de faire la lumière sur les intrigues menées chez nous de 1933 à 1939 en faveur de l’Axe Rome-Berlin pour lui livrer la domination de l’Europe, en détruisant de nos propres mains tout l’édifice de nos alliances et de nos amitiés. »
Ajoutons à cette citation, toujours prémonitoire puisque jamais réalisée, celle de Karl Marx : « Hegel fait quelque part cette remarque que tous les grands événements et personnages de l’histoire se produisent, pour ainsi dire, deux fois, mais il a oublié d’ajouter : la première fois comme une grande tragédie, la seconde fois comme une farce sordide. »
Bravo et merci pour cet écrit.
L'histoire reste le reflet du présent, j'ose espérer que les expériences passées et vos rappels fassent évoluer les consciences présentes.
Tout ce joue à un niveau restreint de personnes,ayons Foi en cette force consciente de l’enjeux Humain avant que la force du désespoir ne casse des chaînes trop longtemps supportées ....
Bof. Il faut que tout change pour que ruenne changemcomme le di