[ Analyse ] La dernière de Wagner
Vladimir Poutine n'est affaibli en rien puisque le "coup de force" de Prigojine ne le visait pas. Personne n'a remis en cause son autorité.
Poutine est affaibli ! Il y a des failles dans le pouvoir ! Le chaos s’installe en Russie ! C’est la guerre civile !
Sornettes et billevesées.
Vladimir Poutine n’est absolument pas affaibli. Ni dans son opinion publique, ni dans les cercles de pouvoir. Pour une raison fort simple : ce qui s’est passé le 24 juin ne le concernait pas. Personne n’a remis en cause la légitimité et l’autorité du président russe, et certainement pas Prigojine. Ce à quoi nous avons assisté est l’achèvement, par l’intégration des combattants de Wagner, de la réorganisation de l’armée russe débutée en juin dernier. Relire à ce sujet l’article de Big Serge ci-dessous, qu’il nous avait autorisé à traduire. Il reste édifiant.
Guerre russo-ukrainienne : l'offensive de Schrödinger, par Big Serge
On ne sait pas grand chose de Big Serge, si ce n’est qu’il est un analyste particulièrement affuté résidant aux Etats-Unis, qui possède une profonde connaissance de l’histoire et de l’armée russe. Big Serge nous a autorisé à traduire et à publier son dernier article
Il s’est agi, comme nous vous l’exposions dans notre podcast, d’une grosse engueulade à la russe qui ne porte pas à conséquence puisque l’issue en était connue d’avance et qu’elle ne visait que le ministère de la Défense et l’état major des armées. Personne d’autre. C’est contre Choïgou, le ministre de la Défense et Guerassimov, le chef d’État major des armées, que Prigojine hurlait. Pas contre Poutine. Choïgou et Guerassimov se sont débarrassés de Prigojine en le laissant faire.
On a d’ailleurs constaté qu’aucune poursuite n’a été diligentée contre les combattants de Wagner (5 000 à 7 000 sur un total de 25 000) ayant participé à la pitrerie de Prigojine, qui a été promptement envoyé en Biélorussie s’occuper des affaires africaines et moyen-orientales de sa société militaire privée. Une grosse engueulade à la russe qui ne porte pas à conséquence. Du moins pour les Russes. Pour l’Ukraine et l’Occident, c’est une toute autre affaire.
Essayons donc de remettre l’isba au milieu du village et de rendre au moujik sa vodka. Selon la vieille tradition russe qui n’a connu d’exception que durant la guerre civile de 1917-1921, le pouvoir politique ne se mêle pas de la conduite des opérations militaires. Même Staline a très rapidement lâché la bride à ses généraux durant la Seconde Guerre mondiale, comme le rappelle Jacques Sapir. Contrairement à Hitler, ce qui explique en partie des désastres comme Stalingrad et Koursk.
En temps de guerre, le pouvoir politique russe s’attache, selon la formule consacrée, à ce que l’armée ait suffisamment de canons et que la population ait suffisamment de beurre. Ce sont les militaires qui font la guerre. Vladimir Poutine n’a pas dérogé à cette règle.
Contrairement à ce qu’affirment dirigeants, médias et experts occidentaux, la Russie est un pays très légaliste où le respect de la loi revêt une grande importance. Si l’année dernière, la Russie a décidé d’annexer quatre oblasts ukrainiens avant de lancer sa mobilisation, c’est parce que la loi russe interdit d’engager la réserve hors des frontières de la fédération sans déclaration de guerre. Il n’y a toujours pas de déclaration de guerre entre l’Ukraine et la Russie. Il fallait donc annexer au préalable ces oblasts pour pouvoir y déployer des troupes mobilisées.
De même, les sociétés militaires privées sont interdites en Russie. Comme en France, le mercenariat y est une infraction pénale passible d’une lourde peine de prison. Ce n’est qu’à partir du moment où l’opération spéciale a débuté qu’il fut toléré que Wagner ouvrit des locaux à Saint Petersbourg. Pour un temps.
L’inévitable destin de tout mercenaire est de rentrer tôt ou tard dans le rang, en intégrant l’armée régulière ou en retournant à la vie civile. Sinon, c’est la prison ou l’exil. Le ministère de la Défense a exigé il y a deux semaines que les combattants de Wagner s’engagent comme soldats professionnels dans l’armée russe. Prigojine a refusé, alors que cette issue était inévitable, ne serait-ce que juridiquement, même s’il s’est agi d’une décision politico-militaire.