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[Brucellose en Haute-Savoie] Ni massacre à la mitrailleuse Gatling, ni bisoubison
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La Lettre confidentielle

[Brucellose en Haute-Savoie] Ni massacre à la mitrailleuse Gatling, ni bisoubison

Quel point commun entre les bisons du Montana et les bouquetins du Bargy ? Une gestion du risque qui doit d'abord s'affranchir de la politique.

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Pascal Clérotte
déc. 17, 2021
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Comment les Amérindiens sauvent les bisons de l'extinction

Avertissements au lecteur :

  1. Afin de pas entraver l’action des services vétérinaires, nous ne donnerons aucune information que nous jugeons sensible et pas d’un intérêt public impératif.

  2. Étant donné l’ambiance un chouïa tendue entre certains agriculteurs et certaines associations de protection de l’environnement, nous ne citerons pas les noms des personnes des deux côtés avec lesquelles nous avons parlé, afin d’éviter les foires d’empoigne sur les réseaux sociaux et dans la vraie vie.

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Le bison est bien plus aux Amérindiens qu’une source de protéines. C’est un fondement spirituel tel de leur culture que les 20 à 30 millions de bisons qui paissaient dans les plaines américaines il y a encore deux cents ans furent abattus en masse dans ce qui, n’ayons pas peur des mots, fut le “grand remplacement” d’une civilisation par une autre, le grand remplacement des hardes de bisons sauvages par des troupeaux de bovins domestiques.

Mais retournons à nos bouquetins, à notre brucellose. Et à la manière dont est gérée la cohabitation entre espèces sauvages et bétail dans les grandes plaines des rocheuses aux USA.

Nous l’exposions dans notre article précédent : les USA ne sont pas plus que la France “indemnes de brucellose”. C’est le cheptel bovin, ovin et caprin qui est réputé l’être. La brucellose est une maladie endémique et réémergente sur les cinq continents, à partir de foyer sauvages, essentiellement d’ongulés. Chez les suidés (porcins), on n’a pas plus réussi à éradiquer la brucellose aux USA qu’en Europe.

L’équation se pose toutefois différemment outre-atlantique

  • Le bétail susceptible d’être infecté par les foyers sauvages de brucellose n’est pas destiné à la production laitière

  • La production de produits au lait cru est interdite depuis 1987. Cette interdiction a une double origine : (a) le constat que l’éradication de la brucellose est dans l’absolu impossible et (b) l’obligation de vacciner des bovins, ovins et caprins qui ne permet pas l’existence d’une filière au lait puisque les tests sérologiques n’autorisent pas à distinguer un animal vacciné d’un animal malade.

Les élevages étant extensifs, les avortements que provoque la brucellose sont très coûteux. La vaccination est loin d’être efficace à 100%. Les contaminations, comme en France, se font par des réservoirs sauvages. C’est donc à ce niveau niveau là qu’est géré le risque, qui est par ailleurs moins préhensible du fait des migrations des ongulés sauvages.

Le principe de la gestion du risque de brucellose chez le bison est fondé sur la volonté de préserver la population de bisons sauvages. Il n’est pas de protéger les animaux domestiques, qui n’est que le bénéfice collatéral d’une saine gestion de la population de bisons sauvages.

  • C’est la densité des animaux hors période de migration qui est prise en compte.

  • En fonction de cette densité est déterminée empiriquement la taille optimale de la population de bisons pour minimiser le risque de brucellose, la densité des autres espèces (en premier chef les wapitis) étant également prise en compte. Par exemple, dans le parc national de Yellowstone, il a été déterminé que cette population ne pouvait pas excéder 5 000 bêtes.

  • On extrait chaque année au moment de la migration le surplus de population par la chasse (interdite dans le parc de Yellowstone), l’abattage et le déplacement d’individus sains pour repeupler d’autres troupeaux. Soit 800 à 900 bêtes par an.

  • L’effet principal la gestion active de la population de bisons est de limiter les migrations au point qu’elles en deviennent contrôlables, et donc de réduire d’autant le risque de propagation de la brucellose au bétail.

Un programme inter-agences de gestion du bison regroupant les acteurs locaux et fédéraux ainsi que les tribus amérindiennes concernées, a été mis en place depuis plus de vingt ans et donne d’excellents résultats.

Sa création, aussi longue que douloureuse, fut le résultat de la médiation d’un tribunal. C’est dire si les positions des différents acteurs impliqués pouvaient originellement diverger et atteindre des niveaux de conflictualité de western, cowboys contre indiens littéralement.

Que peut-on apprendre de l’approche américaine? Est-elle transposable à la France et à la problématique des bouquetins? Intéressant de se poser ces deux questions et d’essayer d’y répondre alors que la situation en Haute-Savoie s’envenime par une politisation dont rien de bon ne sortira.

Dans le Bargy, les agriculteurs, les écologistes, l’Etat et les collectivités doivent être renvoyés dos à dos, mis dans le même sac et le sac ainsi lesté jeté dans le lac de Lessy.

Encore une de ces situations dont nous seuls Français avons le secret, où se mêlent allègrement dogmatisme, réglementation absurde, irrationalités administratives, gros sous, clientélisme et expédients politiques, avec les scientifiques et les agences techniques qui font très bien leur travail mais que personne n’écoute. Etrange réminiscence du traitement de l’épidémie de Covid 19…

Delphine Lingemann on Twitter: "Selon les pays, un problème trouve une  solution... ou pas. Un schéma qui résume plutôt bien les différentes  approches selon les cultures 😉 https://t.co/vpK9PkiSzM" / Twitter
Influence de la culture sur les modes de résolution de problème

Au gré du vent et surtout des passions et des échéances électorales, les décisions fluctuent et n’ont pas pour objet de traiter le problème que pose la brucellose chez les bouquetins mais d’en traiter les manifestations politiques. Le caractère erratique des prises de décision amplifie les risques. C’est l’expédient qui est aujourd’hui la règle dans la gestion des affaires publiques. C’est dire la médiocrité des décideurs politiques et administratifs, tant à l’échelon national que territorial.

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Les bouquetins et chamois du Bargy ont été à l’origine contaminés par des animaux domestiques, chèvres ou moutons. Ces deux espèces étant protégées et évoluant dans des environnements difficiles d’accès, il sera impossible d’éradiquer à court terme la brucellose en leur sein. Tout comme il a fallu trente ans de prophylaxie stricte pour rendre indemne de brucellose le cheptel bovin, ovin et caprin.

La gestion du risque que représente le foyer du Bargy pour l’agriculture et en particulier la filière laitière, ne s’accommode donc pas d’incohérence et de court-termisme. Ce n’est pas l’affaire des syndicats agricoles et interprofessionnels, ni celle des écologistes mais celle de scientifiques et de professionnels qui ne peuvent que procéder par empirisme, c’est à dire par expérimentation, observation, essais-erreurs-correction et œuvrer dans le temps long.

Le refus de tirer des animaux sains est une absurdité. C’est bien la densité des bouquetins qui doit être strictement régulée afin de réduire au minimum l’incidence de la brucellose.

La décision du tribunal administratif de Grenoble d’interdire le tir indiscriminé, si elle est juridiquement valide, joue contre la maîtrise du risque.

Il est intéressant de remarquer, sans qu’un lien de cause à effet ne puisse être établi, que le cas de brucellose dans l’exploitation laitière dont le troupeau a estivé à Reposoir est survenu après que l’on eut quasiment cessé de prélever des animaux en cœur de zone.

Extrait du rapport de l’ANSES DU 30/11/2021, modes et nombres de prélèvement de bouquetins dans le Bargy ces cinq dernière années.

L’étude de l’ANSES montre que la taille idéale de la population de bouquetins dans le Bargy se situe autour de 300 animaux, ce qui signifie aujourd’hui qu’il faudrait prélever entre 50 et 80 individus par an.

Extrait du rapport de l’ANSES étudiant la corrélation entre l’incidence de la brucellose et le prélèvement annuel de bouquetins.

L’exigence à demi-mot de la FDSEA et des syndicats inter-professionnels de tirer l’ensemble de la population de bouquetins afin “d’éradiquer la brucellose” est aussi absurde qu’infondée. Comme le souligne l’ANSES dans son rapport d’expertise du 30 novembre 2021 :

“Les génisses de l’exploitation estivent dans un alpage sur la commune du Reposoir, dans un parc clôturé situé à 1300-1450 mètres d’altitude. L’enclos d’une autre exploitation est situé au-dessus de ce parc, les bouquetins se trouvant habituellement encore plus en altitude au dessus de ces alpages. En effet, le suivi des mouvements de bouquetins dans cette zone indique que ces derniers ont une probabilité quasi-nulle de fréquenter l’enclos où la vache infectée a pâturé en 2020 (Figure 3). Sur les 129 bouquetins suivis par GPS depuis 2012, l’OFB dispose de quelque 880 000 localisations, dont seulement dix provenant de sept individus différents sur les deux pâtures incriminées dans le cadre du foyer bovin objet de la saisine (quatre femelles et trois mâles, l’individu ayant passé le plus de temps y étant resté trois heures au cours de son suivi d'une année). De plus, ces dix localisations ne correspondent pas aux périodes d’alpage des bovins (une en janvier, deux en février, deux en mars, deux en mai, deux en novembre, une en décembre).”

La problématique est la coexistence d’une faune sauvage protégée et potentiellement infectée que l’on pourra difficilement abattre dans sa totalité avec du bétail, dont l’infection est susceptible d’avoir un coût astronomique mais dont les individus infectés peuvent être facilement éliminés.

La proposition de n’abattre au sein des troupeaux que les vaches infectées afin de justifier l’arrêt des tirs indiscriminés et de minimiser l’impact économique sur les exploitations est toute aussi absconse. Elle ne prend pas en compte le long temps d’incubation de la brucellose et la réalité de la filière lait cru, qui ne peut s’accommoder de la moindre incertitude en matière de contamination. Rien ne doit rentrer dans la chaîne de production où aucun doute ne doit résider. Les étables contaminées doivent donc être malheureusement abattues.

La solution est donc d’une simplicité biblique :

  • D’un côté, les associations de protection de la nature doivent comprendre que le tir d’individus sains est inévitable et pourra même s’accroître avec la baisse de la prévalence de la brucellose chez les bouquetins afin de maintenir la population à son niveau optimal. Les avortements provoqués par la brucellose sont, qu’on le veuille ou non, une forme de régulation de la population qui devra être effectuée par d’autres moyens.

  • De l’autre, les agriculteurs doivent accepter le risque de la contamination. Cela a pour pendant un régime indemnitaire cohérent pour les exploitations touchées, prenant en compte l’ensemble de la situation économique de l’exploitation. Un troupeau constitue un investissement - équipement, génétique etc. - qui dépasse de loin la seule valeur vénale des animaux.

  • L’Etat et les collectivités doivent eux s’assurer de la cohérence et de la permanence des politiques de gestion des espèces sauvages et des risques et que les agences techniques - ANSES, Directions de la protection des populations, Office national de la biodiversité etc. - puissent travailler (1) en paix, (2) dans le long terme et (3) avec les moyens adéquats.

On le voit dans l’exemple américain. Le principal frein à la gestion du risque est politique. Il a fallu qu’un acteur impartial, en l’espèce un juge, mette face à leurs responsabilités par injonction toutes les parties prenantes. Il a fallu les forcer à la table des négociations et accoucher d’un consensus au forceps sous la menace de lourdes sanctions financières.

Plus on dépolitisera le traitement du foyer sauvage de brucellose dans le Bargy, y compris en excluant et sanctionnant les acteurs non-constructifs si besoin est, plus rapidement on éradiquera la brucellose chez les bouquetins.

La FDSEA a raison d’appeler l’Etat à prendre ses responsabilités. L’Etat doit exercer sa mission régalienne et cadrer fermement si besoin est tous les acteurs, à commencer par les syndicats agricoles et les associations de protection de la nature. Par exemple en mettant la suppression de subventions dans la balance et en saisissant la justice en cas de débordement comme celui constaté lors de la manifestation des jeunes agriculteurs devant les locaux de la France Nature Environnement le 29 novembre dernier.

D’autres ont raison de souligner que les collectivités territoriales ne jouent pas leur rôle médiateur de proximité. La Région est beaucoup trop éloignée pour d’être d’une quelconque utilité dans ce dossier.

Quant au Conseil département, il est présidé par Martial Saddier, technicien agricole de formation et ancien cadre de la Chambre d’agriculture de Haute-Savoie, qui n’a rien trouvé de mieux que de nommer Mme Donzel-Gonnet vice-présidente à l’agriculture au mépris des réels risques juridiques voire judiciaires, celle-ci étant également la présidente du syndicat interprofessionnel du Reblochon et elle-même agricultrice … Vice-présidente au tourisme ou à la voirie par exemple aurait causé moins de problèmes.

Le fait que Martial Saddier n’ait pas retiré sa délégation à l’agriculture à Mme Donzel-Gonnet après sa participation active aux côtés de deux de ses fils à une manifestation violente devant les locaux de la FNE, ne laisse rien présager de bon.

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