Colonisation, homme interchangeable et amour des siens
N.S. Lyons, sur le retour en force du populisme comme procédant d'une lutte anticoloniale.
L’intellectuel américain N.S. Lyons nous a une nouvelle fois autorisé à traduire (avec la relecture attentive et les corrections de Renaud Beauchard de French Invaders) et publier un de ses textes, dont vous trouverez l’original en anglais ici. Nous l’en remercions. Tous les droits d’auteur et de reproduction lui restent pleinement acquis.
Ce texte est provocateur au bon sens du terme, parce qu’il force à réfléchir. Il est également édifiant de constater l’intérêt croissant que suscite outre-Atlantique l’œuvre de Renaud Camus. Si ce n’est pas un sceau d’approbation rendant tout débat la concernant stérile et l’érigeant en dogme, il est bon de se rappeler que Foucault, Derrida, Deleuze, Bourdieu et consorts connurent leur consécration aux Etats-Unis et que leurs thèses sont à l’origine du wokisme, doxa quasi religieuse que nous ont refilé les américains depuis une dizaine d’années. Les thèses de Renaud Camus auraient elles participé au substrat intellectuel qui a permis la victoire du populisme illustrée par l’élection de Donald Trump en novembre dernier ?
L'automne dernier, j'ai été invité à intervenir lors d'une conférence organisée par l'Intercollegiate Studies Institute. J'ai participé à un panel sur l'importance croissante de l’intellectuel français Renaud Camus, souvent injustement conspué, qui a introduit le concept du "grand remplacement" (qui n'est pas une "théorie du complot" car Camus ne suggère pas explicitement de complot, mais observe simplement les vastes changements culturels et démographiques causés par la modernité libérale).
Comme mon intervention s'appuyait sur mes écrits antérieurs sur le colonialisme et la "lutte anticoloniale", j'ai choisi de ne pas le publier. Cependant, la polémique aussi violente que justifiée qui sévit au Royaume-Uni à propos des gangs de grooming, de l’immigration incontrôlée et de l'abandon délibéré par l'État britannique de ses propres enfants au nom du multiculturalisme m'ont poussé à revisiter ce discours. Je vous le présente donc ici. – N.S. Lyons
Dans ses écrits, Renaud Camus décrit de façon à la fois saisissante et succincte le remplacement actuel des peuples et cultures occidentales comme une forme de "contre-colonisation", ou simplement de "colonisation". Ce terme de "colonisation" me paraît être très justement employé. Car même si Camus parle de colonisation dans le contexte de la migration de masse – soulignant l'ironie de voir les anciennes puissances coloniales européennes submergées par les peuples qu'elles ont autrefois dominés – je crois que ce concept est beaucoup plus vaste.
Penser le monde occidental comme étant soumis à un processus de colonisation peut nous aider à expliquer non seulement l'immigration de masse incontrôlée en tant que phénomène, mais aussi le concept plus large de "remplacisme", auquel Camus a sacrifié sa réputation et ses entrées dans la bonne société parisienne. Voir ainsi les choses peut également avoir la vertu d’éclairer les véritables causes du déclin culturel et des tensions politiques actuelles en Occident, y compris le retour en force du populisme récemment observé lors des élections américaines.
Ainsi, si on écarte les poncifs rituels de la gauche sur la "décolonisation", un angle de vue pratique et historique sur la vraie signification du colonialisme peut nous aider considérablement à comprendre la situation dans laquelle nous nous trouvons.
Presque invariablement, le premier objectif du colonialisme est la dénationalisation. Le colonialisme est en effet une stratégie employée par des empires, c’est-à-dire des entités supranationales contrôlant plusieurs nations ou peuples soumis à une autorité impériale. L'opposé de l'empire est l'identité nationale et l'autodétermination. Cela explique pourquoi la première tâche à laquelle s’adonne le colonisateur est le plus souvent de supprimer ou de gommer le sentiment du peuple dominé qu'il forme une entité cohérente avec une identité culturelle unique et un territoire historique défini.
Le deuxième objectif est la déculturation, c’est à dire l'élimination de la culture traditionnelle, des coutumes, des croyances, des valeurs et de la langue d'un peuple. Il s’agit d’une tentative délibérée, en ayant recours à la censure, la propagande, l'endoctrinement et à la désacralisation de la religion traditionnelle, de rompre les liens du peuple dominé avec avec son passé et d'effacer toute mémoire historique. Les enfants sont souvent les premières cibles des programmes de rééducation. Ceux-ci sont parfois même séparés de la culture de leurs ancêtres pour être élevés différemment. Bien entendu, ce processus de déculturation est revêtu des habits d’un processus d’émancipation civilisationnelle, libérant les peuples de leurs pratiques arriérées et barbares afin qu'ils adoptent les valeurs culturelles et le mode de vie supérieur de leurs colonisateurs.
Afin de conserver le contrôle pendant le processus de dénationalisation et de déculturation, la puissance coloniale divise pour mieux régner : elle crée une hiérarchie sociale et politique favorisant artificiellement un ou plusieurs groupes minoritaires à dessein de gouverner la majorité. C’est ainsi que l’empire procède, en sachant que ces minorités seront plus loyales à l'empire qu'à leur propre nation, craignant la domination par une majorité qui pourrait les rejeter. En conséquence, les tensions ethniques et sectaires s'exacerbent.
Pour les autochtones, ce processus de dépossession culturelle et politique a pour corollaire inévitable la dépossession économique et l’exploitation. Ceux-ci voient leur patrimoine leur être progressivement ou rapidement confisqué, afin d’être redistribué aux colonisateurs et à leurs alliés. Cette confiscation est en règle générale réalisée par la saisie des terres, ou par des lois, des impôts et des réglementations accablantes qui finissent par réduire à néant la possibilité de jouir de leur propriété et des fruits de leurs entreprises. L'empire peut également saboter l'industrie nationale afin de protéger ses monopoles mondiaux. Ces moyens s’accompagnent le plus souvent de la mise en place de techniques financières ayant pour effet de transformer la nation tout entière en une ressource extractive en condamnant sa population à l’enfer d’une dette irremboursable.
Les autochtones sont aussi exploités pour leur valeur en tant que ressource humaine. Tantôt ils sont réduits au statut de bêtes de somme, tantôt ils sont enrôlés de force dans les guerres au lointain de l'empire. Ou tantôt, de façon plus sournoise, l'empire s’emploie à attirer les jeunes talents vers des centres urbains éloignés afin de les déculturer, les rééduquer et les intégrer dans le système impérial transnational, faisant d'eux des "gens de nulle part".
Parmi l’arsenal d’armes de dépossession dont disposent les puissances coloniales contre les peuples dominés, il en est une qui est particulièrement dévastatrice. Il s’agit de la dépossession d’un peuple autonome de ses terres et de ses coutumes ancestrales au moyen du déplacement massif interne sur son territoire de populations appartenant à des groupes extérieurs – soit les colonisateurs eux-mêmes soit d’autres populations. Le procédé a pour effet de diluer la majorité démographique et culturelle de ce dernier jusqu'à ce que ses membres se sentent étrangers dans leur propre pays.
Cette stratégie coloniale est d'une efficacité redoutable et durable. C’est celle que la Chine, par exemple, a appliquée avec succès dans le Tibet et le Xinjiang en y installant des millions de colons Han pour diluer et assimiler les populations locales, les transformant en minorités affaiblies avec une identité culturelle altérée.
Une fois cette invasion subtile accomplie, il n'y a plus de retour en arrière pour une nation. Elle est effacée de la carte et de l'histoire. Surtout lorsqu’elle est accompagnée de mesures pour réduire la population autochtone, la migration interne est un procédé tellement redoutable qu’elle est, à très juste titre, aujourd'hui reconnue par le droit international comme une forme de génocide.
Les autochtones ne se soumettent pas facilement à cette dépossession et tentent souvent de se rebeller, ce qui conduit le pouvoir colonial à établir un système de contrôle strict. La police politique, la surveillance de masse, la censure et les restrictions de la liberté d'association jouent un rôle clé dans cette répression.
Une méthode plus sournoise consiste à élever l'autorité et la prise de décision à un niveau bureaucratique supranational, si complexe et opaque que l'autochtone se sent impuissant face à cette machine impériale, tout conditionné qu’il est à croire qu'aucune résistance n'est possible ou sensée face à cette immense force, perçue comme le cours inévitable de la civilisation et du progrès.
A la lecture cette description des principaux traits du colonialisme – la dénationalisation, la déculturation, la division, la dépossession et la domination – je soupçonne que beaucoup d'entre vous reconnaîtront, non sans une certaine gêne, des dynamiques familières dans votre propre pays. Les symptômes sont largement similaires à travers le monde occidental :
Des élites dirigeantes expriment ouvertement leur peur, leur mépris et leur dédain envers la majorité de leurs concitoyens, les considérant comme arriérés, grossiers, incivilisés – en somme des sauvages. Ces élites battent campagne pour que les gens se sentent honteux et coupables de leur passé, de leurs ancêtres, de leur culture traditionnelle, de leurs valeurs, de leur mode de vie et même de leur ethnicité.
L'effacement systématique des repères culturels et la réécriture des histoires nationales pour éliminer toute trace de distinction, d'unité ou de fierté nationale. On essaie d'endoctriner les nouvelles générations avec un ensemble de valeurs "progressistes" (entendez par là civilisées) universelles, les intégrant dans une culture artificielle de multiculturalisme cosmopolite, étrangère à toute identité géographique, héritage ou mémoire nationale.
Des efforts constants pour transférer la souveraineté décisionnelle des nations démocratiques vers des institutions supranationales (lire : impériales), visant à transformer chaque pays occidental selon la vision de Justin Trudeau pour le Canada : un "État post-national" sans "identité centrale", réduit à un simple point sur une carte, essentiellement une zone économique livrée aux grandes entreprises multinationales modernes.
Et surtout, un flux incessant de migration de masse provoquant un basculement démographique qui, malgré les protestations publiques très majoritaires, ne rencontre aucune opposition significative au sein des élites occidentales.
Je pense qu'il n’existe pas de meilleure façon de décrire cette situation que comme une forme étrange de colonialisme. Mais qui nous colonise ? Il ne s’agit d’évidence pas d’une puissance étrangère qui chercherait à nous conquérir, mais bien de nos propres gouvernements qui semblent avoir choisi de coloniser leur propre peuple. L'Occident serait ainsi la première civilisation à se coloniser elle-même.
Pourquoi en sommes-nous là ? S’agit-il d’un complot ? C’est là que l'intuition de Camus nous est précieuse. Celui-ci affirme en effet qu’il n’est nul besoin de théorie du complot pour expliquer cette auto-colonisation de l'Occident. Ce phénomène est la conséquence implacable de la force écrasante de la modernité, qu'il nomme "remplacisme" : l'alliance opportuniste entre le moralisme antiraciste de l'après-guerre et le capitalisme mondial managérial, visant à créer un monde ouvert car plat, sans conflits, où les différences culturelles et ethniques sont effacées pour permettre une interchangeabilité globale des peuples, comme les pièces d'un mécano.
Ou encore, selon Camus, un monde où l'humanité devient un "Homme Nutella", une substance homogène sans texture ni particularité, prête à être étalée là où l'économie le demande. Cependant, "une telle stabilité ne serait possible qu'avec des hommes et des femmes abstraits, nus de toute origine, appartenance ou culture".
Ainsi, ce qui nous colonise est plus un empire conceptuel qu'une entité politique et géographique. Il s'agit d'un idéal utopique d'ordre parfait, d'une machine globale gestionnaire cherchant à éliminer non seulement les nations, mais l'idée même de nation, de culture et de peuple.
Pourtant, partout en Occident se lève un mouvement de résistance. Les autochtones ne se satisfont pas de voir leur histoire, leur culture et leur nation disparaître. Ce que l'on appelle "le retour de bâton populiste" pourrait à juste titre être considéré comme une lutte anticoloniale. De nouveau, des appels à la souveraineté et à l'autodétermination nationale se font entendre dans le monde, mais cette fois-ci, la clameur provient de nos propres pays occidentaux. Cette décolonisation pourrait bien s'avérer être la grande cause de justice sociale de notre époque.
Pour conclure, je tiens à souligner un point critique : l'idéologie "remplaciste" et la machine mondialiste qui l'accompagne, cherchant à transformer le monde en un "Nomos de l'aéroport" inhumain et stérile, se caractérise par une absence totale d'amour. Aimer, c'est valoriser la singularité. L'amour universel est pour nous, humains, une contradiction. Dire à quelqu'un qu'on l'aime "comme on aime tout le monde" est voué à l'échec...
Cette absence d'amour dans le projet globaliste remplaciste met en lumière l'opposé : le nationalisme, qui renaît aujourd'hui, n'est pas motivé par la haine de l'autre mais par l'amour des nôtres. La solution au cauchemar remplaciste se trouve dans l'amour : un amour pour les gens, leur passé, leur lieu et leur particularité.
Je vous invite donc à bien garder ceci à l’esprit et à revendiquer avec fierté la lutte anticoloniale, d'où que vous veniez, pour rendre à votre grande nation sa splendeur.