De la mise en examen de Régis de Castelnau
Les cris d'orfraies à la censure de la part de certains médias indépendants n'ont qu'un effet, celui d'occulter totalement le cœur du problème, qui est bien plus grave.
Les hurlements à la censure de certains médias indépendants sont pénibles, d’autant qu’après avoir bien hurlé, ils font passer le chapeau. Bien plus grave et pernicieux est par exemple la débancarisation intempestive de Télé Liberté. Qu’on apprécie ce média ou pas, quel meilleur moyen de museler? Ceux qui se soucient réellement du pluralisme devraient s’inquiéter de telles pratiques. Gageons que si la prochaine fois le couperet tombe à gauche, le chœur des victimes chantera bien plus fort. Société du deux-poids-deux-mesures où, bêtement, on se réjouit des malheurs des autres sans même concevoir que les mêmes pourront nous être tout aussi arbitrairement infligés.
Depuis près de dix ans, nous suivons le travail de Régis de Castelnau. Son analyse de l’actualité par le prisme du droit est toujours affutée, fondée sur les faits et fait œuvre de salubrité publique vu l’absence quasi-totale de culture juridique des médias et de la population française. Il ne s’embarrasse pas de précautions oratoires et de ronds de jambes de danseur de salon parisien pour dire les choses, ce qui prête à sa production la truculence qui fait qu’on en redemande.
Régis de Castelnau a ainsi été mis en examen dans une procédure pour diffamation initiée par Charline Avenel, camarade de promotion de l’ENA d’Emmanuel Macron, qui l’avait nommée rectrice de l’académie de Versailles en modifiant les règles - les prérequis - ouvrant à cet emploi. L’affaire remonte à 2023 quand le rectorat avait adressé un premier courrier à des parents dont le fils, âgé de 15 ans, s’était suicidé après avoir subi du harcèlement scolaire. Une lettre dans laquelle les parents étaient menacés d’être poursuivis judiciairement s’ils continuaient à critiquer publiquement l’Education nationale. Régis de Castelnau avait qualifié ce courrier “d’inacceptable” et avait estimé qu’il pouvait constituer plusieurs infractions pénales.
Nous n’allons pas spéculer sur un dossier que nous ne connaissons pas. Et quand bien même le connaîtrions-nous, tout ce que nous pourrions écrire n’aurait strictement aucune validité, puisque nous ne sommes pas juges.
En démocratie, toute personne estimant être victime d’un préjudice dispose du droit d’ester en justice au civil ou de porter plainte afin que l’autorité de poursuite décide de l’ouverture d’une enquête si l’infraction est pénale.
En matière de liberté d’expression et de droit de la presse, le dépôt d’une plainte avec constitution de partie civile entraîne la mise en examen automatique de la personne incriminée. En effet, dans ce domaine très particulier du droit pénal, l’enquête est le procès lui-même. Autrement dit, il n’y a pas d’enquête judiciaire préalable, mais, puisqu’un procès doit se tenir, une mise en examen et un renvoi devant un tribunal correctionnel sont nécessaires. Procédure, procédure.
Fait amusant, le choix de pénaliser la diffamation et l’injure lors du vote de la loi de 1881 sur la liberté de la presse visait à mettre fin aux duels. À l’époque, bien des affaires d’honneur se réglaient sur le pré, pistolet ou rapière en main – quand ce n’était pas à cheval et au sabre.

Le législateur de 1881, qui savait réfléchir et rédiger des lois, a considéré que le fait d’être traité d’« enculé de sa race » par son prochain ne concernait que l’offensé et son offenseur, et non l’ensemble de la société, à qui aucun tort n’est causé. D’où l’absence d’enquête judiciaire. Dans la plupart des pays occidentaux, la diffamation et l’injure relèvent des tribunaux civils, ce qui est bien plus sage.
Il ne s’agit pas non plus, comme on peut entendre la « réinfosphère » brailler, de censure. La censure consiste à valider, modifier ou interdire une œuvre avant sa publication, ou à en interdire ou limiter la diffusion une fois publiée – ce que seul un juge peut décider.
Mme Avenel exerce un droit en portant plainte contre Régis de Castelnau. En revanche, elle ne le fait pas en tant que simple citoyenne, mais pour diffamation envers une fonctionnaire d’autorité. Elle bénéficie ainsi de la protection fonctionnelle, qui fait que ses frais d’avocats et de procédure sont pris en charge par la collectivité.
Ce faisant, elle exerce un privilège réservé aux agents publics et aux élus. Autant dire que ces derniers en abusent souvent pour des raisons bassement politiques, le contrôle de cette protection fonctionnelle étant quasi inexistant, à moins de supporter des années de procédure devant les tribunaux administratifs.
C’est là que réside le véritable scandale : l’abus d’un privilège trop généralisé pour faire supprimer des informations, des analyses et des opinions qui dérangent, sans encourir aucun risque, puisque même en cas de défaite, cela ne coûte rien. C’est le contribuable français qui paie ! Et en la matière, il faut reconnaître à la macronie d’avoir depuis 2017 multiplié les procédures pour tout et n’importe quoi, devenant experte en procédures obliques. Dans le même temps, les multiples affaires de corruption qui la visent semblent rester coincer dans une autre dimension.
La protection fonctionnelle des agents publics et des élus en elle-même n’est pas problématique. C’est son utilisation dans des procédures bâillons ou d’intimidation, forcément asymétriques, qui est scandaleuse : elles ne coûtent rien à l’une des parties, tandis que l’autre doit seule s’acquitter de ses frais d’avocat quoi qu’il advienne, même en cas de relaxe.
Les duels, eux, se déroulaient à armes égales.
Et en France, il n’y a jamais eu d’état de droit, juste le droit de l’Etat.