[ Dérives et abus des écoles privées ] Dans les rouages de l'Etat
Ministre, ex-ministres et fonctionnaires se sont depuis quelques années employés à se recaser dans ce secteur particulièrement florissant, qui prospère sur les ruines du public.
Les ministres de l’éducation et de l’enseignement supérieur annoncent une inspection de l’enseignement supérieur privé. Branle-bas de combat dans les ministères. Non pas tant que l’enseignement lucratif privé fasse d’un seul coup des siennes. La question des dérives et abus des écoles privées n’est pas nouvelle, elle se répète chaque printemps, au moment de l’orientation de dizaines de milliers d’élèves suspendus à ParcoursSup.
Pas plus tard que l’année dernière, à exactement la même époque, en avril, un rapport d’une mission d'information parlementaire avait pointé la jungle et l’opacité des écoles privées à but lucratif ainsi que l’absence totale de régulation (Allô l’Etat ?), recommandant un contrôle accru des pouvoirs publics sur les formations ou les diplômes.
Bref, le sujet est connu. Il a fait l’objet de plusieurs rapports, du médiateur de l’éducation nationale et de très nombreuses alertes de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Difficile d’arguer qu’au plus haut niveau de l’État, on ne sache pas ce qui s’y trame et de faire mine de découvrir le scandale dont il est fort à parier qu’il finisse consigné dans un rapport rangé au fond d’un placard. L’histoire nous le dira.
Ce qui agite Elisabeth Borne, c’est donc la sortie d’un livre – Le Cube, de Claire Marchal – consacré aux dérives de Galileo Global Education. Ce qui dérange surtout, c’est le coup de projecteur sur celui qui est présenté comme le leader mondial de l’enseignement privé – plus de 250 000 étudiants dans le monde.
Mais si Galiléo est un “exemple”, ce n’est pas seulement, lui comme d’autres, en raison de frais d’inscription aussi prohibitifs qu’injustifiés et d’une politique d’optimisation des rendements qui reste, quoi qu’on en dise, son but principal. Rappelons que c’est un fonds d’investissement américain qui est à l’origine de la création de Galileo. Que l’on retrouve à son capital, la fondation Bettencourt-Meyers mais aussi l’office d’investissement du régime de pensions du Canada, plus important investisseur institutionnel canadien (37 % chacun), Montagu Private Equity, une société de capital-investissement britannique (17 %) et la banque publique d’investissement française (BPI, 9 %).
Le secteur est prospère. Crédité d’une rentabilité à deux chiffres, avec un risque globalement limité et des perspectives de croissance importantes, d’autant plus importantes qu’elles prospèrent sur les ruines du public. Il a profité de la manne et de la libéralisation de l’apprentissage et donc des largesses de l’Etat, qui n’en faisait pas tant pour l’Université où depuis une quinzaine d’années les coupes dans les budgets se multiplient.
Il serait toutefois inconvenant de passer à côté d’un autre coup de projecteur qui devrait éclairer le pourquoi du comment : celui des liens qu’ont su nouer ces écoles, Galileo en tête, avec l’Etat. Le “leader mondial” est un en fait un parfait exemple des “portes tournantes”, ces allers et retours de fonctionnaires entre le public et le privé comme L’Eclaireur l’écrivait en novembre 2023. Quand bien même, la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) n’y trouve pas beaucoup à redire, il n’est pas difficile de penser que les connaissances des rouages de l’administration a dû être mis à profit, comme les carnet d’adresses.
Enseignement supérieur : les drôles de passerelles entre public et privé
Le 23 octobre, Olivier Dussopt a annoncé mettre le paquet sur l’apprentissage. Renforcement des cellules interministérielles pour accompagner et guider les jeunes, campagnes de mails individualisés, tout est mis en place pour que l’objectif d’Emmanuel Macron du million d’apprentis en 2027 soit atteint.
Petit rappel utile à l’adresse Elisabeth Borne et Philippe Baptiste.
Après avoir été ministre du travail des gouvernements Philippe et avoir fait voter en 2018 la loi “pour la liberté de choisir son avenir professionnel” ouvrant grand les portes de l’apprentissage dont ont su largement profiter les écoles privées lucratives pour attirer élèves et parents au risque d’espoirs déçus (beaucoup de candidats à l’alternance qui espèrent alléger les frais d’inscriptions, peu d’élus), Muriel Pénicaud a rejoint le conseil d’administration de… Galiléo. Elle y a retrouvé Benoît Ribadeau-Dumas, le directeur de cabinet d'Edouard Philippe à Matignon.
Elle y a aussi croisé Martin Hirsch, de 2022 à 2024 quand il était vice-président exécutif de la multinationale. Depuis l’ex-directeur des Hôpitaux de Paris, dont le bilan à l’AP-HP est jugé “désastreux” par plusieurs médecins, a rejoint le Conseil d’Etat. Mais aussi Nizarr Bourchada. Le directeur de l’alternance de Galileo en France officiait auparavant chez Opco Atlas, organisme de compétence né de la loi portée par… Muriel Pénicaud, et dont la mission est notamment de favoriser le recrutement en alternance et de financer les contrats.
En avril 2022 sur l’antenne d’Europe 1, Marc-François Mignot Mahon, le PDG Monde de Galileo – celui que Le Point nomme “l’autre ministre de l’éducation” – déclarait : “Depuis cinq ans, ce gouvernement a fait beaucoup d’efforts qui vont dans le bon sens pour l’employabilité des jeunes”.
A quelques exceptions près 1, la pratique est somme toute usuelle. On a vu l’ex-rectrice de Versailles, Charline Avenel, atterrir chez le groupe Ionis (qu’elle a quitté depuis), autre acteur majeur en France de l’enseignement supérieur privé lucratif. Charline Avenel avait auparavant travaillé au ministère des finances, en charge du budget de l’éducation et de l’enseignement supérieur et notamment été directrice adjointe aux cabinets de Valérie Pécresse puis Laurent Wauquiez au ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche.
L’ex-ministre de l’éducation nationale Jean-Michel Blanquer a ouvrert aux côtés de Véolia lors de la dernière rentrée solaire, en octobre 2024, une “école de la transition écologique”, Terra Academia. Garantie de sérieux ? On n’ose imaginer un ex-ministre ne pas s’entourer de toute les compétences nécessaires. Ça tombe bien : au sein du conseil scientifique de l’école siège Philippe Baptiste, le ministre de l’enseignement supérieur. Qui a donc annoncé diligenter une enquête interministérielle pour faire toute la transparence sur l’enseignement supérieur privé lucratif, auquel il participe même si ce n’est qu’au sein d’un conseil scientifique et avec la (double ?) casquette de président du centre national d’études spatiales (CNES). Gênant ?
En tout état de cause, difficile pour Elisabeth Borne et Philippe Baptiste de feindre la découverte du “scandale” de l’enseignement supérieur privé lucratif en France derrière le cas Galileo.
Mais c’est une autre évolution qui devrait alerter les ministres.
Alors que les écoles surfant sur le commerce, la finance et ses dérivés, se sont multipliées en quelques années, les écoles d’ingénieurs elles voient leurs rangs s’éclaircir. Alors que le pays aurait a de plus d’ingénieurs et de techniciens, surtout s’il s’avère que la France prenne vraiment le train de réindustrialisation, les profils scientifiques sont de moins en moins nombreux depuis la réforme du bac de 2018, initiée par … Jean-Michel Blanquer.
En deux ans, les effectifs des bacheliers scientifiques ont dégringolé passant de près de 200.000 en 2020, à moins de 100.000 en 2022. Comme le soulignait en septembre dernier Mélanie Guenais, maîtresse de conférences en mathématiques à l'Université Paris-Saclay et représentante du collectif Maths & Sciences : "L'effondrement est inédit sous la Ve République. En termes d'effectifs, on a reculé de 20 à 30 ans d'un coup".
La HATVP s’était opposée à la volonté de Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur entre 2017 et 2022, de rejoindre une école de commerce, Skema Business School.