Djihadistes "modérés, pragmatiques" et repentis - CQFD
Nous republions en accès libre notre article du 4 décembre 2024. Le drapeau noir flotte sur Damas, sous les applaudissements d'un Occident toujours plus aveugle, écrivions-nous.
Jean-Noël Barrot a entamé un tour de France afin d’expliquer aux Français ce qu’est la crise internationale et exposer l’état de la menace.
Petit cours magistral de diplomatie appliquée avec l’exemple de la Syrie.
Rappelons que le ministre de l’Europe et des affaires étrangères français avait en décembre dernier salué la chute du régime syrien de Bacher El-Assad, qualifiant ce moment “historique” de “bonne nouvelle pour la liberté et pour le peuple syrien”. Assad n’était certes pas un enfant de chœur mais le groupe rebelle islamiste Hayat Tahrir al-Cham (HTC) et son homme fort, Abou al-Joulani, qui a conduit à son renversement, encore moins.
Résultat prévisible trois mois après : la Syrie vient de vivre des heures cauchemardesques avec le massacre par les islamistes de 1 300 chrétiens et alaouites – dont près de 1 000 civils. Minorité alaouite dont est issu le président déchu Bachar Al-Assad.
Aussi visionnaire que courageux, Jean-Noël Barrot s’est fait fort de condamner (diantre), mais sans nommer les coupables. Que des djihadistes coupent des têtes en se filmant n’émeut visiblement pas notre diplomate en chef.
“Je me suis entretenu avec le ministre des Affaires étrangères intérimaire de Syrie. Je lui ai exprimé notre vive inquiétude, notre ferme condamnation des exactions commises contre des civils et notre exigence que les coupables de ces crimes soient punis”, s’est fendu Jean-Noël Barrot.
La diplomatie européenne, elle, n’a pas hésité. Elle a condamné fermement “les attaques apparemment menées par des éléments pro-Assad contre les forces du gouvernement intérimaire”. Les forces du gouvernement intérimaire, c’est Al Qaeda et Daech, qui ont perpétré ces massacres...
Histoire de remettre l’église au centre du village et la mosquée au coeur de la médina, nous republions, en accès libre, notre article paru le 4 décembre dernier.
Djihadistes "modérés, pragmatiques" et repentis
Le drapeau noir flotte, non pas sur la marmite comme l'aurait dit Audiard, mais sur Damas. Sous les applaudissements d'un Occident toujours plus aveugle.

L’hypocrisie et la corruption des médias historiques occidentaux n’ont d’égales que celles de la classe dirigeante qu’ils servent. La palme à LCI, le canard boiteux du groupe TF1 de Martin Bouygues, qui a cru malin de nous rejouer à Damas la “libération” de Bagdad en 2003. Ses journalistes auraient-ils été embedded (intégrés) aux djihadistes promptement rebaptisés “rebelles” ? Se seraient-ils prêtés complaisamment à une opération de propagande américano-israélo-turque?
Nous ne nous attarderons pas sur tous les idiots, de Joe Biden à Ursula von der Leyen en passant par Emmanuel Macron, qui se félicitent de la chute d’un dictateur. Au temps pour nous, nous allons nous appesantir sur François Hollande qui a armé ces djihadistes à partir de 2012, causant par contrecoup les attentats du Stade de France et du Bataclan en 2015.
C’est la beauté des réseaux sociaux. Il n’a pas fallu deux minutes pour que réapparaisse ce tweet officiel datant de 2017 par lequel la diplomatie américaine rappelle que le chef de “rebelles”, Abou Mohammad al-Jolani, leader du Front Al Nosra (les copains de Laurent Fabius et François Hollande) devenu Hayat Tahrir al-Cham est un terroriste sanguinaire qui a massacré de Bagdad à Idlib depuis vingt ans, qui est passé par Daech puis Al Qaeda, grand trafiquant de captagon, qui doit être traduit en justice. Une récompense de 10 millions de dollars est offerte à toute personne disposant d’information à son sujet. Elle est toujours valide.
Mais pour Le Parisien, autre média en déconfiture totale (24 millions de pertes en 2024), al-Jolani est un “radical pragmatique”…
Ce n’est pas parce que Al Jolani a taillé sa barbe, a troqué le turban contre une casquette et s’habille comme Zelensky qu’il a abandonné son idéologie mortifère. Il cherchera à imposer par la violence la charia dans un pays auparavant laïc, où toutes les confessions avaient droit de cité et où aucun dogme religieux ne s’imposait à personne. Ce qui garantissait une forme de paix civile et prévenait les conflits sectaires. Le régime baasiste n’était pas plus brutal que le saoudien ou l’égyptien. Trêves de moraline, il s’agit de constater la réalité.
Ce qui vient de se passer en Syrie est le résultat d’une action américano-israélo-turque financée par le Qatar. C’est du moins ce qu’on voudrait nous faire croire : en fait personne n’avait rien vu venir, non pas de l’offensive djihadiste coordonnée par Washington mais du retrait de l’armée syrienne sans combattre face à ce qui ne serait qu’une tentative de reprendre le terrain conquis par les troupes de Bachar al Assad en 2020. Les “rebelles”, des terroristes étrangers dans leur écrasante majorité, ont enfoncé des portes ouvertes jusqu’à Damas.
La relative passivité russe n’a rien de surprenant non plus. Depuis quatre ans, Moscou pousse Bachar Al Hassad à normaliser ses relations avec la Turquie, sans succès. Contrairement à nous Occidentaux avec l’Ukraine et Zelensky, les Russes ne soutiennent personne “tout le temps qu’il faudra”. Le Kremlin vient-il de poser un gigantesque piège pour l’Union européenne qui, comme en Ukraine, paiera les pots cassés par les Etats-Unis sous la forme d’une nouvelle crise migratoire et d’un risque terroriste insoutenable ? La Syrie sera t-elle à l’UE ce que l’Afghanistan fut à l’Union soviétique ?
Tout au Proche et Moyen Orient tourne autour de deux pays : l’intrus qu’est Israël, aujourd’hui très affaibli militairement après ses défaites stratégiques face au Hamas et au Hezbollah, et la plus grande puissance régionale qu’est l'Iran. Dès le 12 octobre 2023, nous mettions en évidence les pièces et la mécanique du jeu qui se joue sous nos yeux.
“Quel intérêt aurait l’Iran d’aider le Hamas à massacrer des civils innocents en Israël ? Aucun puisque la République islamique bénéficie grandement, certes de manière indirecte - tout l’est au Moyen Orient - des accords d’Abraham menant vers la reconnaissance de l’Etat d’Israël par l'Arabie Saoudite. C’est ce mouvement de détente régionale amorcé en 2017 qui a permis le rapprochement de l’Iran et de l’Arabie Saoudite facilité par la Chine, mettant un terme à la guerre séculaire qui oppose chiites et sunnites - enfin, la guerre avec certains sunnites.
Le premier et principal financeur du Hamas est le Qatar, QG mondial des frères musulmans. Qatar qui finance également l’expansion militaire turque au Moyen Orient et en Afrique. Turquie gouvernée par une alliance entre les frères musulmans et l’extrême droite pantouraniste issue des réseaux “Stay Behind” de l’Otan, donc des actions durant la guerre froide de la CIA et de l’Otan. Le Qatar finance également toutes les organisations djihadistes à l’échelle du continent africain, le régime libyen et bon nombre des milices qu’on y trouve.
Avec la Turquie qui ambitionne de devenir la première puissance sunnite et le Qatar qui joue un jeu à la fois idéologique et d’influence par le carnet de chèque, nous avons deux pays fréristes résolus à faire échouer les accords d’Abraham, qui verrait alors un bloc perso-arabe auquel Israël ne serait pas hostile se solidifier. Mission accomplie ? L’Arabie Saoudite a t-elle déclaré soutenir le Hamas pour faire payer à Netanyahu le prix de son instrumentalisation de la milice frériste pendant plus de deux décennies, frères musulmans qui sont les ennemis jurés du Royaume wahhabite et d’à peu près tous les pays de la région ? ”
Manque plus qu’à rajouter un acteur: le gouvernement israélien criminel de Netanyahu et des fous kahanistes, aujourd’hui dans une profonde panade tant sur le plan intérieur que militaire. La réconciliation chiite-sunnite constitue le plus grand danger à la réalisation de leur “grand Israël”. D’où la convergence d’intérêts avec la Turquie, pressée de régler leur compte aux Kurdes syriens. Et puis il y a le plateau du Golan, s’accaparer l’eau…
A Washington, c’est Israël qui décide bien plus que Joe Biden. Israël, pays aujourd’hui ruiné aurait été laminé depuis belle lurette sans le soutien américain. On nous dit que l’axe de la résistance est désormais fracturé, que l’arc chiite est brisé, que le Hezbollah est coupé de ses lignes d’approvisionnement. C’est oublier que la milice chiite libanaise, alors qu’on nous affirme qu’elle a été décapitée, vient d’infliger à Tsahal une défaite encore plus cuisante qu’en 2006. Les armes, c’est comme l’argent, elles n’ont ni odeur ni frontière.
Que va t-il advenir de la Syrie? Le général de Gaulle avait dit en 1963 : “Des pays comme le Liban, l'Irak ou la Syrie ont toujours été divisés. Les Druzes se sont toujours disputés avec les Maronites, lesquels ne se sont jamais entendus avec les Alaouites. Ni, en Irak, les Sunnites avec les Chiites, ou avec les Kurdes. Ce sont des pays voués à la division, parce qu'ils comportent des peuplades tout à fait différentes, qui n'ont pas la même langue, le même culte, le même passé, et qui ne se supportent pas mutuellement. Vouloir les unifier sous un seul sceptre est une prétention surhumaine. Ces gens ne voudront jamais être gouvernés que par un des leurs. Là encore, c'est parler pour ne rien dire. Nasser fait semblant d'unir, mais l'unité n'a pas de réalité profonde. C'est du vent.”
Si l’analyse du grand Charles est bonne, en revanche balayer le nationalisme arabe d’un revers de main était une erreur. Il aurait fallu dans l’absolu que cette expérience eut lieu et que nos amis arabes en tirent eux-mêmes les leçons.
Que pourrait-il bien survenir dans un pays mis à feu et à sang pendant treize ans du fait d'une énième opération de changement de régime américaine, où l’on a déversé des centaines milliers de tonnes d’armes en tout genre pour équiper des milices ethniques, sectaires et terroristes ? Afin de garantir à son client, l’Etat hébreu, une illusoire profondeur stratégique, les Etats-Unis ont une fois encore passé l’Europe par pertes et profits. Europe qui se retrouvera seule confrontée aux conséquences désastreuses d’une situation syrienne qui ne pourra qu’empirer, ne serait-ce que du fait que les Turcs ont bien l’intention de faire la peau des Kurdes du YPG, la branche armée du parti de l'union démocratique kurde en Syrie.
Contrairement à ce que les médias nous serinent, l’Iran n’est pas affaibli. Son potentiel tant économique que militaire reste intact. Le régime des mollahs n’est en rien menacé. Téhéran peut toujours infliger par des moyens conventionnels des dégâts considérables à l’Etat hébreu. La mer Rouge, voie maritime critique, reste toujours interdite au commerce occidental.
Le blob washingtonien - l’Etat profond diront certains - a tout fait pour savonner la planche à Donald Trump mais l’effondrement du régime syrien - qui n’était pas prévu puisque la guerre perpétuelle nécessite des ennemis perpétuels - va au contraire lui permettre, comme le dit Gilles Kepel, de distribuer des prix et de se retirer de cet innommable bourbier qu’est la Syrie.
Les néoconservateurs n’ont toujours pas compris que la subversion doit toujours se conserver à un niveau sub-critique, sinon elle vous explosera à la figure.