Délinquant en col blanc et ambassadeur, même combat
La nomination de Charles Kushner au poste d'ambassadeur des Etats-Unis en France est plus que problématique.
Celle-là, nous ne l’avons pas vu venir. Donald Trump vient de nommer ambassadeur des Etats-Unis en France Charles Kushner, le père de son beau-fils Jared Kushner, l’époux de sa fille Ivanka.
Le népotisme n’est pas inhabituel aux USA pour obtenir de tels postes. Il suffit d’avoir été un gros donateur et/ou d’avoir œuvré “à haut niveau” à la campagne du président élu. C’est déjà le cas de l’actuelle ambassadeur américain en France Denise Campbell, qui n’est pas une diplomate expérimentée comme la présente la presse française, qui n’a d’autre qualification que d’être une dame de la haute société de San Francisco ayant collecté des millions de dollars pour les deux campagnes présidentielles de Barack Obama. Elle fut également la présidente des Femmes pour Biden en 2020.
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Grand financeur du parti démocrate, Charles Kushner a été condamné en 2004 par la Commission électorale fédérale à une amende de 509 800 dollars pour financement illégal de campagne électorale. En 2005, poursuivi par le procureur fédéral du district du New Jersey, il plaidé coupable de 18 délits : multiples financements illégaux de campagne électorale (du parti démocrate), fraude fiscale et subornation de témoin. Cela lui a valu vingt-quatre mois de prison ferme, peu cher payé, mais 24 mois tout de même. Il en passa quatorze dans le pénitencier fédéral de Montgomery en Alabama et compléta sa peine dans un centre de réinsertion du New Jersey.
Charles Kushner est un type sympathique, doux et délicat. Il avait recruté une prostituée afin de piéger son beau-frère qui coopérait avec les autorités fédérales, de filmer les ébats et d’envoyer la vidéo à son épouse, sa propre sœur. D’où la subornation de témoin.
A l’époque, le procureur fédéral qui avait diligenté les poursuites n’était autre que Chris Christie, qui devait être élu en 2009 gouverneur du New Jersey et par deux fois pressenti pour être le candidat républicain à la présidence des USA. Adversaire malheureux de Donald Trump lors de la primaire de 2016, il finit par le rallier. Ce qui ne lui rapporta strictement rien puisqu’il ne fit ni partie de son équipe de transition ni de son administration. Forcément, il avait poursuivi le père du beau-fils du président…
Chris Christie avait déclaré au moment de la condamnation de Charles Kushner : “Le tribunal a remis M. Kushner à sa place. Il s'était manifestement convaincu que son pouvoir, son influence et sa richesse immense le plaçaient au-dessus des lois”.
Il a eu manifestement tort puisque le mariage de son fils, sa fortune et son influence ont permis à Charles Kushner d’obtenir une grâce présidentielle accordée par Donald Trump en 2020 juste avant son départ de la Maison Blanche. Ça aussi, les grâces présidentielle le dernier mois du mandat, une vieille tradition américaine, le recordman du genre ayant été Bill Clinton qui avait une fondation à financer.
Outre le fait que cette nomination illustre tout le bien que Donald Trump pense d’Emmanuel Macron et l’importance que revêt la France à ses yeux - le refrain de “renforcer nos liens avec notre plus vieil allié” qui n’est qu’une couche de mépris supplémentaire - Charles Kushner et sa famille posent de sérieux problèmes.
Charles Kushner est un corrupteur - il a été condamné pour - et la famille Kushner est connue pour avoir des méthodes peu orthodoxes. Jared Kushner, qui avait hérité de la direction de l’entreprise familiale quand son père était en prison, était en grande difficulté financière après avoir racheté à grand coup de dettes en 2007 l’immeuble le plus cher de l’histoire des Etats-Unis, le 666 Fifth Avenue, pour 1,8 milliard de dollars. Il dut en revendre la moitié très largement en dessous de son prix d’achat et a cherché à redresser ses affaires avec des investisseurs extérieurs et étrangers.
“Haut conseiller spécial” de Donald Trump lors de son premier mandat, Jared Kushner avait réussi à s’immiscer dans le processus de négociation des accords d’Abraham. Il fut également le défenseur acharné à la Maison Blanche de Mohammed ben Salman (MBS) qui n’était pas en odeur de sainteté aux USA, surtout après l’assassinat et le dépeçage en 2018 de Jamal Khashoggi par les services saoudiens dans le consulat du royaume à Istamboul. Jamal Khashoggi à qui Mohammed ben Salman a interdit d’exercer son métier de journaliste en 2016 … pour avoir ouvertement critiqué Donald Trump.
Quelques mois après avoir quitté la Maison Blanche, Affinity Partners, le fonds d’investissement que Jared Kushner venait de créer, a reçu deux milliards de dollars d’encours du fonds souverain saoudien, afin d’investir dans des entreprises américaines et israéliennes. Les gestionnaires du fonds souverain saoudien avaient déconseillé cet investissement au motif qu’il allait seul encourir les risques, que les honoraires de gestion étaient trop élevés, que la due diligence effectuée sur Affinity Partners était insuffisante, et enfin que Jared Kushner ne disposait pas de l’expérience nécessaire et représentait à leur yeux un risque réputationnel du fait de ses fonctions passées de conseiller de Donald Trump. Le conseil d’administration présidé par MBS passa outre. D’après les comptes publiés, depuis 2021, Affinity Partners a facturé 157 millions d’honoraires de gestion pour 2,5 milliards d’encours sans verser un centime de dividende à ses investisseurs.
N’est-ce pas Jared Kushner qui s’est félicité en février dernier de l’excellente qualité du foncier disponible en bord de mer à Gaza ? Vu l’évolution des conflits au Proche et Moyen Orient et le soutien sans faille apporté à Israël par les Etats-Unis qui ne devrait pas fléchir sous l’administration Trump, et étant donné la position saoudienne sur le sujet qui qualifie de génocide les massacres israéliens à Gaza, il semblerait que les affaires de Jared Kushner vont péricliter voire s’avérer un boulet pour la future administration Trump tant MBS aura de prise sur le beau-fils du président.
A moins que soient offertes à Riyad des contreparties et concessions suffisamment alléchantes. Ayons l’esprit chagrin: la décision de ne pas exécuter le mandat d’arrêt de la CPI émis contre Netanyahu ne serait-elle pas liée à cette nomination dont Emmanuel Macron a été forcément mis au fait avant son annonce ?
Il est à espérer que le Congrès aura la présence d’esprit de ne pas confirmer Charles Kushner au poste d’ambassadeur des Etats-Unis en France, ou encore mieux, que Donald Trump y renonce lui-même. Si Charles Kushner était malgré tout confirmé à ce poste, il faudrait que nous ayons, nous, la présence d’esprit de refuser de recevoir ses lettres de créances, car si on voit le fils débarquer derrière le père, c’est pillage et magouilles assurées dans tout Paris, la Côte d’Azur et les stations de ski (ah, les JO de 2030…). Mais le niveau de servilité et de corruption de “l’élite” française autorise-t-il encore la présence d’esprit ?
Ce qu’on peine à comprendre est que la corruption n’est pas tant le fait de Donald Trump que celui d’une partie de son entourage proche, à commencer par les Kushner. Et cela ne saurait constituer la base de saines relations avec “le plus vieil allié et l’un des meilleurs” des Etats-Unis.