[ Flash ] Les Alpes à fleur d'eau
La justice a suspendu les travaux de la retenue collinaire de La Clusaz en Haute-Savoie. Derrière la question de la ressource en eau, l'immobilier ne se tarit pas.
En suspendant l’arrêté préfectoral qui avait autorisé la réalisation d’une retenue d’eau à La Clusaz, la justice a d’abord estimé qu’il n’y avait pas urgence à démarrer les travaux. Il faudra donc attendre le jugement au fond pour savoir si oui ou non cette commune de Haute-Savoie pourra construire un 5e bassin visant à l’alimenter en eau potable, à développer l’irrigation mais surtout à étendre son réseau de neige artificielle et arroser les 33 hectares de pistes supplémentaires.
« L’intérêt public qui découle de la réalisation d’une retenue collinaire essentiellement destinée à assurer l’enneigement artificiel de la station est insuffisant à remettre en cause l’urgence qui tient à la préservation du milieu naturel et des espèces qu’il abrite, avec des conséquences qui ne seraient pas réversibles, au moins à moyen terme », souligne le tribunal administratif de Grenoble dans son ordonnance de référé.
Le projet, de de 148 000 mètres cube, prévu sur le plateau de Beauregard est particulièrement contesté. Collectifs, pétition et même Zad se sont constitués pour faire bloc. Pour les associations de protection de l’environnement qui ont porté le dossier devant les tribunaux, c’est un premier soulagement alors que les travaux devaient démarrer de manière imminente.
« Le dossier pourra maintenant être étudié en détail par la justice, afin d’aboutir à un jugement au fond sur l’ensemble des points contestés par les associations », soulignent France Nature Environnement Auvergne Rhône-Alpes, France Nature Environnement Haute-Savoie, La Nouvelle Montagne, Mountain Wilderness France et la Ligue de Protection des Oiseaux Auvergne Rhône-Alpes dans un communiqué commun.
« Le signal envoyé aux communes et stations de montagne est sans appel . La production de neige artificielle pour gagner quelques années sur le changement climatique et prolonger le modèle du “tout ski” ne peut pas justifier la destruction d’habitats, d’espaces naturels et d’espèces protégées ».
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Car derrière, c’est bien de développement dont il s’agit. La Clusaz n’en est qu’un exemple. A L’Alpe d’Huez, aux Deux Alpes ou à Albiez, les projets de retenue d’eau ou de liaisons tentent de maintenir à flot des stations dont le modèle tel qu’il est conçu depuis ses débuts, et qui se perpétue surtout, se heurte à des préoccupations grandissantes, tant sociales qu’environnementales.
D’autant qu’à La Clusaz, d’autres retenues d’eau sont dans les cartons. Sur le Danay ou sur le versant est du Lachat.
« Le but actuellement est de faire du fric, à tout prix et à n’importe quel prix. Quant on sait tout ce qui est derrière tout cela (une 6e retenue au Danay, de nouveaux immeubles avec des lits froids évidemment mais qu’importe, club Med qui n’est que gelé ….) », écrivait un moniteur de ski, sous le couvert de l’anonymat, lors de l’enquête publique.
Car c’est bien l’immobilier qui mène la danse. « Les prix continuent à grimper, la pression foncière est énorme », comme le soulignait dans nos colonnes en octobre 2021 Valérie Paumier, à la tête de l’ONG et think thank Résilience Montagne. « A La Clusaz, le foncier se négocie à 14 millions d’euros pour 80 logements, soit un prix de sortie de 12 à 14 000 euros le m2 et on n’est qu’à La Clusaz ! A ce prix là, on vend du ski au pied ».
Reste à attendre le jugement au fond. En attendant, les associations espèrent plus de concertation. Manifestement, les Etats généraux de la transition du tourisme en montagne en septembre 2021, à l’initiative notamment de Mountain Wilderness ont, pour l’heure, accouché d’une souris et pas beaucoup permis de faire évoluer les prises de conscience.
« Ça fait quarante ans que c’est écrit dans tous les rapports y compris les rapports officiels : c’est l’immobilier qui tire le système. Il faut prendre conscience qu’on ne vit pas du tourisme mais de l’immobilier », souligne Philippe Bourdeau, professeur et chercheur à l’Institut d’urbanisme et de géographie alpine de l’Université Grenoble Alpes, interviewé dans Lama Project, un laboratoire d’idées dédié à la transition dans les stations de montagne.
« Ce n’est pas au cœur du système que les choses vont s’inventer, car le système cherche avant tout à se perpétuer lui-même. C’est à la périphérie, dans les marges, au sein d’acteurs minoritaires auxquels on ne prête pas attention, que s’inventent des solutions de rechange. Et l’enjeu est que ces solutions puissent contaminer suffisamment le modèle dominant pour le transformer. Il faut sortir du mythe de la station qui sauve la montagne. »