La menace de la censure par voie d'ONG
Devant le Congrès, le journaliste américain Michael Shellenberger défend une protection ferme de la liberté d’expression dans la politique étrangère et commerciale des États-Unis.
Notre confrère Michael Shellenberger, qui a édité avec Alex Gutentag les Twitter Files France, était auditionné le 9 septembre par la Commission des affaires étrangères de la Chambre des représentants américaine à propos des risques que font peser les politiques de censures en Europe, au Brésil et ailleurs sur l’ensemble des démocraties libérales. Il nous a autorisé à traduire son intervention, dont l’original en anglais est ici.
Dans notre rubrique Réflexions libres, les propos des auteurs n’engagent qu’eux-mêmes et ne reflètent en aucun cas les opinions de L’Eclaireur, au-delà de notre choix, que nous jugeons nécessaire, de leur donner la parole dans un soucis de pluralisme et de meilleure compréhension du monde.
L’image que beaucoup ont des organisations non gouvernementales (ONG) est positive. Elle sont perçues comme indépendantes des gouvernements. Nous les considérons comme apolitiques et non idéologiques, dégagées des biais et des passions partisane. Nous les imaginons comme des acteurs dévoués aidant les plus démunis et soucieux de l’intérêt général, et non d’intérêts particuliers ou politiques.
Pourtant, il existe aujourd’hui de nombreuses preuves montrant que certains gouvernements financent, et parfois même créent, des ONG afin de promouvoir une censure motivée politiquement, anticonstitutionnelle et antidémocratique. Des journalistes, des chercheurs et moi-même avons documenté la manière dont, aux États-Unis, en Europe et au Brésil, des Etats et leurs services de sécurité et de renseignement ont recours à ces méthodes, qui consistent à collaborer avec des ONG déjà existantes ou nouvellement fondées pour contourner les garanties constitutionnelles de la liberté d’expression — y compris le Premier Amendement américain — et donner l’apparence de neutralité à des initiatives en réalité profondément politiques et idéologiques. Ce phénomène mérite le nom de « censure par procuration ».
En soulignant cela, je ne cherche pas à condamner les ONG dans leur ensemble, ni à justifier une répression de la société civile, ni à plaider pour de nouvelles lois visant à les contrôler. Je suis moi-même fondateur et membre du conseil d’administration d’une ONG, j’ai travaillé avec des ONG depuis trente ans. Je pense qu’il faut exiger beaucoup plus de transparence et peut-être, un jour, de nouvelles règles. Mais mon propos aujourd’hui n’est pas de défendre une réforme de ce secteur.
Je souhaite plutôt attirer l’attention sur les abus de pouvoir commis par la communauté du renseignement et par certains décideurs politiques, qui ont choisi de confier à des ONG partisanes le rôle de censeurs de contenus protégés par le Premier Amendement, sur les réseaux sociaux tels que X, Instagram ou Facebook. Je le fais car, à ce moment précis, l’administration Trump négocie des accords commerciaux avec des pays qui exigent une censure de masse. Il est essentiel que le Congrès prenne conscience du rôle pernicieux de certaines ONG dans ce que l’on peut à raison appeler le « complexe industriel de censure », et que la commission des affaires étrangères défende de solides garanties pour la liberté d’expression dans le cadre de la politique étrangère et commerciale des États-Unis.
La censure par procuration fonctionne de la même manière partout. Des ONG se présentant comme indépendantes, mais en réalité financées, créées ou pilotées par des gouvernements, réclament la suppression de contenus en s’appuyant sur leurs « rapports indépendants », leurs « vérifications des faits » ou leurs « analyses ». Or, ces prétendues vérifications relèvent souvent elles-mêmes de la désinformation, présentant des opinions comme des faits. Comme l’a rappelé le journaliste Matt Taibbi lors de son témoignage devant le Congrès en 2023, « la majorité des demandes de censure ne provenait pas directement du gouvernement ».
Voici quelques exemples de thèmes ayant fait l’objet de telles manipulations : l’hypothèse d’une fuite de laboratoire à l’origine du Covid, les effets secondaires des vaccins, l’impact du changement climatique sur les récifs coralliens, les phénomènes météorologiques extrêmes ou la disparition de la banquise arctique, l’authenticité de l’ordinateur portable de Hunter Biden, la participation d’hommes biologiques aux compétitions féminines, ou encore les effets négatifs de la médecine transgenre, notamment les traitements hormonaux et chirurgicaux pratiqués sur des mineurs. Après avoir diffusé des informations mensongères sur ces sujets, des ONG ont ensuite exigé la censure de ceux qui leur portaient contradiction.
Partout dans le monde, des responsables politiques ont poussé à l’établissement de liens privilégiés entre des ONG militantes et les plateformes numériques. Twitter et Facebook ont ainsi mis en place des « portails » spéciaux permettant à des ONG subventionnées par les États de signaler directement les contenus à supprimer. Ces ONG, souvent dirigées par d’anciens militaires ou officiers de renseignement, ont obtenu la mise en œuvre de vastes campagnes de censure, imposant les récits qu’elles jugeaient légitimes et éliminant ceux qu’elles considéraient indésirables.
Aux États-Unis, en France, au Brésil et ailleurs, diverses initiatives législatives, réglementaires et judiciaires ont visé à obliger les réseaux sociaux à partager des données des ONG sélectionnées par les pouvoirs publics. L’objectif était de permettre à ces ONG d’exiger secrètement des « modérations de contenu », c’est-à-dire des censures, à partir de ces données, en évitant tout débat public sur les critères appliqués. Dans certains cas, comme avec les tweets associés à « #StopTheSteal » après l’élection présidentielle américain de 2020, la censure a pris la forme d’une réduction discrète de la visibilité (« désamplification ») plutôt que d’une suppression.
Depuis longtemps, la communauté du renseignement utilise des organisations-écrans et collabore avec de grandes fondations philanthropiques pour masquer le financement de leurs opérations d’influence. Nos enquêtes ont révélé que les mêmes fondations privées — celles de George Soros (Open Society Foundations), de Pierre Omidyar ou encore de Craig Newmark — apparaissent régulièrement comme mécènes des ONG de contrôle du discours public, en parallèle de subventions publiques.
Depuis son arrivée au pouvoir, le président Trump s’est attaqué au complexe industriel de censure, notamment en coupant les financements de l’USAID.
Malheureusement, ces pratiques persistent à l’étranger, avec toujours le même objectif : imposer une censure sur les réseaux sociaux, y compris ceux utilisés par les Américains. Ainsi, le 5 septembre dernier, X rapportait qu’un juge brésilien avait exigé non seulement la suppression de contenus jugés illégaux au Brésil, mais aussi leur suppression à l’échelle mondiale, sous peine de lourdes amendes.
Le même phénomène se reproduit en Europe. L’an dernier, Thierry Breton, principal responsable de la régulation numérique de l’UE, a averti Elon Musk qu’une interview de Donald Trump sur X pourrait enfreindre la loi européenne sur les services numériques (DSA). De nombreux analystes s’attendent à ce que l’Union européenne exige des retraits mondiaux de contenus, au motif que ses citoyens pourraient y accéder via un VPN. Au Royaume-Uni, la nouvelle loi sur la sécurité en ligne (Online Safety Act, OSA) a déjà conduit un réseau social américain à se retirer du pays pour éviter des coûts de conformité trop élevés.
On observe déjà ce que l’on appelle « l’effet Bruxelles » : le poids économique de l’UE incite même les plus grandes entreprises américaines, comme Google ou Meta, à appliquer aux États-Unis les exigences européennes en matière de censure, pour des raisons politiques et financières. Des courriels internes, obtenus et publiés par le Congrès, montrent que des dirigeants de Facebook se sont sentis contraints de répondre aux demandes de censure de la Maison-Blanche afin de lever une interdiction européenne sur le transfert des données d’utilisateurs vers des serveurs américains.
En juillet 2021, après qu’un haut responsable de la Maison-Blanche eut exigé davantage de suppressions de contenus, Nick Clegg, vice-président de Facebook chargé des affaires mondiales et de la communication, a demandé à ses collègues de s’y conformer. Pourquoi ? Parce qu’il y avait, selon lui, des « enjeux bien plus importants à régler avec l’administration, notamment la question des flux de données ».
L’administration Trump et le Congrès devraient considérer la protection du Premier Amendement comme une condition non négociable dans tout accord commercial avec l’Europe, le Brésil ou d’autres nations. Les Américains ont l’obligation, au titre de l’OTAN, de protéger ses membres ; mais la charte de l’Alliance exige de ses États membres qu’ils respectent « la démocratie, la liberté individuelle et l’État de droit ». Si des membres de l’OTAN, tels que la Grande-Bretagne, la France ou l’Allemagne, renoncent à défendre la liberté d’expression et la démocratie, alors les États-Unis devraient reconsidérer leur participation à l’OTAN. J’exhorte donc le Congrès à affirmer sans ambiguïté son soutien à une protection ferme de la liberté d’expression dans la politique étrangère et commerciale des États-Unis.
Dans l’immédiat, nous devons réviser notre perception de la plupart des ONG militantes. Beaucoup ne sont pas de véritables organisations de la « société civile », mais entretiennent des liens directs avec les Etats. Elles sont en réalité gouvernementales plutôt que non gouvernementales. Nombre d’entre elles sont politiques et idéologiques. Ce sont précisément ces ONG qui, à travers le monde, ont joué un rôle actif dans les appels à la censure. Toute personne attachée à la liberté d’expression et à la démocratie doit non seulement soutenir l’arrêt du financement public de ces ONG, mais aussi exiger une enquête approfondie sur leurs sources de financement, leur gouvernance et leurs pratiques, car elles constituent une menace directe pour nos libertés fondamentales.
You say that the U.S. has made a start in eliminating government-sponsored NGOs by eliminating AID. But the overwhelming majority of the AID supported NGOs had no political agenda. Rather, they focused on real problems in many countries. Their grants specifically forbid interference in local affairs. AID was eliminated, not because of waste (though there is some), fraud, or abuse, or undue political interference. AID was eliminated because it DID NOT provide an avenue for the incoming Administration to project its political agenda to other countries.
The Voice of America, which is a government-sponsored broadcaster, is being censored for the first time in its history. It was under attack in the first Trump Administration for not promoting Christian values. Now it is operating only by reason of the Courts. If the Supreme Court endorses the Administration’s plans, Voice of America will either be eliminated (as its Director has indicated) or censored to adhere to an “America First” perspective.
One doesn’t censor free speech or news reporting in order to support the First Amendment.
One doesn’t “favor” one political view over another in social media algorithms to support the First Amendment.
And one doesn’t seek to interfere in the social media of other countries in the guise of protecting the First Amendment. Russia, China, Iran and others are already doing that with U.S. social media as it is.