L’article original publié en anglais est ici.
Michael Shurkin est l'archétype du "professionnel" du complexe militaro-industriel américain et de l’Etat de sécurité nationale. Il coche toutes les cases. Gardez à l'esprit que le complexe militaro-industriel américain inclut le Pentagone, la communauté du renseignement des États-Unis, les entreprises de défense, la Big Tech, un tas de think tanks et des universités de la Ivy League. Le Dr. Shurkin n'a jamais vu de combat ni de zone de guerre active de toute sa vie, selon sa biographie sur le site de The Royal United Services Institute.
Le Dr Michael Shurkin est un analyste et chercheur avec une longue carrière dans la sécurité nationale, se concentrant sur l'Afrique de l'Ouest, la France et l'Europe.
Actuellement directeur des Programmes Mondiaux chez 14 North Strategies, un cabinet de conseil en gestion des risques basé au Sénégal, le Dr Shurkin est également Fellow Senior au Conseil atlantique. Il a servi comme analyste politique à la Central Intelligence Agency et a passé 11 ans en tant que scientifique politique senior à la RAND Corporation.
Il possède un doctorat en histoire européenne moderne de l'Université de Yale (note du traducteur : le terrain de recrutement préféré de la CIA) et un baccalauréat en histoire de l'université de Stanford. Il a également étudié à l'École des Hautes Études en Sciences Sociales à Paris (note du traducteur : selon les informations dont nous disposons, il y a passé un semestre).
Il est à noter que nous, en France, avons été assez stupides pour décerner l'Ordre national du mérite au Dr. Shurkin, un agent de la CIA. Nous peinons à comprendre ce qu'il aurait pu faire pour la France. L'Ordre national du mérite, lorsqu'il est attribué à un étranger, est une médaille en chocolat. L'Ordre national du mérite, comme la Légion d'honneur, est une "fraternité" dans laquelle seuls les ressortissants français peuvent être reçus.
Le Dr. Shurkin vient de publier la vidéo ci-dessous sur sa chaîne YouTube - ne riez pas - Pax Americana (comme son Substack), intitulée "L'Art de la guerre à la française". Il va sans dire que son contenu dénote une arrogance que l'on ne trouve qu'à Washington.
Il a co-rédigé en 2021 (avec David A. Ochmanek, ancien haut fonctionnaire politique nommé sous l'administration Obama au Pentagone, et Stéphanie Pezard, ressortissante française) un rapport pour la RAND Corporation intitulé "Un allié fort mis à rude épreuve, une vue d'ensemble des capacités de défense de la France sous l'angle du partage des charges".
Ce rapport nous avait fait bondir à sa sortie pour deux raisons :
1 - Il dépeignait la France et d'autres nations européennes comme essentiellement subordonnées, des “proxies” dépourvus de véritable souveraineté.
2 - Il annonçait la guerre en Ukraine, provoquée par les États-Unis, et suggérait que nous serions obligés d'y participer malgré le fait que cette guerre ne serve que les intérêts américains, et non ceux de la France ou du reste de l'Europe.
À cette époque, nous avions rédigé l'article suivant.
En quoi un rapport de la RAND Corporation peut-il être utile à la France ?
La France est une alliée, pas une "partenaire". Les guerres ne sont pas menées par des cabinets d'avocats et des cabinets de conseil en affaires mais par des nations.
Le1er juillet 2021.
Nous avons toujours été abasourdis par les think tanks américains, en particulier ceux financés par des fonds publics. Pas parce que leurs rapports manquent de profondeur ou d'intérêt, ni parce que leurs auteurs sont intellectuellement limités : ils ne le sont pas.
Notre étonnement vient de la manière dont ces think tanks financés par le gouvernement fédéral exposent en direct les intentions de l'administration américaine tout en étant toujours perçus par le public comme l’œuvre d’experts neutres et objectifs.
Soyons clairs : pas de réaction nationaliste ou épidermique ici. Notre inquiétude est sincère. Nous craignons de voir où cela mène…
Quel est l’intérêt d'analyser les capacités militaires françaises à partir d'un scénario extrêmement improbable ?
Quand je lis dans un rapport intitulé "Un allié fort mis à rude épreuve" que "la France pourrait soutenir un effort de guerre mené par les États-Unis en Europe de l'Est maintenant ou dans les dix prochaines années", je vois cela comme le travail de stratèges de salon de Washington, D.C., poussant un agenda. Les auteurs incluent un ancien analyste politique de la CIA (qui a passé un semestre à l'EHESS de Paris), un ancien sous-secrétaire adjoint de la Défense pour le développement des forces sous l'administration Obama, et, pour compléter l'équipe, une chercheuse française, ancienne de le Small Arms Survey à Genève.
Croire que la France en tant que nation tombera dans ce piège serait soit naïf, soit excessivement arrogant, sauf que les médias mainstream français, connus pour leurs bas standards journalistiques et leurs tendances masochistes, se sont précipités dans le piège avec des titres comme "Un think tank américain critique sévèrement l'armée française".
Qu'est-ce que le "partage des charges" ? Aucun pays ne va à la guerre pour porter le fardeau d'un autre. Les membres d'une coalition militaire ou d'une alliance partagent avant tout des intérêts stratégiques, des objectifs et des intentions. Il n'est ni ne sera jamais dans l'intérêt de la France et de l'Europe de se mettre sur une trajectoire de collision avec la Russie.
Quelle est la probabilité d'une guerre conventionnelle, longue et de haute intensité, dirigée par les États-Unis en Europe de l'Est dans la prochaine décennie ? Aucune. A moins de la provoquer
Et c'est bien moins probable qu'une guerre civile ne se déclenche en France. La grande majorité du public français ne soutiendrait pas une guerre contre la Russie, et l'opposition serait plus forte, plus résolue et plus agressive que pour l'invasion illégale de l'Irak en 2003. Tout va bien : la Russie n'a ni l'intention ni les capacités d'envahir l'Europe de l'Ouest.
Pourquoi analyser les capacités militaires françaises sous l'angle d'un scénario improbable ? Quel est l'intérêt quand l'armée française n'est pas principalement configurée pour cet événement improbable ?
L'administration Biden a adopté la même position que l'administration Obama vis-à-vis de la Russie, alimentée par les délires néoconservateurs. Qu'est-ce que cela nous dit sur l'administration Biden ? Qu'elle s'efforce de déclencher une guerre avec la Russie, probablement à travers un ou plusieurs proxies et aux dépens de tous les autres membres de l'OTAN et des économies européennes.
Sa stratégie consiste de faire pression sur des politiciens français faibles (et Emmanuel Macron est notoirement faible) pour qu’il configurent une armée française qui complète les États-Unis dans le seul but de servir les intérêts américains.
Son objectif est de détourner la France de sa doctrine stratégique de longues opérations extérieures, en profondeur mais de taille relativement petites, soutenues par la marine, la force aérienne et les capacités amphibies les plus puissantes d'Europe.
Son objectif est de gagner le contrôle stratégique au bénéfice de la marine américaine sur le domaine maritime français, le deuxième plus grand au monde.
Il y a aussi l'intention de démanteler des parties de l'industrie de défense française, une concurrente majeure des États-Unis, avec l'aide de l'Allemagne.
Qu'y a-t-il entre la France et l'Europe de l'Est ? L'Allemagne. Le pays dont près de la moitié des dépenses de défense sont de facto financées par les contribuables américains, et qui a hésité à engager ses troupes dans des combats en Afghanistan.
Si vous parlez à n'importe quel officier ou soldat américain ayant récemment combattu aux côtés de troupes françaises, voici ce que vous entendrez :
L'armée française est la seule armée européenne capable de fonctionner de manière indépendante n'importe où sans avoir besoin d'être transportée, réapprovisionnée et baby-sittée par les États-Unis.
L'armée française est la plus expérimentée au combat en Europe sur tous les terrains.
La France est la seule puissance européenne de l'OTAN à respecter ses engagements en matière de dépenses de défense. La plupart des problèmes énumérés dans le rapport RAND découlent de l'incompétence politique.
La France est le seul membre de l'UE avec des capacités ISR conséquentes et efficaces.
Si le "partage des charges" est le but de la manœuvre, n'est-il pas insensé d'encourager son plus ancien allié, qui possède l'armée la plus capable d'Europe, à devenir moins capable ?
Notre préoccupation est que l'administration Biden, comme toutes les administrations américaines depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale (à l'exception peut-être des deux administrations Nixon), préfère les lèche-bottes aux alliés.
Est-ce là ce qu'elle entend par "multilatéralisme" ? L'ingérence du secrétaire d’Etat américain Blinken dans les affaires consulaires de la France et du Royaume-Uni en est un signe, et ce rapport de la RAND, dirigé par un ancien haut fonctionnaire de l’administration Obama, l'amplifie.
Pardonnez notre langage, mais quand la merde passe par le ventilo, qui a besoin d'un lèche-botte ?
Il semble que notre analyse de juillet 2021 a mis en plein dans le mille. Washington a encore causé des centaines de milliers de morts par pure arrogance et incompréhension stratégique, et l'Europe en paiera la facture.
Le Dr. Shurkin a participé à générer la catastrophe que s’est avérée être la guerre en Ukraine, comme toutes les aventures militaires des États-Unis au cours des 80 dernières années (à l'exception de l'invasion de la Grenade et du Panama, deux ennemis féroces et puissants à la hauteur de l'armée américaine).
Nous, Français et Européens, en avons assez des néocons américains qui nous donnent des leçons. Ils ont une compréhension très superficielle et limitée du monde.
Voici mes commentaires sur le contenu de la vidéo du Dr. Shurkin, en gardant à l'esprit qu'il est de la CIA (une fois dedans, jamais dehors).
Parlez-vous couramment le français ? Manifestement non, vu votre difficulté à prononcer "Couteau-Bégarie", ce qui serait aussi simple pour un francophone que de prononcer "Michael Shurkin" pour un anglophone. Comment pouvez-vous prétendre comprendre la doctrine militaire française quand votre français est médiocre ?
Le livre de Couteau-Bégarie que vous citez, bien qu'excellent, est un cours général d'introduction à la stratégie et ne s'attarde pas spécifiquement sur l'approche française de la guerre. Il ne fournit aucun élément doctrinal qui ne soit pas publiquement disponible depuis des années.
Concernant vos sources, M. Yakovleff s’est répandu dans les médias mainstream depuis le début du conflit en Ukraine en décrivant l'armée russe comme mal dirigée, mal équipée et composée de moujiks avinés — déclarations qui reflètent son incompréhension de la réalité et la situation réelle. Il n'est pas reconnu comme un penseur militaire. De même, Michel Goya a écrit des livres pertinents d'un point de vue historique et tactique, mais il n'est ni stratégiste ni penseur militaire, ni un analyste particulièrement affûté, comme en témoignent ses commentaires dans les médias systématiquement erronés sur la guerre en Ukraine au cours des trois dernières années. Ni Yakovleff ni Goya n'ont eu une influence significative sur la doctrine ou la pensée militaire française.
Vous avez omis trois grands stratèges français d'après-guerre : Ailleret, Beaufre et Poirier. Vous ne mentionnez pas non plus des penseurs stratégiques contemporains comme l'amiral Jacques Dufourcq, qui ne s'engagerait pas avec vous de la manière dont les officiers et bureaucrates en uniformes sur mesure, que vous revendiquez comme vos sources, l'ont fait. Ceux qui contribuent activement au sein de l’armée française à la réflexion doctrinale n'offriraient rien de plus qu'une conversation polie et superficielle à un ancien analyste de la CIA maintenant à RAND.
Vous avez également négligé de discuter de figures influentes comme Hogard, Trinquier et Galula, dont le travail a profondément influencé la pensée militaire française, en particulier en minimisant l'importance de la puissance de feu et en façonnant son approche de la Coopération Civilo-Militaire (CIMIC), cruciale pour les opérations extérieures françaises (OPEX).
Votre vidéo semble biaisée et typiquement "américaine" dans le sens le plus négatif—reflétant une perspective néoconservatrice d'une personne ayant passé trop de temps dans des cocktails à DC.
Vous ne faites essentiellement que répéter le rapport de la RAND Corporation que vous avez co-rédigé en 2021.
Vous ne comprenez pas mieux la doctrine militaire française que les officiers français car vous ne faites pas partie de son processus de développement, qui est continu. Le commentaire que vous affirmez avoir reçu d'un général français est probablement une manière polie et ironique de vous dire de vous occuper de vos affaires.
Je vous suggère de refaire cette vidéo. Si Yale cautionne ce genre de travail idéologiquement biaisé, alors ses frais de scolarité ne sont pas justifiés.
Il est temps pour nous, Français, de réévaluer notre relation avec les États-Unis et de dire aux Yankees de rentrer chez eux, tout en aidant Donald Trump à assécher son marécage et en balayant préalablement devant notre porte pour purger les agents américains.
Je découvre l'article de 2019. L'analyse s'avère a posteriori presque prophétique.
Le sujet maintenant, c'est de savoir si et comment les néocons vont maintenir leur influence sur la pensée stratégique US, ou si et comment leurs adversaires dans le camp Trump vont les mettre hors-jeu.
Un danger qu'on peut prévoir, est que si les néocons se trouvent sur le recul aux US, ils se replieront dans l'écosystème de la pensée stratégique en Europe, où ils risquent fort de pouvoir développer une influence catastrophique, faute qu'il y ait une capacité de lutte structurée parmi les stratégistes qui se confrontent au néocons.