[ Opinion ] Le message de JD Vance à l'Europe : cessez votre guerre de l'information
La lutte de l'Etat profond américain contre son propre peuple est un conflit transnational dans lequel la Grande-Bretagne et l'Europe sont complices. C'est intolérable, avance N.S. Lyons.
L’intellectuel américain N.S. Lyons nous a autorisé à traduire et à publier une nouvelle fois un de ses textes, qui traite du principal grief qu’ont les Américains vis-à-vis de l’Europe. Il en conserve tous les droits d’auteur et de reproduction.
Comme nous le soulignons à L’Eclaireur depuis quatre ans ans, le complexe industriel de la censure mis en place par les élites transatlantiques (il s’est notamment traduit par l’inénarrable DSA) visait en premier chef à contourner le 1er amendement de la Constitution américaine, même si cela fait également les affaires des dirigeants européens. Or, aux Etats-Unis, on ne badine pas avec la Constitution et la liberté d’expression…
Les leaders européens seraient bien avisés de s’attacher à saisir ce que pose N.S. Lyons, parce que c’est un sentiment très majoritaire aux USA.
Dans notre rubrique Réflexions libres, les propos des auteurs n’engagent qu’eux-mêmes et ne reflètent en aucun cas les opinions de L’Eclaireur, au-delà de notre choix, que nous jugeons nécessaire, de leur donner la parole dans un soucis de pluralisme et de meilleure compréhension du monde.
Par N.S. Lyons
Les élites politiques européennes et anglo-saxonnes ont paru surprises par le discours direct et percutant prononcé par J.D. Vance à Munich le mois dernier. Le vice-président des États-Unis a affirmé que la priorité sécuritaire de Washington était “une menace interne” au sein de l’Otan, et il a reproché aux dirigeants présents leurs attaques de plus en plus flagrantes contre les “valeurs démocratiques”, comme la censure de la parole, la répression des partis d’opposition populaires et l’annulation d’élections. Si leur émoi n’est pas simulé, il est d’autant plus étonnant que ces élites étaient déjà, à leur façon, en conflit avec les États-Unis. Vance s’est contenté de révéler la nature de ce conflit, jusque-là passée sous le boisseau.
Dans son discours, Vance a transmis plusieurs messages, dont le plus significatif et historique est la fin du libéralisme globaliste “post-national”. Il a souligné que les États-Unis souhaitent désormais un Occident uni et puissant, grâce à des nations souveraines fortes, capables de se défendre seules sur les plans militaire, culturel et spirituel. En insistant sur la liberté d’expression et la légitimité démocratique, il a dépassé la simple idée de “valeurs communes” ou le rapprochement de Washington avec les partis nationalistes. En pratique, son discours contenait un avertissement clair : l’Europe ne pourra plus jouer le rôle de factotum dans les conflits politiques et idéologiques qui secouent les États-Unis. Plus précisément, il a exigé l’arrêt du soutien transatlantique – institutionnel, technologique et juridique – à l’État profond américain aujourd’hui en difficulté, sous peine de lourdes conséquences.
Après l’élection de Donald Trump en 2016, les élites américaines, prises de panique, ont cherché à contrôler l’opinion publique en régulant strictement l’information, surtout sur Internet. Elles estimaient que le populisme gagnait du terrain à cause d’électeurs “mal informés” influencés par de la “désinformation” ou “mésinformation”, parfois venue de l’étranger. Selon elles, en contrôlant l’information que ces électeurs consomment, ils cesseraient de “mal voter”. Cette logique suppose que les idées des élites soient les seules valides et que s’y opposer relève de l’ignorance ou résulte de manipulations. Hillary Clinton, battue par Trump, a résumé cela en disant que les réseaux sociaux avaient bouleversé l’accès à l’information et que, sans modération ni surveillance, “nous perdons totalement le contrôle”.
Ce projet de contrôle de la pensée s’est transformé en un vaste système de censure, mis en lumière après qu’Elon Musk a racheté Twitter. Un obstacle de taille s’est immédiatement dressé : la Constitution américaine protège la liberté d’expression. Comme l’a déploré John Kerry au Forum économique mondial, le premier amendement empêche de “simplement éliminer” les informations jugées problématiques.
Sous Biden, ce problème a été contourné en ignorant la loi : l’ Etat fédéral s’est associé aux géants technologiques et à des organisations de “vérification des faits” prétendument indépendantes (mais financées par l’Etat) pour censurer massivement les Américains. Un juge fédéral a qualifié cela d’”attaque la plus massive contre la liberté d’expression dans l’histoire des États-Unis”.
Une stratégie plus discrète et durable a aussi émergé : déléguer la régulation d’Internet à d’autres pays. Internet étant mondial, des lois strictes dans un grand marché, comme celui de l’UE, influencent le réseau entier. Les leaders transatlantiques ont vite saisi que les règles de l’Union européenne pouvaient obliger toutes les entreprises Internet – même américaines – à se plier à leurs exigences pour ne pas perdre d’accès au marché européen. Ce pouvoir réglementaire, appelé « effet Bruxelles », est la principale innovation européenne du siècle.
Dès 2016, les “partenaires” des Etats-Unis ont créé un réseau mondial pour “modérer” les contenus en ligne dans une alliance implicite contre le populisme. À Bruxelles, Facebook, Microsoft, Twitter et YouTube ont signé un “code de bonne conduite” pour supprimer les “discours de haine illégaux” en moins de 24 heures, avec des “rapporteurs de confiance” – souvent des médias alignés et subventionnés – décidant de ce qui était illégal. D’autres pays ont suivi : l’Allemagne avec sa loi NetzDG de 2017, qui punit la “désinformation”, ou le Royaume-Uni avec son “Online Safety Act”, qui réprime des actes vagues comme provoquer une “anxiété inutile”.
Ce contrôle réglementaire a culminé avec le Digital Services Act (DSA) de l’UE. Visant à “empêcher les activités illégales et la désinformation en ligne”, le DSA menace toute plateforme numérique d’importance (réseaux sociaux, boutiques en lignes, sites de voyage etc.) d’amendes allant jusqu’à 6 % de son chiffre d’affaires mondial si elle ne supprime pas rapidement les contenus jugés “faux” ou “nuisibles”, selon des “experts” nommés par la Commission européenne. Matt Taibbi l’a qualifié de “loi de censure la plus aboutie jamais prise en démocratie occidentale”.
Ces mesures ont longtemps porté leurs fruits. Les “Twitter Files”, révélés par Taibbi, Shellenberger et d’autres, ont montré que Twitter se pliait avec zèle aux lois comme le NetzDG allemand. En 2022, son service juridique passait plus de la moitié de son temps à se conformer aux exigences étrangères de censure.
Ce système a été officialisé en 2019 avec le “Christchurch Call to Action”, lancé par Jacinda Ardern en Nouvelle-Zélande. Des dizaines de gouvernements se sont engagés à “éliminer les contenus extrémistes en ligne”, ciblant en pratique les idées populistes, puis toute dissidence sur le Covid-19 et la gestion de la pandémie.
Ensuite, des centaines d’ONG, de think tanks, de “fact-checkers” et de chercheurs universitaires ont émergé pour orchestrer une censure transfrontalière. Ces groupes ont fourni une “expertise” clé en main pour identifier les cibles à faire taire, tout en donnant l’apparence d’indépendance et de rigueur scientifique. Ils ont aussi excellé à tarir les fonds en poussant les annonceurs à boycotter les sites et médias indépendants qualifiés d’”extrémistes”.
Le Center for Countering Digital Hate (CCDH), lié au parti travailliste britannique, s’est distingué en privant de revenus publicitaires les sites perçus comme conservateurs et en pressurant les annonceurs de Twitter après son rachat par Musk – un mémo interne révélant même l’objectif de “tuer le Twitter de Musk”. Le CCDH est allé plus loin : il a collaboré avec des gouvernements pour dresser des listes d’opposants à censurer. Quand il a ciblé douze grands scientifiques sceptiques du confinement comme la “Douzaine de la désinformation”, douze procureurs démocrates américains ont écrit à Twitter et Facebook pour exiger leur exclusion, une coordination préparée avec leur parti.
Le CCDH a aussi joué les lobbyistes étrangers, rencontrant des législateurs américains pour promouvoir STAR, une norme mondiale de régulation des réseaux sociaux, espérant que les démocrates l’imposeraient. Věra Jourová, vice-présidente de la Commission européenne, semblait y croire en déclarant à Davos que les lois européennes sur la haine seraient bientôt en vigueur aux États-Unis.
Aujourd’hui, le ministère de la Justice américain enquête pour savoir si le CCDH a mené une campagne d’influence étrangère sans s’enregistrer comme agent du Royaume-Uni. Avec cent travaillistes envoyés aider Kamala Harris – dénoncé par Trump comme une “ingérence étrangère flagrante” – le DOJ risque de ne pas être clément.
Le CCDH n’est qu’un exemple parmi de nombreuses organisations similaires, comme Newsguard ou le Global Disinformation Index. Selon une enquête d’UnHerd, ces groupes ont formé un réseau discret de “gardiens invisibles” contrôlant la publicité en ligne et la “vérification des faits” dans les médias. Leur objectif ? Façonner les informations et les récits accessibles au public.
Beaucoup de ces entités, y compris l’Atlantic Council ou l’Alliance for Securing Democracy (ASD) du German Marshall Fund, sont financées en partie par des États – pays d’Europe et USA – et liées aux services de sécurité. Le conseil d’administration de l’ASD, par exemple, incluait John Podesta (directeur de la campagne d’Hillary Clinton en 2016), Richard Ledgett (numéro deux de la NSA sous Obama) et Michael McFaul (conseiller d’Obama au Conseil de sécurité national). Pas fortuit.
Comme l’a montré le journaliste Jacob Siegel (voir infra, ndlr), après 2016, les services de sécurité américains ont retourné contre leur propre population les méthodes de contre-terrorisme et de changement de régime utilisées à l’étranger. Après l’Appel de Christchurch en 2019, les services de renseignement occidentaux, notamment ceux des “Five Eyes” (alliance anglosaxonne de partage d’information) ont suivi cet exemple. Ils ont accru leur collaboration pour lutter contre la “désinformation” et utilisé leurs outils de propagande pour influencer l’opinion publique. Au Royaume-Uni, la 77e Brigade de l’armée, spécialisée dans la guerre psychologique, a surveillé des citoyens britanniques – malgré son obligation d’opérer uniquement à l’étranger – et travaillé avec des agences locales et étrangères sur des opérations d’influence.
Ces services ont intégré le populisme dans leurs théories de “guerre de cinquième génération”, où la révolution numérique aurait créé un “champ de bataille permanent” dominé par la cyber-guerre et la lutte pour l’information. Dans cette optique, l’esprit des citoyens – ou “infrastructure cognitive”, selon leur jargon – devient un terrain à disputer face à des rivaux comme la Russie. Les populistes sont alors vus comme des ennemis étrangers, et non comme de simples adversaires politiques internes.
Face à cette “menace”, ils ont prôné une approche totale, fusionnant gouvernements, armées, entreprises privées, ONG et organisations internationales pour “protéger la démocratie”. Cette alliance de pouvoirs publics et privés forme le véritable “État profond”. C’est pourquoi les services de renseignement collaborent avec des ONG comme le CCDH ou des sociétés comme Graphika, initialement financée par le Pentagone pour contrer le terrorisme, puis réorientée pour censurer les débats sur le Covid-19 et d’autres sujets.
En somme, l’alliance transatlantique mène depuis des années une guerre de l’information contre les Américains (et les Européens). Son but principal : bloquer Donald Trump et le populisme qu’il incarne. Mais cette guerre a échoué. Trump est de retour, et J.D. Vance a averti les leaders réunis à Munich qu’un “nouveau shérif” dirige désormais Washington. Les alliés de Joe Biden en Europe, laissés seuls en Ukraine, se retrouvent également isolés dans la guerre numérique, du côté des perdants. Vance leur a signifié que leurs “cyber-soldats” devaient quitter le champ de bataille séance tenante.
Il a répété ce message au Premier ministre britannique Keir Starmer la semaine dernière à la Maison Blanche : “J’ai dit ce que j’avais à dire. Nous avons une relation spéciale avec le Royaume-Uni et certains alliés européens, mais leurs atteintes à la liberté d’expression touchent nos entreprises technologiques et nos citoyens.” Il ne critiquait pas seulement leur mépris pour la liberté d’expression ; il dénonçait leur guerre informationnelle contre les États-Unis, son nouveau gouvernement, ses entreprises et son peuple. La réponse hésitante de Starmer – “Nous ne voulons pas atteindre les citoyens américains, et nous ne le faisons pas…” – sonnait faux et peu convaincante.
Si l’Europe et les pays anglosaxons veulent rester des alliés des États-Unis, ils doivent cesser cette guerre au service de l’ancien régime de Washington et démanteler leurs dispositifs de censure. Cela signifie tenir en laisse leurs services de renseignement, couper les fonds aux réseaux transnationaux comme le CCDH, et abandonner des lois comme le DSA ou l’Online Safety Act, qui ont pour but de contrôler l’information par delà leurs frontières. Vance insiste sur ce point depuis la campagne présidentielle, menaçant de retirer le soutien américain à l’Otan si l’Europe persiste à interférer dans le débat politique américain via le DSA. Il a souligné qu’il serait “insensé de soutenir une alliance militaire qui ne défend pas la liberté d’expression”.
Le message de Washington est simple : arrêtez cette guerre de l’information et disparaissez. Si les Européens ignorent cet avertissement et continuent de se mêler de la politique américaine, ils pourraient bientôt subir des conséquences diplomatiques et économiques bien réelles imposées par le nouveau shérif de la Maison Blanche.