[ Lectures & réflexions ] Sommes-nous dans une dérive totalitaire ?
Dans Psychopathologie du terrorisme, Ariane Bilheran fournit une analyse profonde du système totalitaire. Plus que jamais d'actualité en ces temps de rhétorique guerrière.
Deux ans après sa parution, l’essai Psycho-pathologie du totalitarisme, sommes-nous dans une dérive totalitaire ? d’Ariane Bilheran est plus que jamais d’actualité. En 2023, la philosophe et psychologue clinicienne y analysait les ressorts de la gestion de la crise Covid. Et comment, par un usage massif de la peur comme instrument politique, de la ségrégation – vaccinés/non vaccinés – de la censure et de la délation, la crise Covid avait été un exemple parfait de “dérive totalitaire paranoïaque”.
Nous vous en avions entretenu en 2021.
Nous sommes en 2025, la page Covid est peut-être tournée, mais la peur est toujours là. Elle irrigue nombre de discours et de politiques. Comment voir autrement celui, dernier en date, du général Mandon lors de l’assemblée générale de l’association des maires de France face à un parterre d’élus ? Le chef d’Etat major des armées y a brandi la menace d’une guerre, la menace d’un nécessaire enrôlement des Français dans un discours aux accents plus politiques que militaires où planait l’ombre d’Emmanuel Macron, dont il fut le chef d’Etat major particulier, le principal conseiller militaire.
Le livre d’Ariane Bilheran se pose là : il propose une grille de lecture parfaite de l’actuelle rhétorique guerrière. Mathilde Jaffre, auteur d’un blog de réflexions, Hors-champ à découvrir sur Substack, nous invite à le lire, ou le relire. “Alors que nous vivons une période trouble où l’aliénation s’intensifie, ce livre me paraît d’utilité publique”.
Dans notre rubrique Réflexions libres, les propos des auteurs n’engagent qu’eux-mêmes et ne reflètent en aucun cas les opinions de L’Eclaireur, au-delà de notre choix, que nous jugeons nécessaire, de leur donner la parole dans un soucis de pluralisme et de meilleure compréhension du monde.
Par Mathilde Jaffre
Alors que nous vivons une période trouble où l’aliénation s’intensifie, ce livre me paraît d’utilité publique. L’analyse exigeante reste facilement accessible. En cette fin d’année, il ferait front au futile et au crétinisant sous de nombreux sapins.
« La psychopathologie est cet axe de la psychologie qui étudie les processus psychiques, en d’autres termes, qui tente de comprendre ce qui se passe dans la tête d’un individu, ou d’un groupe, lorsqu’il nourrit un délire, ou une dépression, ainsi que la nature des conflits psychiques. » (p. 27). Le totalitarisme « ne naît que parce qu’il rencontre un écho dans le psychisme des individus. » (p. 30)
Psychopathologie du totalitarisme est l’étude d’un système aux rouages complexes. Hannah Arendt définit le totalitarisme comme « l’ambition de la domination totale. » En le décortiquant patiemment, l’auteure nous amène à la rencontre d’une puissance démoniaque, d’un corps monstrueux s’animant peu à peu, tel Frankenstein sous les mains de son créateur ; un corps dont les têtes renaissent inlassablement de leurs cendres et se démultiplient.
L’Hydre totalitaire se nourrit de la terreur de ses victimes qui alimentent son délire et sa paranoïa : « la terreur diffuse souffle sur les braises totalitaires » (p. 2371). Ce corps endiablé fige et isole des individus, traumatisés, culpabilisés, sidérés, qui se reconnaissent dans une masse informe soumise à leur bourreau et à ses croyances irrationnelles, à savoir son aliénation mentale.
« La principale caractéristique de l’homme de masse n’est pas la brutalité ou le retard mental, mais l’isolement et le manque de rapports sociaux normaux ». La colonisation des esprits s’organise par la répression ; répression de tout ce qui permet aux états d’âme de s’exprimer et de nous différencier les uns des autres. Ainsi, les arts et la littérature sont des ennemis à éradiquer ; tout comme l’Histoire, à travers laquelle se manifeste l’esprit, doit être revisitée pour coller au récit idéologique du pouvoir.
Ce processus ignominieux décrypté convoque les plus bas instincts et invoque les ténèbres ; d’aucuns préféreront fuir cette démonialité et se détourneront de ce livre. Or Ariane Bilheran n’a de cesse de laisser émerger la lumière de ce noir profond en exposant la complexité et la beauté de l’être humain. L’Hydre n’est capable de rivaliser qu’un temps avec les enfants de Dieu et s’effondre inexorablement. Lorsque la masse s’extrait du délire paranoïaque, l’individu reprend sa juste place. L’Homme retrouve la spontanéité et la confiance qu’il a en lui-même.
Les témoins de ces temps infâmes ont un rôle crucial à jouer ; en relatant leurs expériences vécues et leurs états émotionnels, en validant une réalité folle, en refondant les notions de bien et de mal dans une société dépouillée de toutes valeurs morales, ils nous offrent la possibilité de reprendre contact avec notre part d’humanité.
L’auteure compare ces témoins à des lucioles. Quelle félicité ! Hannah Arendt, Simone Weil, Kant, Soljenitsyne firent partie de ces « esprits libres, éclairés et qui, par leur aspiration et leur inspiration, éclairent aussi autour d’eux. » (p. 286).
Ariane Bilheran nous exalte par ses considérations philosophiques poussées, parfois complexes. Elle décortique des mots dont la résonance enchante l’esprit : intimité, dignité, charité. Tous trois sont dévoilés dans leur essence ; ils nous définissent non pas en tant que citoyen issu d’un corps social, mais en tant qu’âme issue d’une puissance divine.
Cet ouvrage s’adresse à toutes les personnes avides de comprendre la marche du monde et à toutes celles en proie à l’angoisse ou à la peur face à cette machine qui se déploie inexorablement sous nos yeux. Il nous donne des armes pour nous empêcher de toute emprise et ne pas nous laisser chuter dans l’effroi, source des pires folies destructrices. Avec la reconquête de notre vie intime, des remparts solides s’érigent et nous permettent de résister à cette fureur. Ariane Bilheran souligne : « Ce texte peut être lu comme une incitation à redevenir des lucioles. »
Procurez-vous ce livre sous sa forme papier, il se présentera comme un refuge à l’heure des exactions !
Ariane Bilheran, Psychopathologie du totalitarisme. Sommes-nous dans une dérive totalitaire ?, éd. Guy Trédaniel, septembre 2023, 2ᵉ édition.





Je n'emploierai pas le terme évidence à propos de ce que dénonce ce livre parce qu'il est galvaudé (comme la parole en général en ce moment!). Mais depuis que Macron est au pouvoir, comme d'ailleurs depuis que le système européen a changé avec l'arrivée de Barroso, du fade Junker et surtout de Leyen, la démocratie en a pris un sacré coup. Les décisions sont prises par nos princes pour favoriser leurs sponsors et on exige des peuples qu'ils se taisent et obéissent. Macron n'est qu'une pâle copie de ces nombreux "démocrates" qui se sont succédés dans l'histoire du monde et en particulier depuis la crise de 29. Mais ce sont toujours des gens qui considèrent qu'ils sont marqués par le destin pour guider les peuples. A propos, guide, en Allemand, ça se s'écrit comment?