L'Europe en plein Moby Dick
L'effondrement de l'Europe s'accélère. Elle se sclérose de plus en plus vite sur les plans culturel, intellectuel et moral, tout en criant "valeurs" du haut de l'asile d'aliénés bruxellois.
Pascal Lottaz est professeur de relations internationales à l’université de Kyoto au Japon. Il est également l’animateur du groupe de réflexion Neutrality Studies, dont nous vous conseillons fortement la chaîne YouTube.
Dans notre rubrique Réflexions libres, les propos des auteurs n’engagent qu’eux-mêmes et ne reflètent en aucun cas les opinions de L’Eclaireur, au-delà de notre choix, que nous jugeons nécessaire, de leur donner la parole dans un soucis de pluralisme et de meilleure compréhension du monde.
À ce stade, l'obsession européenne pour la guerre contre la Russie ressemble à s’y méprendre à la folie fatale du capitaine Achab — cet homme qui perdit tout, esclave de sa passion de tuer la grande baleine blanche. Pourtant, il devrait être clair aujourd’hui que le Moby Dick russe n'est pas une proie que les Européens parviendront à capturer (ils ont essayé trois fois au cours des deux derniers siècles). Au contraire, les armes mêmes que déploie contre Moscou l’Europe ne font que hâter sa déchéance.
C'est le résumé d'une discussion que j'ai récemment eue avec mes deux collègues, l'ancien diplomate britannique Ian Proud et le chercheur Jan Oberg, sur la chaîne YouTube Neutrality Studies.
Le suicidaire pacte militariste
Au cœur de notre discussion se trouvait la marche agressive de l'Europe vers la militarisation. Le Dr. Oberg a dénoncé l'absurdité de lier les dépenses militaires au PIB, suggérant qu’ainsi même le déclin économique vient justifier la guerre. Le fonds de défense de 800 milliards d'euros prévu par l'UE, financé par un emprunt collectif, est une bombe fiscale à retardement qui pèsera sur les générations futures tout en alimentant une guerre que l'Europe a déjà perdue. Oberg qualifie cela de « théâtre de l’absurde », notant que même dans des pays comme la Suède et le Danemark, autrefois considérés comme des bastions de paix, le militarisme est devenu une orthodoxie généralisée.
Pour Ian Proud, les dirigeants européens souffrent d'une paralysie intellectuelle incurable. Alors que Donald Trump envisage des accords de paix, les élites de l'UE s'accrochent à une position figée sur l'Ukraine, inchangée depuis 2014. Le refus collectif d'admettre l'échec, alors même que l'Ukraine perd du terrain et que le soutien du public à la guerre s'essouffle, est extrêmement dangereux. Ce n'est pas une stratégie, mais un déni de réalité.
L’Empereur est nu
Concentrons-nous plus précisément sur les failles structurelles de l'Union européenne. Pour Jan Oberg, l'UE n'a jamais été conçue pour promouvoir la paix. Son seul moment d'unité diplomatique — la reconnaissance prématurée de la Slovénie et de la Croatie en 1992 — a déclenché la guerre de Bosnie. L'UE a toujours été plus à l'aise en tant que bélier géopolitique que comme que bâtisseuse de ponts.
Le surplomb moral de l'Occident, qui lui permettait de passer sous silence les atrocités au Congo, en Yougoslavie, en Irak, à Gaza etc. s'effondre également. Oberg et Proud s'accordent à dire que ce qui passait autrefois pour de la diplomatie est devenu du militarisme déguisé. Les ministères des affaires étrangères ne prônent plus la paix — ils se contentent de relayer la politique de défense. Le mot « paix » lui-même est devenu tabou en politique, dans le journalisme et dans les milieux académiques.
La centralisation bureaucratique de l'UE est devenue une forme de colonisation interne. Des pays comme la Hongrie, la Slovaquie, et même le Royaume-Uni (avant le Brexit) ont commencé à résister à ce que Oberg décrit comme un empire supranational antidémocratique. L'érosion de la souveraineté nationale alimente, selon lui, à la fois le mécontentement populaire et l'incohérence stratégique.
Malgré cette perspective sombre, il y a peut-être des raisons d'espérer dans l'émergence de la multipolarité. La Chine, en particulier, constitue un contrepoids rationnel au déclin occidental. La vision chinoise à long terme et son engagement envers le droit international contrastent fortement avec le leadership kakistocratique (le pouvoir des pires et des moins compétents) de l'Occident. L'administration Trump pourrait, ironiquement, accélérer le détachement de l'Europe des États-Unis, forçant une recalibration stratégique attendue depuis longtemps.
Mort intellectuelle
Les chances d'une transition pacifique sont faibles. Soyons réalistes : l'Europe est intellectuellement morte. Elle a perdu son réalisme, sa créativité et, plus grave encore, sa vision d'un avenir pacifique. Sans un changement radical sur les plans culturel et stratégique, il lui sera non seulement impossible de surmonter son actuelle insignifiance géopolitique, mais elle risque également de se retrouver mentalement et institutionnellement piégée dans cette passion mortelle pour le militarisme. La chute de l'Europe n'est pas inévitable, même si elle s'accélère. Ce n'est qu'en abandonnant ses illusions de domination et en redécouvrant la diplomatie, le pluralisme et une vision pacifique du monde qu'elle pourra espérer éviter la catastrophe qui se profile, semblable à celle que s’inflige le capitaine Achab dans Moby Dick,.