Lolita Express
Et si tout le monde se trompait sur l'affaire Epstein? Première partie.
Il est évident que l’administration Trump ment lorsqu’elle affirme qu’il n’existe pas de liste de “clients” – ou d’obligés – d’Epstein. Circulez, il n’y a rien à voir dans ce dossier. Non pas qu’Esptein ait été assez fou pour tenir une telle liste résultat d’activités criminelles, mais parce qu’il est facile de la reconstituer en enquêtant, en interrogeant les victimes et en vérifiant et recoupant leurs témoignages.
Tout d’abord, Ghislaine Maxwell a été condamnée pour trafic sexuel, c’est-à-dire proxénétisme de mineurs aggravé au profit de Jeffrey Epstein. Epstein lui-même a été condamné en 2006 pour agressions sexuelles sur mineurs. De plus, le prince Andrew, fils cadet de feu la reine d’Angleterre Elizabeth II, s’est empressé de conclure un accord avec une victime pour éviter des poursuites. Et il y a les 800 millions de dollars de dommages et intérêts payés par les banques JP Morgan et Deutsche Bank pour arrêter les poursuites.
Il y a également les déclarations de Pam Bondi, secrétaire à la justice des Etats-Unis, de Kash Patel, directeur du FBI, et de Dan Bongino, son adjoint. Outre avoir fait campagne pendant plus d’un an en promettant de rendre publics le dossier Epstein et la liste de ses “clients”, ils ont affirmé, avant leur revirement, détenir des milliers de vidéos – que Pam Bondi décrit aujourd’hui comme des vidéos pédopornographiques téléchargées par Epstein.
Tout cela est résumé dans l’article de nos confrères Alexandra Guttenberg et Michael Shellenberger ci-dessous.
On a tendance à oublier que le cœur de cette affaire est avant tout l’argent. C’est une histoire de criminalité financière de très haut vol. Jeffrey Epstein avait réussi, en moins de quatre ans, en 1980, à se hisser à un poste d’associé gérant de Bear Stearns, la banque d’investissement qui n’a pas survécu à la crise des subprimes en 2008. Il y était chargé des “produits spéciaux et du conseil fiscal”. En clair, il blanchissait de l’argent et le dissimulait au fisc dans la finance offshore et les paradis fiscaux.
Il faut se rappeler ce qu’était la finance internationale du début des années 1970 jusqu’au krach de 1987. Déjà globalisée mais peu réglementée, c’était le Far West. C’était l’époque, par exemple, où Michele Sindona, banquier de la mafia italienne et conseiller financier du pape Paul VI, utilisait la banque du Vatican pour blanchir des dizaines de milliards de dollars aux États-Unis, notamment en rachetant des banques pour ensuite les vider de leurs actifs. C’est son mode opératoire qui a inspiré, dans les années 1980, les requins qui ont mis en faillite les caisses d’épargne mutualistes américaines, le scandale des Savings and Loan, qui a coûté la bagatelle de 160 milliards de dollars au contribuable américain. L’argent ne se perd jamais, il se trompe simplement de poche.
C’était l’époque où la banque centrale de Floride enregistrait dans son bilan un excédent trois fois supérieur à celui cumulé de toutes les banques centrales des 49 autres États américains, ce qui signifiait que des sommes colossales en liquide étaient déposées dans les banques de Floride, dépassant largement leurs besoins de refinancement. C’était l’époque des Cocaine Cowboys…
Epstein a dû quitter Bear Stearns à la suite d’une infraction à ce qu’on appelle aux États-Unis la Reg D. La Reg D est une réglementation financière datant du New Deal, des années 1930, qui permet à des entreprises non cotées de lever du capital sans passer par la procédure longue et coûteuse d’enregistrement de leur offre publique auprès de la Securities and Exchange Commission (SEC), le gendarme financier américain.
La Reg D autorise les moyennes entreprises, les start-ups etc. à collecter jusqu’à 10 millions de dollars sur 12 mois. Elle autorise également des fonds d’investissement à lever des capitaux sans plafond auprès d’investisseurs institutionnels ou de particuliers accrédités, c’est-à-dire des personnes possédant un patrimoine hors résidence principale supérieur à 1 million de dollars et un revenu annuel excédant 200 000 dollars. C’est grâce à la Reg D que Bernard Madoff a pu monter sa pyramide de Ponzi, qu’il a opéré pendant 48 ans, causant des pertes de plus de 60 milliards de dollars aux investisseurs qui n’ont pas su se retirer à temps.
L’infraction commise par Epstein, selon une rumeur naturellement non confirmée à l’époque par Bear Stearns, relèverait du délit d’initié. Il aurait fait profiter l’un de ses clients, un milliardaire issu d’une famille de distillateurs canadiens ayant fait fortune pendant la prohibition, d’informations privilégiées auxquelles les autres acteurs du marché n’avaient pas accès, lui permettant de réaliser un profit juteux. Il aurait également par une utilisation créative de l’offshore, dissimulé aux agences de notations et à la SEC des actifs pourris des fonds qu’il gérait, une forme d’arbitrage inversé: il transférait afin de les dissimuler les junks bonds sur des comptes offshore le temps de l’évaluation, pour les réintégrer une fois une bonne note obtenue.
À suivre.