Mondiaux de cyclisme en Haute-Savoie : un vélodrome en danseuse
Quel est le point commun entre le projet avorté de vélodrome dans le Morbihan et celui aussi disproportionné que controversé en Haute-Savoie ? Un homme, David Lappartient.
Faute de rayonner sur la scène diplomatique internationale, l’Elysée s’est mis en tête de plastronner sur celle des grands évènements sportifs. On ne reviendra pas sur l’organisation des JO à Paris en 2024 dont le dernier épisode relaté dans Le Point est un arrêt total de la circulation fluviale sur la Seine en pleine période des moissons dont le coût est évalué à un demi milliard d’euros pour la filière céréalière française (on peut pas reporter les récoltes, a demandé un énarque) - n’est que la dernière démonstration d’une totale impréparation, d’un amateurisme criminel.
Au palmarès du plus grand nombre de gros événements sportifs organisés sur ses terres, la France devrait l’emporter haut la main. Jugez vous même. 2023 a vu passer les championnats du monde de ski (à Courchevel-Méribel) puis les championnats du monde de para-athlétisme (à Paris), suivis de la coupe du monde de rugby. 2024 sera celle des jeux olympiques et paralympiques avec bon espoir, vu le peu de candidats qui se bousculent au portillon – les Alpes françaises sont seules en lice – de décrocher les JO d’hiver en 2030. En plus des traditionnels Tour de France et tournoi de Roland Garros, plus de quarante grands évènements devraient être accueillis dans les prochaines années.
En 2027, la France organisera les championnats du monde de canoë-kayak mais aussi les super-Mondiaux de cyclisme. “Super” parce non content que le championnat sera le 3e évènement sportif sportif mondial après les Jeux Olympiques d’été et la Coupe du Monde de football, cette édition promet d’être une sorte de consécration ultime : 19 championnats s’y dérouleront simultanément. Toutes les disciplines cyclistes y seront représentées.
En septembre 2027 convergeront vers la Haute-Savoie autant de cyclistes que la commune de la Roche-sur-Foron compte d’habitants : 11 000. Parce que c’est là, dans cette cité médiévale que sera construit tout exprès l’anneau de vitesse qui accueillera le temps de deux semaines une des dix disciplines des Mondiaux.
Dans un premier temps, le Département de la Haute-Savoie était parti pour un vélodrome à 50 millions d’euros avant de finalement opter pour un complexe évenementialo-sportif à 150 millions d’euros, parkings et acquisition des terrains compris.
Le problème, outre la démesure du projet pour une discipline confidentielle – 4 000 pistards sur les 105 000 licenciés de la Fédération française de cyclisme – et donc la question de la gestion des deniers publics, c’est que la pérennité de telles installations ne semble pas assurée.
A Grenoble, le palais des sports, certes plus aux normes internationales, n’a par exemple plus servi depuis 2014. On s’est mollement réveillé en 2023 pour accueillir les 3 jours cyclistes. Celui de Saint-Quentin dans les Yvelines, que l’on imagine pouvoir accueillir l’épreuve sur piste délocalisée, et qui du reste hébergera les épreuves lors des JO de Paris 2024, affiche lui un déficit de 4 millions d’euros par an.
Mais il n’est pas besoin d’aller aussi loin. A moins de 90 kilomètres, à Aigle, dans le canton de Vaud en Suisse, existe un vélodrome flambant neuf, qui plus est propriété de l’Union Cycliste Internationale (UCI). Et pour cause, c’est à Vaud que l’UCI, organisatrice des championnats du monde, a son siège.
Clause de confidentialité et délibérations à huis-clos
Mais la Haute-Savoie veut son vélodrome. Après s’être enflammé pour le Funiflaine et s’être planté dans les grandes largeurs sur sa mise en œuvre, Martial Saddier va-t-il entrainer son Département vers la sortie de piste ? Comme pour le transport par câble, le président du Département a la fâcheuse manie de faire dans la rétention d’informations. A Loïc Hervé, sénateur de Haute-Savoie qui s’enquérait d’accéder au dossier d’un projet, financé avec l’argent du contribuable, il lui avait été opposé une… clause de confidentialité. « Du jamais vu dans un projet public », s’étonne le sénateur.
Les dernières délibérations actant le rachat de parcelles ou la hausse du coût des travaux ont été votées à huis-clos. Ce qui permet de relativiser la notion de transparence louée en long et en large dans la vidéo promotionnelle tournée sur fond de glacier en… Alaska.
Même transparence du côté de l’UCI. A la question de savoir sur la base de quels critères la candidature de la Haute-Savoie impulsée par Emmanuel Macron en personne avait été préférée à celle des Pays-Bas après les défections de la Chine et des Emirats arabes unis, nous n’avons pas eu de réponse.
Mais est-ce seulement un projet du Département de la Haute-Savoie et de son omnipotent président ? Car le vélodrome de La Roche-sur-Foron ressemble furieusement à un autre projet. En 2015, dans la petite commune de Sarzeau dans le Morbihan, un maire rêvait d’avoir son vélodrome. Une piste en bois de 250 mètres avec en son sein, sur 2.700 m², une aire centrale pour de grands événements sportifs ou autres, 3.000 places de tribunes, et attenante, une seconde salle de 1.700 m² destinée spécifiquement aux sportifs et scolaires. Plus des parkings et un mur d'escalade.
Comme en Haute-Savoie en fait. La ressemblance va jusqu’au nom : Arena. La facture n’est par contre pas la même. Dans le Morbihan, le projet était annoncé à 25 millions d’euros. Mais ce qui fait le plus tiquer une partie des élus communautaires alors que le maire de Sarzeau entend bien faire passer le projet en force à trois mois d’une recomposition des instances de l’agglomération, ce sont les frais de fonctionnement. D’après nos informations, ce sont ces 500 000 euros de dépenses annuelles qui ont fait capoter le vélodrome. En Haute-Savoie, personne officiellement ne sait combien il en coûtera en frais de fonctionnement. D’après Eric Adamkiewicz, maitre de conférences en management du sport et développement territorial à Toulouse et Grenoble, il faudrait compter autour de 2 millions d’euros par an…
Le Morbihan et la Haute-Savoie ont un autre dénominateur commun : David Lappartient, qui est en lice pour prendre la tête du Comité International Olympique. Le président LR du conseil départemental du Mornihan et de l’UCI, à la tête du comité national olympique et sportif français et de tout un tas d’instances, politiques, sportives ou économiques avec de solides rémunérations à la clé, ardent défenseur de la candidature haut-savoyarde, était maire de Sarzeau à l’époque du projet de vélodrome. C’est lui qui à peine élu à la tête des instances mondiales du cyclisme a créé ces super championnats du monde organisés tous les quatre ans dans une même région.
Après des études à l’école spéciale des travaux publics, du bâtiment et de l’industrie à Paris, David Lappartient a créé son propre cabinet d’experts géomètres. Depuis, il multiplie les caquettes. Président Les Républicains du Département du Morbihan, le patron de l’UCI est aussi administrateur du comité d'organisation des JO de Paris en 2024 et de l'agence mondiale antidopage. Au risque de tout mélanger ? En juillet comme L’Eclaireur l’avait raconté, le président du CNOSF s’était, avant même que ne démarrent les auditions de la commission d’enquête parlementaire sur les dysfonctionnements dans le sport en France, fendu d’un courrier aux parlementaires. En flagrante ingérence. Pas très sportif…