"Personne ne peut dire sérieusement que la gestion sanitaire en France est guidée par des impératifs de santé publique"
Depuis ses débuts, des voix contestent la gestion de la crise sanitaire. Entre omerta médiatique et bâillon/bâton politique, retour avec une de ses porte-paroles sur une inquiétante dérive.
Alors que depuis 2020 on sait qu’aucun des vaccins autorisés n’a été évalué sur sa capacité à limiter la transmission du virus, les personnels non vaccinés, et notamment les soignants, ne sont depuis le 15 septembre 2021 toujours pas réintégrés. Et ce alors qu’une énième crise, de bronchiolite (avant la grippe ?), met à nouveau et un peu plus à plat les services hospitaliers.
Cela devrait faire hurler tout le monde. Et mener à se poser une seule question : qu’est-ce qui justifie à ce jour la non-réintégration en France alors qu’en Angleterre, ou en Italie plus récemment, on a supprimé l’obligation vaccinale ? Arguant que leur réintégration “ne règlera pas les problèmes de l’hôpital” et pourrait même faire pire sans plus préciser de quoi le pire était fait, le ministre de la Santé a promis re-saisir la Haute autorité de santé 1.
Retour sur une crise, sur sa gestion surtout, aussi erratique qu’irrationnelle, et qui pose de sérieuses questions au-delà du champ médical, avec Leila Gofti-Laroche, épidémiologiste, pharmacienne et praticien au CHU de Grenoble Alpes mais surtout, pour cette interview, porte-parole du collectif de Grenoble des médecins soignants.
Un de ces collectifs nés un peu partout en France contre la loi du 5 aout 2021 et le pass sanitaire. Collectifs que l’on n’entend pas, que l’on ne voit pas sur les plateaux-télé (où ils ne sont pas invités) mais qui continuent d’interroger sur la rigueur déontologique, l’éthique médicale ou le simple bon sens qui se devraient d’encadrer des mesures où les libertés individuelles, d’aller et venir, de prescrire et s’exprimer ont été sérieusement entaillées.
L’Eclaireur - La Haute autorité de santé doit se re-pencher sur une potentielle réintégration des soignants non vaccinés. A-t-on une idée de leur nombre ?
Leila Gofti-Laroche - Personne n’a vraiment accès aux chiffres. Au 15 septembre 2021, de mémoire, le gouvernement avançait le chiffre de 5 000 suspensions au total, avant de suggérer 15 000, chiffre contesté par les collectifs de soignants qui les estiment entre 30 000 et 150 000. Quand l’Ordre des médecins à lui seul évoquait 10 000 médecins suspendus.
Il faut cependant avoir conscience qu’on ne sait jamais vraiment sur quelle base ces chiffres sont donnés par les uns et les autres, s’ils ne concernent que les salariés des établissements ou tous les professionnels de santé. La seule donnée à peu près fiable que l’on a eu au Collectif médecins soignants 38 en octobre 2021, concernait le CHU de Grenoble avec environ 450 lettres de suspension (sur 10 000 salariés, ndlr). Ce qui ne signifie pas 450 personnes effectivement suspendues, car certaines n’avaient simplement pas donné leur attestation de vaccination par principe et ont pu l’avoir donné au bout de quelques jours.
Au-delà des soignants suspendus, je pense qu’il faut plutôt parler des soignants disparus, car beaucoup d’hospitaliers ont quitté le système après la loi du 5 aout 2021, entre les démissions, les arrêts de travail, les mises à disposition, les pré retraites … Et de nombreux libéraux ont fermé leur cabinet ou se sont reconvertis provisoirement ou durablement. Au cours du temps, de toutes façons, les chiffres sont très fluctuants. Il est un fait que les soignants suspendus paraissent toujours une minorité à un temps T.
Il y a les suspendus de la première heure qui le sont toujours et il y a les suspendus “intermittents”. Beaucoup de soignants suspendus ont été réintégrés après avoir fini par accepter de se vacciner contre le Covid ou après avoir contracté une infection. Ceux-là sont du reste en sursis permanent, enchainent suspensions et réintégration puisque tout le monde vacciné ou non peut se retrouver plusieurs fois positif au Covid, avec ou sans symptômes d’ailleurs.
Il me semble cependant que poser le débat des suspensions sous l’angle de leur nombre est fallacieux. L’enjeu ne devrait pas être quantitatif mais qualitatif. Certes, en période de pénurie de personnels, aucun bras ne doit manquer à l’appel mais ce que tout le monde semble oublier, c’est que cela devrait surtout être une question globale, basée sur des arguments médicaux, déontologiques et juridiques.
En France, pays de Descartes et de Pasteur, interdire l’expression du doute en contexte d’incertitude et imposer des mesures sanitaires aussi intransigeantes, pour ne pas dire brutales, sans un rationnel scientifique académique parfaitement établi, a de quoi inquiéter.
En France, habituellement, on ne peut pas faire n’importe quoi avec le droit du travail. Il est d’ailleurs assez surprenant de voir que rares sont les syndicats qui se sont mouillés pour défendre les suspendus. A ma connaissance, seuls l’UNSA au CHU de Grenoble et le SNMHFO sur le plan national les ont soutenus.
En France, on a aussi des traditions et de nombreuses lois pour lutter contre les discriminations. Mais là, de manière inédite, le sort et les diffamations qui se sont abattus sur les non vaccinés n’ont pas ému nos médias toujours si prompts à en jouer pour faire le buzz. Oserait-on argumenter pour une entreprise que les discriminations envers les personnes d’origine étrangère ou en situation de handicap ne sont pas graves quand elles ne touchent qu’un nombre limité d’employés ?
Qu’il y ait 1 ou 100 ou 1 000 personnes discriminées, j’aurais pensé que la discrimination du fait de ses convictions ou d’un paramètre de santé serait condamnable en soi et il me parait assez choquant d’essayer d’en minimiser la gravité sous prétexte qu’ils ne seraient finalement pas si nombreux.
Quand il s’agit de minorités ethniques ou sexuelles, le nombre n’a jamais été un critère pour renoncer à défendre leur cause, mais quand il s’agit des suspendus, la réponse “Oh ça va il n’y en a pas tant que ça” est-elle devenue acceptable ? Je ne peux pas m’y résoudre.
La suspension de personnels soignants titulaires de leur poste, après des concours difficiles, majoritairement dévoués et exemplaires, avec à leur actif d’importants services rendus, et forcément tous parfaitement vaccinés initialement, est juste incompréhensible. Certains dont je connais personnellement la situation avaient des arguments médicaux fondés mais les lois parues depuis le 5 aout 2021 ont rendu impossible pour les médecins de leur délivrer un certificat de contre-indication.
Contrairement à l’image qu’on a voulu donner d’eux, les bannir du jour au lendemain, sans passage préalable par une commission de discipline comme la loi l’exige, avec suspension du salaire et de surcroit sans autre forme de procès, sans alternative ni aménagement possible, a quelque chose de surréaliste.
Il faut comprendre qu’au-delà des personnes directement concernées par ces suspensions, cette manière de faire participe à un processus de maltraitance administrative en marche qui transmet un signal fort à tous les autres soignants encore en poste. Elle sonne, consciemment ou non, comme une mise en garde pour tous ceux qui se permettraient de ne pas filer droit.
Tout cela contribue à la perte de sens, à la perte de motivation et d’attractivité de nos métiers. Cela alimente ce sentiment d’une administration toute puissante contre les soignants de terrain, qui produit des règles parfois absurdes allant jusqu’à bafouer des principes de base de la médecine et de nombreux éléments de droit habituels, contre lesquelles il semble n’y avoir plus aucun recours.

Beaucoup d’avocats ont entamé des procédures, certains de les remporter au regard des textes disponibles, sans succès à leur plus grande surprise. Comme je le disais, il y a les suspendus, mais il y a surtout tous ceux qui n’ont pas été bannis mais qui ont rendu leur blouse. Le mouvement a démarré bien avant 2020 mais s’est beaucoup accentué depuis. Beaucoup de soignants et même des médecins ont décidé de faire une “pause”.
J’ai souvent entendu dire quelque chose qui ressemble à “on subit un glissement idéologique qui impose une déshumanisation des soins, je n’ai pas signé pour ça, je pars”. Quand on ferme un service en aval des urgences et que le dernier médecin, qui faisait 90 heures par semaine, a refusé de se vacciner et qu’on accepte de planter des dizaines de patients, sans compter tous ceux à venir, on ne peut pas prétendre le faire pour protéger la santé publique.
C’est la loi, nous répond-on. Mais quid de toutes les autres lois : l’obligation d’un accès aux soins urgents ? L’accueil de tous les patients sans discrimination 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 ? Quid du risque de mise en danger de la vie des gens ?
La situation sanitaire dans laquelle on se retrouve aujourd’hui, au-delà de la gestion du Covid, personne ne peut dire sérieusement que c’est de la bonne gestion, encore moins une politique basée sur la science ou guidée par des impératifs de santé publique.
Dans le collectif MS38, on a eu connaissance de professionnels non vaccinés en bonne santé, écartés de l’accès aux blocs quand dans le même temps d’autres, vaccinés mais testés positifs au Covid et symptomatiques, ont pu intervenir au bloc sur des personnes âgées au prétexte qu’ils ne les mettaient pas en danger, car ils respectaient les “gestes barrière”. Ces derniers sont donc efficaces pour les uns mais pas pour les autres ? Ça dépasse l’entendement …
Des témoignages comme celui-là on en a plein au sein du collectif MS38. Sans parler de toutes les atteintes à la déontologie, les refus, retards ou rechignements à donner des soins à des non vaccinés Covid ou des patients testés positifs, y compris des patients en cours de traitement pour des maladies graves. Quand vous avez une chimio programmée un lundi et que la loi impose un test PCR de moins de 24 heures, l’accès à un laboratoire d’analyse biologique et médicale est souvent très difficile le week-end. Le patient est supposé faire comment ?
Combien de fois a-t-on entendu que les non vaccinés ne méritaient pas d’être soignés ? Pourtant, quiconque passait le contrôle des vigiles à l’entrée des hôpitaux, pouvait lire le premier article de la charte du patient à l’hôpital affichée dans les couloirs qui affirme qu’il est accessible à toute personne sans discrimination, et notamment en raison de son état de santé. Pourtant cette discrimination a été une réalité à la porte d’entrée de nos hôpitaux et reste une réalité pour l’accès à certains soins.
On a des exemples d’authentique maltraitance et des entorses plus ou moins graves à des principes fondamentaux qu’on pensait jusque-là “indérogeables”. Mais une fois autorisés par des lois d’exception, alors beaucoup les ont appliqués sans trop se poser de questions, voire parfois avec zèle. Pourtant on sait bien qu’on n’est ni éthique, ni déontologique quand on accepte de rompre le secret médical, d’extorquer un consentement pour un acte médical invasif, de ne pas délivrer une information claire et loyale ou qu’on se contente d’une information incomplète voire pas d’information du tout sauf en mode slogans quasi publicitaires.
La crise Covid a été gérée au travers des médias comme une émission de télé-réalité : psychodrames, suspens, rebondissements … Le téléspectateur a été tenu chaque jour en haleine et en alerte. Le choc des images, le poids des mots. Cette formule fonctionne toujours.
L’Eclaireur - La question ne se pose-t-elle encore davantage vis à vis des plus jeunes, à qui on a opposé un intérêt de santé publique alors qu’on savait que la vaccination n’avait dans la majeure partie des cas aucun bénéfice pour eux ?
Leila Gofti-Laroche - Tous les médicaments efficaces peuvent avoir des effets indésirables, même certains vaccins, mais c’est très exceptionnel et la balance bénéfice-risque reste très favorable à la personne vaccinée. Dire qu’une chimio peut entrainer des complications graves, que des molécules communes comme l’aspirine, l’ibuprofène ou le paracétamol peuvent tuer n’a rien de choquant puisque c’est un fait et c’est la base des recommandations de posologie et des précautions d’emploi dans les notices d’information aux patients.
Je n’ai pas compris pourquoi tous ceux qui ont tenté de mettre en avant le principe de précaution pour des molécules très récentes, et de discuter la pertinence des indications au regard des connaissances déjà disponibles, sont taxés d’irresponsables, d’anti-science voire même de sectarisme. Il faut arrêter ces caricatures qui relèvent plus du maccarthysme 2 que d’une politique de santé publique raisonnable.
Pour tout médicament, et donc pour tout vaccin, plus encore quand la molécule ne bénéficie pas d’un recul important et que son mécanisme vient influer sur le système immunitaire, s’inquiéter de la dose exacte de principe actif produite dans l’organisme ne devrait pas choquer, pas plus que de se questionner sur les valeurs de la fenêtre thérapeutique (limites entre seuil d’efficacité et seuil de toxicité), sur les paramètres pharmaco-cinétiques, sur la distribution de la molécule, et surtout sur l’évaluation de la balance bénéfice-risque, pour les femmes enceintes et les enfants notamment.
La loi a toujours eu un degré d’exigence de sécurité accru pour les personnes vulnérables. De nombreuses lois interdisent par exemple de faire jouer un rôle aux enfants dans la protection des adultes. Seul l’intérêt supérieur de l’enfant doit entrer en ligne de compte quand il s’agit de prendre des décisions les concernant, surtout s’il s’agit d’un geste invasif sans possibilité de retour en arrière.
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Tout cela rend donc parfaitement incompréhensibles les spots du gouvernement ou les affiches justifiant des contraintes sur les enfants sous prétexte de vouloir protéger les adultes autour d’eux.
Les mesures prises au cours de cette crise sanitaire ont donné lieu à des pratiques inédites : on a confiné, masqué et vacciné des enfants et des adolescents à tort et à travers. Il faut aussi savoir qu’à l’adolescence, on fait des rappels ROR et qu’on vaccine contre l’HPV (infections à papillomavirus), avec le Gardasil qui sont connus pour être réactogènes. Il faut donc prévoir que les autres vaccins soient réalisés à distance et certainement pas de manière concomitante. Mais même ce principe de précaution n’a pas été respecté puisque de nombreux adolescents ont été vaccinés contre le Covid sans interrogatoire clinique.
Nous avons ainsi eu connaissance de cas d’adolescents hospitalisés pour un purpura rhumatoïde avec nécrose des membres inférieurs juste après une vaccination Covid réalisée à moins de 15 jours du rappel ROR. Parmi les autres signaux qui auraient mérité un minimum d’attention et des investigations, on retrouve de nombreux témoignages de jeunes filles qui ont vu leur cycle menstruel perturbé, celles avec des symptômes ou des paramètres biologiques bizarres. Pour favoriser la confiance et la qualité d’un recueil de données, un suivi simple et systématique de toutes les personnes vaccinées (à commencer par celui des personnes vulnérables comme les mineurs) aurait pu être mise en place, par exemple via le médecin traitant.
La vaccination à base d’ARNm est peut-être une voie d’avenir mais elle reste à encadrer comme on le fait avec toute innovation. Or elle a été présentée d’emblée comme aussi inoffensive que des granules d’homéopathie alors que dans son mécanisme d’action elle s’apparente plutôt à une immunothérapie avec tout ce que cela implique comme nécessaire surveillance. Ce qui a été fait et comment ça a été fait me semble assez imprudent.
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Je me permets d’insister. Concernant les enfants, différentes lois rappellent que tout acte médical invasif doit être strictement justifié avec un bénéfice direct pour le mineur lui-même et que de manière générale, on ne peut pas lui faire subir une intervention en invoquant un bénéfice collectif sauf à la rigueur pour la population pédiatrique et seulement à condition qu’on soit sûr qu’il n’en subira vraiment aucun préjudice, à court terme mais également à moyen et long terme.
Les connaissances sur les médicaments évoluent constamment et ce n’est pas critiquer la science que de le dire. L’histoire de la médecine est jalonnée de molécules largement prescrites en toute bonne foi qui se sont révélées problématiques des années après.
Dans le cadre de la gestion de la Covid, je comprends ceux qui disent que les politiques se sont appuyés sur des données pseudo-scientifiques. La rigueur n’a pas vraiment été au rendez-vous. Je crains vraiment que ce faisant, on ait détruit en partie la confiance dans la santé publique, dans la parole médicale et dans la vaccination en général, et c’est malheureusement beaucoup d’enfants qui en pâtiront.
Concernant les enfants, nous avons été plus nombreux que ce qui a été rapporté dans les médias à ne pas comprendre la loi qui a autorisé à vacciner dès l’âge de 5 ans un enfant contre le Covid malgré le refus de l’un des deux parents. Il faut savoir que la réglementation française et européenne ne permet pas d’inclure dans un essai clinique un mineur atteint d’une pathologie grave comme un cancer sans le consentement de ses deux parents. Donc là, on s’est juste permis de retirer l’autorité parentale pour un enfant dès 5 ans en bonne santé pour le vacciner contre une maladie sans danger pour lui, alors que ce n’est pas permis jusqu’à 18 ans pour tenter de traiter un enfant dont le pronostic vital est engagé ?
A titre personnel, je me rappellerai longtemps avec stupéfaction cette campagne où on voyait des enfants masqués avec cette phase “comme ça je ne tuerai pas papy, je ne tuerai pas mamy” 3. On se rappellera aussi, je l’espère, ce professeur de médecine, avocat acharné de la vaccination dès 5 ans en l’absence de données scientifiques alors qu’à ce moment-là, la société française de pédiatrie, la société de pathologie infectieuse de langue française, le conseil national professionnel de pédiatrie, le guide de prescription d'antibiotiques en pédiatrie et l’association de formation professionnelle en pédiatrie soulignaient qu’il valait mieux privilégier l’immunité naturelle, hors pathologie spécifique.
L’Eclaireur - Pourquoi si peu de voix se sont-elles élevées contre de telles pratiques ? De quelles marges de manœuvre bénéficient les collectifs et les praticiens ?
Leila Gofti-Laroche - A Grenoble, le collectif avait brièvement rencontré la direction du CHU et l’Agence régionale de santé. Nous avons même pu rencontrer le Conseil de l’Ordre départemental et Eric Piolle, le maire de Grenoble et à ce titre président du Conseil de surveillance du CHU. On nous a opposé comme toujours que la suspension des non vaccinés était une loi d’exception qui ne souffrait aucune dérogation. On a essayé de discuter sur la base du serment d’Hippocrate, et de Galien, et de la loi du 13 juillet 1983 sur les droits et devoirs des fonctionnaires, qui ont pour devoir de “ne pas obéir à une loi manifestement illégale”.
Nous avons pu avancer tous les arguments factuels et le rationnel scientifique. L’écoute a été au rendez-vous, souvent même nos interlocuteurs adhéraient à notre argumentaire… Mais malheureusement, depuis le 7 juillet 2021, suite à une sorte de charte signée sous l’égide du ministère de la Santé par tous les ordres professionnels et fédérations, toutes les institutions et tous les professionnels sont tenus de ne pas remettre en cause les décisions gouvernementales et recommandations des autorités sanitaires (en matière d’injonction vaccinale, ndlr).
En temps normal, je trouve justifié d’être soumis à un devoir de réserve et à la nécessité de faire la promotion des recommandations officielles, j’y ai assez souvent contribué pour ne pas être suspectée d’être un professionnel déviant. Mais dans le cas présent, il y a un sérieux problème avec le rationnel épidémiologique, médical et scientifique disponible qui soutient ces recommandations : il n’est pas assez solide pour être aussi coercitif.
Ce qui me frappe dans la gestion de cette crise, c’est cette sorte de rhétorique inversée, toutes ces injonctions contradictoires qui jalonnent le discours médiatique, politique et leurs relais par des leaders d’opinion. C’est cette volonté de stigmatisation, de culpabilisation. Tout cela porte à confusion et est très clivant.
Je m’excuse pour la comparaison qui est peut-être maladroite mais dans une certaine mesure cela me rappelle la manière dont certaines associations ont perverti le débat sur le burqini en France. Elles se servent des principes de notre République pour les retourner contre des fondamentaux républicains, pour semer le doute et inverser le consensus sur les valeurs partagées.
Les connaissances acquises en psychologie et en neurosciences ont toujours alerté sur la facilité avec laquelle on pouvait manipuler les masses, les induire en erreur…
Le conditionnement de l’opinion, l’utilisation d’une certaine sémantique qui renvoie les individus à leurs traumas et à leurs peurs ancestrales peut rendre plus facilement qu’on ne le pense pseudo-acceptable l’inacceptable. Malheureusement, une fois que les gens ont été conditionnés, un peu comme dans l’expérience de Pavlov, il n’y a plus besoin de grand-chose pour obtenir et reproduire un comportement stéréotypé et inadapté à la réalité.
En bref, la marge de manœuvre des collectifs de soignants comme celle des individus est très mince car tous les leviers, y compris juridiques pour les personnels suspendus par exemple, ont été verrouillés.
L’Eclaireur - D’où la constitution un peu partout en France de collectifs, qui ne trouvent d’ailleurs que peu d’écho et de relais dans les médias ?
Leila Gofti-Laroche - Il faut préciser que tous ces collectifs sont nés, non pas d’une opposition à l’obligation vaccinale des soignants, mais de notre indignation de conditionner l’accès aux soins des patients à un pass sanitaire. Il me semble important d’insister que dans ces collectifs, on trouve une majorité de personnes qui ne sont pas suspendues. Il n’y a pas besoin d’être suspendu pour défendre les droits des patients et le respect du consentement des gens à un acte invasif sur lequel on manque autant de recul. Malgré la mise sur le marché conditionnel des molécules, celles-ci étaient et restent au stade des essais cliniques.
De mon point de vue, ce qui caractérise notre époque, et notamment cette crise sanitaire, c’est le détournement des mots. “Antivax” par exemple ne veut rien dire. Traiter ainsi tous les soignants suspendus ou ceux qui les défendent alors qu’ils ont toujours été à jour de toutes leurs autres vaccinations est un non-sens et c’est diffamatoire. C’est l’ère des slogans, des raccourcis, il est si facile de jeter l’anathème.
Le but de ces collectifs est aussi de faire entendre une autre parole, d’apporter de la nuance, un peu de bon sens et même de raison par opposition aux passions qui agitent les médias.
Le terme “alternatif” souvent utilisé est également abusif et stigmatisant. Le monde n’est pas binaire, il y a souvent des options différentes aux situations les plus compliquées, d’autres scénarios possibles. Toute parole compte, ou du moins il y a quelque chose à y entendre, à y extraire. Quand on est face à une situation nouvelle, essayer de penser autrement ne me semble pas complètement délirant. Les personnes innovantes et créatives sont souvent celles qui trouvent des solutions aux problèmes nouveaux qui se posent.
Mais là, tout de suite, les noms d’oiseaux ont volé, “complotistes”, “anti-science”, “illuminés”, “anti système” … Comme ces attaques sont tombées très vite sur la tête de professionnels pourtant très raisonnables, et vu que les personnes raisonnables n’ont jamais très envie de se faire pointer du doigt, beaucoup se sont donc tus, en public en tous cas. Elles viennent parfois “vider leur sac” dans les collectifs.
Des personnes beaucoup moins raisonnables ont aussi essayé de s’inscrire dans nos collectifs mais ils en sont vite repartis, ne se retrouvant pas dans nos débats. Nos collectifs défendent en effet des valeurs professionnelles, l’éthique et la déontologie médicale. La seule vocation de ces collectifs, c’est de remettre les valeurs humanistes au cœur du soin pour les patients mais aussi pour les soignants qui les entourent.
L’Eclaireur - Cette crise n’est finalement pas tant une crise des moyens que le révélateur d’une inquiétante dérive dans l’exercice de nombreux droits, d’aller et venir, de prescrire, de s’exprimer… Comment est-elle perçue chez les soignants selon vous ?
Leila Gofti-Laroche - Cette gestion de la crise Covid est venue heurter l’équité d’accès aux soins mais aussi la notion de consentement. Les soignants sont des personnes comme les autres, ils ont les mêmes droits que les patients pour les actes médicaux qui les concernent. Il est difficile de demander à un professionnel d’être exemplaire dans le respect de principes fondamentaux tels que le respect du consentement et l’information qu’il délivre au patient, et de lui demander dans le même temps d’oublier ces principes pour lui-même.
Les soignants sont bien placés pour savoir qu’en vaccinologie, le degré d’exigence sur l’innocuité est extrêmement élevé puisqu’il s’adresse à des gens en bonne santé, que le recul nécessaire pour le garantir prend de nombreuses années.
Tout professionnel de santé ou même journaliste qui se serait donné la peine de lire le rapport de la Haute autorité de santé (HAS) du 25 novembre 2020, les documents officiels 2021 de Pfizer et de la Food and Drug Administration (FDA) ou juste les monographies du Vidal depuis le printemps 2021, aurait su qu’aucun des vaccins autorisés pour le Covid ne peut par nature être évalué sur sa capacité à limiter la transmission du virus et ne l’a pas été. Ce que Janine Small, la représentante de Pfizer a admis lors de la Commission spéciale Covid au parlement européen.
Le design des études initiales n’a porté que sur les risques d’infections bénignes à modérées, avec un critère de jugement à 28 jours. Depuis le premier jour, les PDG de Pfizer et Moderna ont bien dit eux-même que leur produit n’avait pas été conçu pour empêcher la transmission puisque les anticorps produits (IgM et IgG) n’atteignent pas les muqueuses nasales siège de la transmission et que seuls les IgA peuvent jouer un rôle, mais eux ne sont pas produits par des injections parentérales.
Promouvoir la vaccination pour protéger certaines personnes à risque de développer des formes graves pouvait avoir du sens, instaurer des pass vaccinaux en prétendant que c’était pour “se protéger et protéger les autres” relevait de l’incantation, voire d’un pari mais certainement pas basé sur des données sérieuses. Il faut quand même mesurer que durant de nombreux mois, ces pass et cette logique de QR code ont été l’alpha et l’omega de toute notre vie sociale et professionnelle.
L’Eclaireur - Mais la majorité des soignants se sont toutefois faits vacciner…
Leila Gofti-Laroche – Beaucoup de soignants se sont fait vacciner tout en n’étant pas convaincu de l’efficacité ou de l’innocuité de ces nouveaux produits et restent heurtés par les procédés employés. Certains étaient authentiquement convaincus, mais beaucoup ont trouvé plus important de rester à leur poste pour s’occuper des malades. Et puis les soignants sont comme tout le monde : ils ont besoin d’un salaire pour vivre et payer leurs crédits, les frais de la vie courante.
Un des problèmes posé par la suspension est que si vous vous laissez exclure par le système vous ne pouvez tout simplement plus y participer pour essayer de réorienter le système et défendre les valeurs qui vous ont motivées à devenir soignant. On le sait, beaucoup de gens sont conformistes, ne veulent pas s’exposer, ne veulent pas avoir d’histoires. Beaucoup aussi font simplement confiance, et on les comprend. Enfin il y a tous ceux qui ne peuvent pas se payer le luxe de s’exposer.
Il y a donc une minorité de “pro” qu’on entend publiquement car leur parole est systématiquement valorisée, et il y a tous ceux qu’on n’entend jamais. Mais ce que l’on voit, nous, dans les collectifs, c’est que beaucoup de soignants même parfaitement vaccinés ne sont pas d’accord avec la manière dont cette crise a été gérée et de manière plus générale sur la manière dont on détruit le système de soins.
Il me parait important de préciser qu’il faut vraiment arrêter d’opposer les soignants non vaccinés à ceux qui sont vaccinés. Chacun a eu ses raisons, a fait comme il a voulu et pu en fonction de sa situation personnelle. On a toujours fait confiance à nos tutelles, nos autorités sanitaires, nos représentants et nos protocoles. Pour ma part, je suis quelqu’un qui avait confiance dans nos institutions telles qu’elles se définissent dans les textes. Mais, ces dernières années, en pratique, il y a eu beaucoup de dérives.
C’est vraiment très inconfortable. On s’habitue à des trucs pas nets. La réduction des moyens des services publics, de la recherche, des soins, est un cheval de Troie pour les intérêts économiques qui n’ont que faire du bien-être de la population et qui ne préparent en rien un avenir enviable.
La transformation des universités, ces lieux de savoirs où on apprend à penser avant d’apprendre à compter, pour en faire des écoles où on doit apprendre à être efficient, productif, tout cela m’inquiète beaucoup. Penser n’est pas non efficient, c’est une condition de la créativité, de l’innovation et à terme du progrès. Encore faut-il laisser le temps aux graines de germer et de s’épanouir.
Au final, ce que je retiendrai de la gestion politique de la crise Covid, c’est cette logique de chantage/punition à mes yeux parfaitement incompatible avec l’exercice de la médecine et des objectifs de santé publique.
Force est de constater que depuis 2018, la société française vit au rythme d’interdictions croissantes justifiées par des dangers supposés toujours plus grands. On nous promet du sang, des larmes et des guerres. Tout cela n’a aucun sens pour moi. On n’est pas en guerre contre un virus, contre l’énergie ou au nom du climat. Cette sémantique-là sonne à mes oreilles comme une guerre contre les gens, contre leurs droits fondamentaux au premier rang desquels celui d’être correctement soignés quand ils tombent malades, avec l’argent public issu de leurs impôts et donc de leur travail.
L’Eclaireur - Comment expliquer cette passivité, voire cette acceptation générale quand on voit le peu de réactions, publiques s’entend, que cela suscite ?
Leila Gofti-Laroche – On connait la puissance du conformisme, parce que c’est un besoin humain naturel et vital. Les expériences de Asch et de Milgram par exemple sont intéressantes à connaitre. Nous ne sommes pas des êtres aussi rationnels que nous le pensons. Nous sommes surtout des êtres guidés par nos émotions. La peur en est une, très puissante. Lorsque nous sommes bombardés d’images et d’informations anxiogènes nous finissons par vriller.
Quand tous les pans de notre vie sont envahis par une communication où il n’est question que de maladie, de mort, de dangers à tous les coins de rue, quand on nous incite à craindre nos propres enfants, nos proches, nos voisins, nos collègues (voir les premiers spots du gouvernement pour justifier les confinements), à renoncer pour notre bien et le bien de tous aux rituels les plus sacrés comme câliner nos enfants et nos parents, accompagner nos proches dans la maladie ou la mort, accueillir avec douceur et le visage dégagé l’enfant qui nait … on ne peut pas sortir de tout cela totalement indemnes.
Et quand il n’est même pas possible de s’exprimer sur tout cela, c’est le double effet “kiss cool” : après l’accident, le sur-accident, et c’est ce qu’on voit aujourd’hui avec l’état de la santé mentale des Français, des jeunes en particulier.
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Les neurosciences nous ont appris que les situations qui exposent un individu à la peur, en continu, finissent par hypertrophier une petite structure de notre cerveau limbique, l’amygdale, ce qui a pour conséquence d’inhiber certaines connexions dans le cortex, en particulier des zones dédiées au raisonnement.
On comprend mieux ce qui se passe quand on pense aux personnes phobiques : face à l’objet de leur phobie elles adoptent un comportement hystérique impossible à raisonner. J’ai souvent eu l’impression qu’on a rendu les gens phobiques et c’est pourquoi on ne peut plus discuter raisonnablement avec certaines personnes.
Aujourd’hui, si vous regardez les informations, vous voyez que la peur est constamment entretenue. Quand la peur du Covid s’est atténuée avec le variant Omicron, on a eu droit à un matraquage avec la variole du singe, puis la grippe de la tomate… en bruit de fond la guerre qui gronde en Europe, les risques nucléaires, la crise énergétique, la crise climatique, les menaces de pénuries…
Loin de moi l’idée de nier les nombreux problèmes auxquels nous sommes confrontés, mais est-ce vraiment en alimentant la panique et en promettant l’apocalypse tous les jours que le bon Dieu fait que nous allons pacifier nos sociétés, optimiser nos ressources et agir intelligemment pour faire face aux défis ?
Je ne sais pas si on ne peut encore déconstruire tout cela. On a plongé tant de gens dans la sidération. Certains avancent que seule une autre sidération en serait l’antidote. Je ne le souhaite pas. Je souhaiterai que la raison reprenne les rennes de la conduite des affaires de notre pays et pour cela il faut une volonté politique, une éthique dans la communication. Et laisser les uns et les autres s’exprimer en dehors du cadre imposé. Se tromper n’est pas un crime, limiter la liberté d’expression en est un.
Interrogée sur le protocole de réintégration des soignants inclus dans la proposition de loi, la HAS a indiqué dans un tweet le 9 novembre que ce n’était pas la solution à privilégier et que ce protocole ne serait pas applicable sur le terrain, car… trop contraignant.
Par extension, le terme "maccarthysme" est utilisé pour qualifier toute politique qui, sous le motif de défendre la sécurité nationale, consiste à restreindre l'expression d'opinions politiques ou sociales considérées comme dangereuses ou subversives, en limitant les droits civiques.
Spot gouvernemental désormais introuvable.
Interview très riches d'informations et de réflexions.
Merci à Leïla GOFTI LAROCHE
Merci pour cette interview qui permet de passer en revue une argumentation posée avec bienveillance. Bravo