Pollution de l'air : de quelle intoxication parle-t-on ?
La qualité de l'air s'améliore mais rien ne dit que les dispositifs de type ZFE ou piétonnier y soient pour quelque chose. Alors que l'UE prévoit d'accélérer, il serait bon d'y voir plus clair.
Alors que les bien peu populaires, dans tous les sens du terme, zones à faibles émissions (ZFE) font leur route – les médias de grand chemin étant irrémédiablement passés à la phase suivante, comment-acheter-une-vignette-Crit’air – le rapport de la cour des comptes européenne tombe à point nommé – ou trop tard s’il y a fausse route. Non pas tant pour montrer l’aspect louable, voire le potentiel, de tels dispositifs au motif de lutte contre la pollution de l’air, mais pour pointer leurs limites, et leur délicate et difficile application. Et, de facto, au train où vont les choses, leur échec assez prévisible.
En France, on a vu toutes les circonvolutions qui ont dû être faites pour que l’adhésion des citoyens soit à peu près acquise : les ZFE ont accouché de tout un tas de dérogations – mention à l’amendement Ferrari ou la “dérogation” accordée au carburant B 100 – au point de se demander quelle sera l’efficience des dispositifs sur la qualité de l’air. Cela tombe bien, cet impact n’est non seulement pas mesuré (ou pas encore, seuls des scénarios comme à Bordeaux ont été modélisés) mais il sera vraisemblablement difficilement mesurable et à mettre à l’actif de tel ou tel paramètre.
Exemple à Barcelone où la qualité de l’air s’est améliorée ces dernières années. Problème, la cour des comptes de l’UE reconnait qu’il est difficile de s’y retrouver et de faire la part des choses entre mise en place et donc l’impact de la ZFE, ralentissement social et économique crise Covid aidant et évolution plus structurelle : de fait, la baisse des émissions polluantes avait déjà été amorcée bien avant la mise en place de la ZFE…
Et ce n’est pas propre à Barcelone. Si la cour des comptes de l’UE a dans son dernier rapport, passé en revue et en détails la situation de la capitale catalane et de l’Espagne, mais aussi de Cracovie et la Pologne ainsi que d’Athènes et la Grèce, les trois cas ont valeur d’exemple.
La qualité de l’air n’a pas attendu les zones à faibles émissions, ni autres régulations à coup de vignette Crit’air, pour s’améliorer. En France, les associations chargées de mesurer la pollution atmosphérique s’accordent pour dire que l’amélioration est d’abord à mettre à l’actif des progrès technologiques sur les voitures et donc de l’amélioration du parc roulant. Les ZFE se posent là : non pas pour viser à limiter le flux de véhicules particuliers – qui nécessiterait de prévoir des alternatives en transport en commun et des parkings-relais – mais pour opérer un roulement du parc roulant. Là où ça coince, c’est que tout ne se passe pas tout à fait comme prévu. Outre le fait que la grogne contre les ZFE est patente, la conversion des ménages à la voiture électrique achoppe sacrément. La Grèce en est un exemple criant (voir le rapport de la cour des comptes de l’UE).
Sans parler des effets de bord et autres évitements. Prenez les “axes verts”, concept urbain qui fait partie des mesures listées dans la directive européenne sur la qualité de l’air ambiant. Le principe consiste à convertir des rues motorisées en “espaces végétalisés” où piétons et cyclistes ont la priorité sur les voitures. A Barcelone, le concept, initié en 2006, a été stoppé en 2022. Résultat : malgré un projet financé à hauteur de plus de 25 millions d’euros par l’UE, seuls 14 % des “rues vertes” ont été réalisées.
Le résultat concret est pour le moins mitigé : la pollution fait du yoyo, descendant d’un côté (à l’intérieur du bloc concerné par la mesure) pour augmenter de l’autre (à l’extérieur du bloc). Le dispositif a été sensiblement appliqué à la sauce Piolle à Grenoble où le plan de circulation, qui a conduit à rendre piétonnes plusieurs artères de l’hypercentre (mais sans végétalisation, à moins qu’abattre quelques arbres pour en replanter quelques autres suffise à verdir une politique visant à conforter un bastion électoral), s’est traduit par des reports de circulation et de pollution vers d’autres quartiers moins favorisés. Une belle réussite qui a, qui plus est, conduit de nombreux commerces à délaisser le cœur de Grenoble moyennant la poussée de centres commerciaux aux abords.
L’UE, terre de réglementation obsessionnelle
On le voit, une mesure n’est rien sans mise en musique cohérente et coordonnée. Sans vision d’ensemble et étude d’impact. Or, il semble bien que le point commun de tous ces dispositifs, ZFE et autres axes verts, en soient passablement exempts, vraisemblablement guidés par l’idée qu’un dispositif mis en place entraine l’autre et qu’il faut bien commencer par quelque part…
Le constat de la cour des comptes est sans appel : si les niveaux de pollution de l’air baissent au sein de l’UE, les villes peinent à lutter efficacement contre la pollution atmosphérique et sonore.
Le jeu en vaut-il la chandelle ? L’UE a dépensé plus de 46 milliards d’euros entre 2014 et 2020. Et dépensera encore 185 milliards entre 2021 et 2027. Sans que l’impact sur les niveaux de pollution puissent être vraiment estimés, mesure par mesure, qui permettrait de mettre en avant certains dispositifs, et en modérer ou recaler d’autres alors que l’UE entend encore accélérer le mouvement.
En octobre 2024, elle a annoncé converger vers les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour fixer ses nouveaux seuils réglementaires pour la pollution de l’air. D’ici 2030, probablement plutôt 2050, les niveaux de pollution au dioxyde d’azote et aux particules fines devront avoir été divisés par deux sans toutefois descendre jusqu’aux préconisations de l’OMS (quatre fois moins). Préconisations strictement sanitaires mais qui restent, quoi qu’en disent quelques écolos ou associations (comme Respire en France), inatteignables. Sauf à vivre au somment d’une montagne…