[ Republication ] Le consensus du GIEC est fabriqué
Rôle du CO2 dans le changement climatique, influence de la variabilité naturelle, consensus (ou absence de consensus), impacts et contre-effets. Nous avons interrogé la climatologue Judith Curry.
En ouverture du Forum de l’économie et de la finance bleue qui se tient à Monaco du 8 au 10 juin 2025, Emmanuel Macron met en avant la préservation des océans, un enjeu certes plus urgent que les émissions de gaz à effet de serre. La “science” est utilisée une nouvelle fois pour étouffer les critiques. Malgré son nom, le Forum de l’économie et de la finance bleue promeut principalement l’exploitation économique des océans, reléguant la protection environnementale au second plan.
Nous republions notre entretien avec Judith Curry, qui met en garde contre l’instrumentalisation abusive de la science à des fins politiques et lucratives, et plaide pour un discours scientifique critique et objectif, plutôt que pour des récits façonnés par des groupes d’intérêts.
L’interview en anglais est ci-dessous.
En France, rares sont les médias, hormis Guy Sorman dans Le Point, qui accepteraient d’interviewer ou de mentionner Judith Curry, souvent caricaturée comme trumpiste ou conspirationniste climatique.
Pourtant, elle est reconnue comme une climatologue de premier plan par la communauté scientifique. Si certains critiquent ses méthodes, d’autres lui reprochent vivement de s’opposer publiquement au consensus sur le changement climatique, rompant ainsi avec leur cercle fermé.
Aux États-Unis, où elle a bâti une carrière prestigieuse, ses idées sont entendues, bien que fréquemment contestées. En France, elle est largement ignorée, révélant le manque de pluralisme de la presse française.
Judith Curry remet en question certaines certitudes sur le changement climatique, mettant en avant l’incertitude des variations naturelles, qu’elle juge sous-estimées par le GIEC, dont elle critique l’objectif, selon elle, de confirmer la responsabilité humaine. Elle souligne également les failles des modèles climatiques. Peu après notre entretien, des chercheurs ont annoncé des travaux pour corriger ces modèles très imparfaits.
Dans cette interview, Judith Curry explore les incertitudes du changement climatique et dénonce ce qu’elle nomme la « fabrication d’un consensus », un phénomène qui l’a conduite à quitter son poste de directrice du département des sciences de la Terre à l’Institut de technologie de Géorgie.
Désormais active dans le secteur privé, elle a publié “Climate Uncertainty and Risk: Rethinking Our Response”, un ouvrage où elle encourage à repenser le discours dominant sur le climat.
L’Éclaireur - Que nous apprend la science sur le changement climatique ? Quels sont les principaux points d’incertitude ?
Judith Curry - Le changement climatique lié à l’augmentation du CO2 dans l’atmosphère repose sur une théorie dont le principe de base est clair, mais dont l’ampleur reste très incertaine.
Trois faits sur le réchauffement climatique sont incontestables : les températures moyennes à la surface de la Terre ont globalement augmenté depuis 1860 ; le CO2 absorbe et émet des rayonnements infrarouges, contribuant ainsi au réchauffement ; les humains augmentent la teneur en CO2 dans l’atmosphère en brûlant des combustibles fossiles.
Ces faits sont solidement établis par la science et largement acceptés. Cependant, ils ne suffisent pas à éclaircir les questions clés du changement climatique : dans quelle mesure le CO2 et autres émissions humaines prédominent-ils sur la variabilité naturelle du climat ? Comment le climat évoluera-t-il au XXIe siècle ? Le réchauffement est-il dangereux ? Réduire drastiquement les émissions de CO2 améliorera-t-il le bien-être humain ? Les deux premières questions relèvent de la science, nécessitant des modèles et un jugement expert. La question du « danger » dépend des valeurs sociétales, et celle du bien-être humain touche à l’économie, à la technologie et à l’importance relative de la variabilité naturelle par rapport au réchauffement d’origine humaine.
L’Éclaireur - Quelle est la contribution des activités humaines à la hausse des températures ?
Judith Curry - Les activités humaines affectent le climat par des changements dans l’utilisation des terres (urbanisation, déforestation, agriculture) et par l’augmentation des gaz à effet de serre et des aérosols dans l’atmosphère. Cependant, la sensibilité du climat à l’augmentation du CO2 reste très incertaine, avec une marge d’erreur d’un facteur trois selon le GIEC. Sans une meilleure compréhension de la variabilité naturelle et de cette sensibilité, il est difficile de déterminer précisément la part du réchauffement attribuable au CO2.
L’Éclaireur - Pourquoi les autres facteurs (activité solaire, éruptions volcaniques, rotation terrestre, ouragans, etc.) sont-ils peu considérés ? Quelle est leur importance par rapport aux gaz à effet de serre ?
Judith Curry - La mission du GIEC se concentre sur les causes humaines du changement climatique, ce qui marginalise l’étude de la variabilité naturelle. Une série d’éruptions volcaniques majeures, comme au XIXe siècle, pourrait bouleverser le climat du XXIe siècle. L’activité solaire, y compris ses effets indirects, mérite une attention accrue, mais elle est sous-estimée par la communauté scientifique.
L’Éclaireur - Y a-t-il vraiment un consensus scientifique, comme l’affirment le GIEC et la plupart des médias ?
Judith Curry - Il faut distinguer un « consensus scientifique », qui repose sur un paradigme stable organisant les connaissances, d’un « consensus de scientifiques », qui est une expression collective orchestrée, souvent à la demande de gouvernements ou d’organisations. Le GIEC, sous l’égide de l’ONU, a passé 30 ans à construire un consensus sur le changement climatique d’origine humaine, en intégrant la recherche de consensus dans ses processus. Ce « consensus fabriqué » résulte d’un effort intentionnel de scientifiques soigneusement sélectionnés, motivé par des objectifs politiques.
L’Éclaireur - Seuls les climatologues sont-ils légitimes pour débattre du changement climatique ? Pourquoi des scientifiques non climatologues, notamment des physiciens, contestent-ils le récit dominant ?
Judith Curry - La science du climat est devenue un domaine très large, incluant des disciplines comme l’écologie ou l’économie, mais éloignées des sciences fondamentales (atmosphérique, océanographique, géologique) qui étudient les processus physiques du climat. Un écologiste peut se dire climatologue, mais il manque souvent des compétences pour évaluer les causes des variations climatiques au-delà des conclusions du GIEC. Les physiciens, en revanche, ont les outils pour analyser de manière critique les modèles du GIEC. Travaillant souvent hors de l’écosystème académique du climat, ils peuvent rester plus objectifs, sans dépendre des subventions gouvernementales.
L’Éclaireur - Y a-t-il encore de la place pour la controverse scientifique sur le climat, qui est pourtant au cœur de la démarche scientifique ?
Judith Curry - Malheureusement, les universités ne semblent plus tolérer les désaccords sur le changement climatique. Les scientifiques qui s’opposent au GIEC sont souvent retraités, travaillent dans le privé ou pour des organisations non gouvernementales, car l’espace pour la controverse est limité dans le milieu académique.
L’Éclaireur - Pourquoi avez-vous quitté le milieu académique et la recherche publique ?
Judith Curry - J’ai réalisé que les climatologues doivent soutenir le consensus du GIEC pour réussir. Les scientifiques activistes sont récompensés par des ressources importantes, des salaires élevés et des distinctions, tandis que ceux qui critiquent le GIEC sont marginalisés ou annulés. Refusant de me conformer, j’ai quitté mon poste universitaire pour travailler dans le secteur privé, où je préside désormais le Climate Forecast Applications Network.
L’Éclaireur - Quelles sont les motivations du GIEC : la science ou la politique ?
Judith Curry - Le cadre du GIEC, défini par des politiciens sous l’égide de l’ONU, oriente les scientifiques vers l’étude du changement climatique d’origine humaine, marginalisant la variabilité naturelle et ignorant les bénéfices potentiels d’un climat plus chaud.
L’Éclaireur - Quel est l’impact du GIEC, alors que seul un pays comme la Gambie respecte l’Accord de Paris ?
Judith Curry - Les émissions mondiales continuent d’augmenter. Dans des pays comme l’Allemagne, qui misent sur l’éolien et le solaire, l’énergie devient plus coûteuse et moins fiable, entraînant une fuite des industries et des dommages économiques. Paradoxalement, en fermant ses centrales nucléaires et en manquant de gaz naturel, l’Allemagne revient au charbon, augmentant ses émissions de CO2. Cela montre que le nucléaire et le gaz naturel sont des solutions viables pour la transition énergétique, contrairement à une dépendance excessive à l’éolien et au solaire, qui cause des préjudices économiques et environnementaux.
L’Éclaireur - La réduction des émissions de gaz à effet de serre est-elle la seule solution ?
Judith Curry - Il faut abandonner l’idée de contrôler le climat par la réduction des émissions. Même en cas de succès, les effets sur le climat ou les événements météorologiques extrêmes seraient probablement imperceptibles au XXIe siècle. Les solutions pragmatiques incluent la réduction des vulnérabilités locales aux événements extrêmes, une meilleure gestion de l’eau et le développement de technologies pour minimiser l’impact environnemental de la production d’énergie, des transports, de l’industrie et de l’agriculture.