Télémagouilles
Les collectivités refusent d'entendre la Chambre régionale des comptes quand elle juge que les subventions accordées à TéléGrenoble sont irrégulières. Un véritable système.

Les subventions versées à la chaîne locale grenobloise sont un marronnier. Depuis plus de trois ans, L’Eclaireur répète que ces grasses subventions accordées par les collectivités – communes, métropole, communautés de communes, département et région - sont irrégulières. Parce que subventionner la production de communication institutionnelle l’est et que les collectivités n’exercent pas le contrôle des missions d’intérêt général que la loi leur impose.
Le renouvellement de la fréquence de TéléGrenoble en 2020 avait vu un CSA (devenu Arcom) bien peu curieux.
Le Groupe d’analyse métropolitain avait procédé à une analyse technique et juridique poussée de ce dossier dès 2018. Vous la trouverez ici.
A l’époque, on parlait déjà de 1,425 million d’euros de subvention sur trois ans de la ville de Grenoble et de Grenoble Alpes Métropole. Notez que la subvention accordée par la ville de Grenoble est de 99 000 euros par an hors taxes, soit 1000 euros sous le seuil des 300 000 euros sur trois ans posant l’obligation de notification nationale et d’autorisation préalable. La Chambre régionale des comptes n’a pas retrouvé trace de la délégation autorisant Olivier Bertrand, adjoint au maire de Grenoble, conseiller métropolitain et ancien conseiller départemental, à signer la convention. Comment organiser sciemment l’opacité… D’autant que les comptes de TéléGrenoble SAS sont partiellement confidentiels depuis 2023.

L’Eclaireur a fait le choix de ne recourir à aucune subvention, publique comme privée, ni à la publicité pas plus qu'au financement participatif. Notre existence et notre indépendance ne résultent que de vos abonnements.
Le subventionnement d’une chaîne locale privée de télévision ne peut que porter sur le coût réel des missions de service public effectuées, qui doit être précisément évalué et contrôlé, et ne peut en aucun cas participer au financement d’autres activités et au versement de dividendes aux actionnaires de la chaîne privée subventionnée. Avant de subventionner des missions d’intérêt général, la collectivité doit s’assurer de la viabilité économique de la chaîne, qu’elle ne soit pas structurellement déficitaire, sans quoi il s’agit d’une aide publique illégale. D’après nos informations, environ la moitié des recettes de TéléGrenoble proviennent de subventions publiques…
Si les collectivités souhaitent acheter la production de programmes de communication institutionnelle, alors il faut passer par des marchés publics. Ce ne sont pas les entreprises de production audiovisuelle qui manquent. Et rémunérer TéléGrenoble, un éditeur de programmes, pour leur diffusion, comme pour tout contenu publicitaire - car c’est ce qu’est la communication institutionnelle.
En clair, on peut subventionner à prix coûtant le service de diffusion de la grille de programme, comme le font par exemple des collectivités de Savoie et de Haute Savoie (elles paient la facture de TDF) pour la chaîne 8 Montblanc, mais pas le coût de la production de la grille de programmes. A moins de passer par le parrainage, c’est à dire sponsoriser une émission. Quoiqu’il en soit, TéléGrenoble ne peut pas consacrer plus de 10% de sa grille à la communication institutionnelle, dixit l’Arcom.
La chambre régionale des comptes Auvergne Rhône Alpes épingle une fois de plus dans ce dernier rapport publié le 4 février la convention d’objectifs et de moyens signée par la ville de Grenoble avec TéléGrenoble.
Ainsi, le contrôle effectif des missions de service public d’édition de programmes télévisés locaux est-il impératif, mais s’avère inexistant, tant en ce qui concerne les subventions versées par la commune de Grenoble que par la Métropole de Grenoble.
Les observations de la CRC faites à la Métro en 2021 sont visiblement restées lettre morte et les élus grenoblois siégeant en ont tiré aucun enseignement. En trois ans, rien n’a changé.
Pas une mince affaire que ce contrôle des missions d’intérêt général confiées à TéléGrenoble, puisque son absence pose la question de savoir si les subventions n’ont pas également servi aux deux dirigeants de Télégrenoble, Gérard Balthazar son président et le rédacteur en chef Thibaut Leduc, à monter une opération immobilière en achetant les locaux de TéléGrenoble SAS par le truchement de la SAS Immo TéléGrenoble. La gestion des entreprises est libre, pas l’utilisation des subventions publiques.

La collusion entre la politique et les médias n’est pas nouvelle. Mais avec TéléGrenoble, il s’agirait plutôt de fusion. Jugez plutôt. Christophe Revil, journaliste qui a animé jusqu’en 2021 l’émission Class’Affaires sur TéléGrenoble et est y encore employé si l’on en croit le site de la chaîne, est également maire de Claix (élu en 2020), conseiller métropolitain et conseiller départemental de l’Isère. TéléGrenoble est subventionnée notamment par la ville de Grenoble, la Métro et le Conseil départemental de l’Isère.
Place Gre’net soulignait également en 2021 que “(…) Nathalie Faure se présente sur le canton de Fontaine-Vercors (elle a été élue, ndlr) derrière le président sortant du Département. La fille de l’ex-sénateur UMP de l’Isère Jean Faure et compagne du directeur général de TéléGrenoble Gérard Balthazard a, depuis janvier 2020, pris les commandes de l’émission Esprit Montagne. Émission dont elle est la chef d’édition, après avoir été chargée du service de presse à Courchevel.” Gérard Balthazar et Nathalie Faure sont également associés dans la société de conseil en communication, marketing et relations presse GB & NF Partners.
TéléGrenoble, contactée par nos soins, affirme réunir 100 000 téléspectateurs par semaine, chiffre issu d’une étude Médiamétrie datant de 2023. Nous avons également contacté Médiamétrie, qui n’avait pas répondu au moment de la parution de cet article. Nous rajouterons leur réponse dès qu’elle nous sera parvenue.
La télévision est un média presque mort. Ses audiences, ultra fragmentées depuis l’avènement de la TNT, sont en chute libre, en particulier dans la classe d’âge critique pour les annonceurs, celle des 18-50 ans. Les revenus publicitaires fondent comme neige au soleil. Seuls les grands événements sportifs réunissent encore des audiences importantes. Ce fut le cas de la cérémonie d’ouverture des JO, qui a enregistré la plus forte audience de l’histoire de la télévision avec 24,4 millions de téléspectateurs.
La classe politique, préoccupée par paraître sans qu’on puisse la contredire en direct comme sur les réseaux sociaux, s’y accroche comme une moule à son rocher. Aux frais de la collectivité, alors que le subventionnement de tous les médias est toxique pour le pluralisme puisqu’il consiste à maintenir artificiellement en vie nombre de ces médias qui n’ont plus les faveurs du public et laisser tenir le crachoir à des gens que plus grand monde écoute. Vrai pour la télévision et surtout pour la presse écrite. Moins vrai pour la radio.
Si, contrairement à ce qu’avance Elon Musk, nous ne sommes pas tous journaliste, le débat politique et le processus d’établissement de la vérité se déroulent en direct sur les réseaux sociaux, fruit de l’intelligence collective. C’est pour cela qu’ils déplaisent tant aux pouvoirs en place.