Versailles sur Potomac
La politique américaine est sur une pente dangereuse - par le colonel Douglas Macgregor
Article paru originellement en anglais dans The American Conservative.
Le colonel Douglas Macgregor est diplômé de West Point et titulaire d’un doctorat en relations internationales de l’université de Virginie.
Durant ses vingt-huit années de carrière militaire, le colonel Douglas Macgregor a notamment été chef de la planification stratégique et du centre d’opération interarmes du commandement suprême de l’Otan durant l’intervention de 1999 au Kosovo. Il fut également le conseiller du secrétaire à la Défense Chris Miller.
Dans notre rubrique Réflexions libres, les propos des auteurs n’engagent qu’eux-mêmes et ne reflètent en aucun cas les opinions de L’Eclaireur, au-delà de notre choix, que nous jugeons nécessaire, de leur donner la parole dans un soucis de pluralisme et de meilleure compréhension du monde.
Depuis le district fédéral de Washington, la Révolution française de 1789 peut sembler un événement historique lointain. Pourtant, ses enseignements demeurent d’une pertinence saisissante. Même des esprits aussi perspicaces que Benjamin Franklin ou Frédéric le Grand n’avaient pas anticipé le bouleversement qui allait redessiner la France et le monde. Cette méprise nous rappelle que les révolutions naissent souvent de dynamiques sociales complexes, parfois subtiles, mais toujours marquées par une indignation populaire face à une élite perçue comme décadente, déconnectée et irresponsable.
En 1789, la colère révolutionnaire visait principalement l’aristocratie française, dont la richesse ostentatoire et la corruption étaient connues et décriées. Pamphlets et journaux clandestins dénonçaient non seulement les vices personnels, mais aussi l’état désastreux des finances publiques: une dette écrasante, accumulée par des dépenses extravagantes et des guerres coûteuses, y compris le soutien à la guerre d’indépendance américaine.
Aujourd’hui, les Américains sont aux prises avec leurs propres inquiétudes quant au pouvoir et à la responsabilité des élites. Le scandale Jeffrey Epstein n’a pas pris fin avec sa mort dans la cellule d’une prison fédérale ; il s’est métastasé. Les manifestes de son jet privé dévoilés, l’accord de plaider coupable controversé de 2008 et la clémence inexplicable des administrations successives suggèrent un réseau de protection bipartisan, reliant les cercles Clinton, la Silicon Valley et Mar-a-Lago, comme l’a documenté la journaliste d’investigation Julie K. Brown.
L’association du président Donald Trump avec Epstein – limitée à des mondanités dans les années 1990 et à une citation dans New York Magazine en 2002 où il l’actuel locataire de la maison blanche le décrivait comme un « type formidable » – n’est pas une preuve de culpabilité. Elle révèle néanmoins un problème de classe. Lorsque l’agenda social de l’élite croise celui d’un délinquant sexuel condamné, les électeurs tirent inévitablement des conclusions sur l’intégrité morale de ceux qui détiennent le pouvoir.
Comme l’a observé Matt Taibbi dans Griftopia (2010), les médias américains protègent souvent les puissants des critiques directes, sauf en cas de condamnation judiciaire. Le cas Epstein, amplifié par son lien avec Trump, a donc touché une corde particulièrement sensible, soulignant la profonde méfiance des Américains envers une élite perçue comme au-dessus des lois.
Parallèlement, nombre de ceux qui ont soutenu Trump s’inquiètent. Jusqu’à présent, aucune inculpation ni poursuite n’a vu le jour, malgré des déclarations confuses de figures comme la ministre de la justice Pam Bondi. Les souvenirs de controverses comme l’affaire de l’ordinateur portable de Hunter Biden poussent certains se demander si le paysage politique s’est simplement déplacé sans changement notable depuis l’élection de 2024.
Les électeurs de Trump attendaient davantage qu’une frontière sécurisée. Les agents de la police aux frontières espéraient une stratégie globale impliquant les forces armées pour surveiller et sécuriser les frontières, l’espace aérien et les eaux territoriales, en appui aux forces de l’ordre et à la lutte antiterroriste. Pourtant, un plan clair peine à faire jour.
Sur le plan de la politique étrangère, Trump avait promis de mettre fin aux interventions militaires coûteuses et dépourvues d’avantages stratégiques pour le peuple américain. Au lieu de cela, son administration a prolongé et élargi les politiques de l’administration Biden, incluant des conflits par procuration avec la Russie et une réponse timorée à la crise humanitaire à Gaza. Les ambitions régionales d’Israël menacent d’entraîner les États-Unis dans un conflit prolongé, épuisant ses ressources fiscales et matérielles. Les attentes de réduction des dépenses inutiles et de recentrage de l’armée sur la défense de l’hémisphère Occidental restent largement insatisfaites.
L’immigration, pilier de la campagne de Trump, suscitait des attentes de mesures décisives pour expulser des millions d’étrangers en situation irrégulière, non admis pour leurs compétences en sciences, technologie, ingénierie ou mathématiques. Beaucoup estiment que la politique de frontières ouvertes de l’administration Biden visaient à constituer une base politique pour ancrer la domination de la gauche à Washington – une domination qu’il pourrait être difficile de renverser par les seules élections.
Si personne n’attendait de solution immédiate, les partisans de Trump espéraient une stratégie sérieuse. Le président dispose de l’autorité pour mobiliser les marshals fédéraux et la Garde nationale afin de contrer systématiquement l’immigration illégale, mais aucun plan d’envergure n’a émergé. De plus, l’ouverture récente de Trump à une amnistie pour des millions d’illégaux a alarmé nombre de ses soutiens, qui y voient une trahison de ses promesses et une menace pour l’avenir de la République américaine.
Sur le plan économique, les Américains ressentent quotidiennement l’impact de l’inflation, de l’immigration et de l’incertitude économique. Le statut du dollar comme monnaie de réserve mondiale a longtemps permis aux administrations américaines de poursuivre des politiques budgétaires expansives sans grand risque. Pourtant, beaucoup espéraient que Trump freinerait cette tendance.
Cet espoir reste insatisfait. Les échecs d’initiatives comme le Département de l’Efficacité Gouvernementale (DOGE), ainsi que les lacunes des efforts antérieurs comme le plan Simpson-Bowles et la Commission Grace, soulignent la persistance des dépenses déficitaires. La récente adoption de la loi de budget “One Big Beautiful Bill” signale une volonté continue d’accroître les dépenses fédérales plutôt que de les contenir.
Aujourd’hui, le ratio dette/PIB des États-Unis dépasse 120 % – presque le double de ce qu’il était avant la crise financière de 2008. La hausse des rendements des bons du Trésor suggère que Washington pourrait entrer dans une dangereuse « spirale de la dette ». Des banquiers comme Jamie Dimon de J.P. Morgan mettent en garde contre une possible « fracture du marché obligataire » qui pourrait déclencher un réalignement de l’ordre économique mondial. Parallèlement, l’émergence des BRICS comme alternative monétaire post-Bretton Woods annonce un autre changement potentiel dans les dynamiques économiques globales.
En somme, Washington fonce vers une crise de la dette souveraine, des guerres étrangères croissantes et des troubles domestiques potentiels, sans direction claire. Bien que le président Trump n’ait pas créé ces problèmes seul, il en porte désormais la responsabilité. Ses promesses de campagne en matière de responsabilité, de transparence et de réforme fiscale restent à réaliser.
Le cas Epstein, qu’il s’agisse d’une distraction passagère ou d’un signe de troubles plus profonds, souligne la fragilité de la confiance du public. Lorsque la monarchie française s’est effondrée, la révolution qui s’en est suivie a déclenché des années de violence et de chaos. Peu d’Américains souhaitent voir un tel scénario se dérouler.
Trump serait avisé de ne pas considérer l’érosion de la confiance envers son administration et la classe politique comme un phénomène passager. Les multiculturelles comme la nôtre exigent une gouvernance prudente pour maintenir la cohésion sociale. La violence incendiaire de l’été 2020, et les forces, telle que Black Lives Matter, qui l’ont alimentée, n’ont pas disparu.
Pendant une grande partie de l’histoire américaine, le citoyen moyen est resté inconscient des batailles complexes menées tant au-delà des frontières qu’ à l’intérieur du périphérique washingtonien. Mais la proximité d’Epstein avec Trump, au-delà des allégations elles-mêmes, met en lumière les profondes inquiétudes concernant le pouvoir des élites et leur décadence morale.
Comme les Parisiens de 1789, les Américains répondent puissamment aux appels qui honorent la vertu et condamnent le vice. Ignorer l’impact du scandale Epstein, surtout alors que l’administration Trump ne parvient pas à tenir ses principales promesses, serait une grave erreur.
Pour les conservateurs attachés à l’ordre, à la liberté et au renouveau national, la voie à suivre est claire. Les dirigeants doivent restaurer la confiance publique en affrontant les excès des élites, en sécurisant les frontières, en mettant fin aux guerres inutiles et en poursuivant la discipline budgétaire. Ce n’est qu’ainsi que l’Amérique pourra éviter le destin d’un Versailles sur Potomac.
Vous parlez de "la crise humanitaire à Gaza". Ce n'est pas une "crise humanitaire", et il n'y a pas de "réponse timide" américaine. Il s'agit d'un blocus alimentaire total, qui provoque chaque jour la mort de centaines de personnes par la famine, quand elles ne sont pas assassinées par les snipers de Tsahal dans les files d'attente, pour prétendument leur fournir de la nourriture. L'entité sioniste commet un génocide, et vient de décider de la colonisation complète de la Cisjordanie, où le Hamas n'existe pas, et l'expulsion de tous ses habitants arabes autochtones. Qui sont vos maîtres?