[ Grenoble ] Un vert, des revers (bis)
Déboulonné de la scène politique nationale, Eric Piolle aligne les revers. Alors que la justice doit se prononcer sur l'affaire de la Fête des tuiles, retraits et démissions se multiplient.

A Grenoble, les quartiers populaires sont subrepticement passés à la trappe. La délégation, qui incombait jusque-là à la première adjointe, a disparu depuis qu’Elisa Martin l’insoumise, élue députée, a passé le relais à Isabelle Peters la communiste.
Que reste-t-il pour la nouvelle première adjointe, dont la fonction première est de suppléer le maire en son absence ? Un secteur de la ville, le secteur 5.
En 2018, la sécurité à la sauce grenobloise, la “tranquillité publique”, délégation de la première adjointe, avait déjà été reléguée en queue de tableau, histoire peut-être de signifier que la question était du ressort de l’Etat. Et tant pis si les prises de position du premier magistrat de la ville, entre fresque anti-police et caution islamiste à peine voilée (dont le dernier épisode en date est le burqini) délivre un mauvais signal de légitimation de l’action en force.
Le dernier avatar de cet état de fait s’est manifesté quelques heures avant la tenue du conseil municipal validant le remaniement à la faveur de la démission de tous les adjoints, pas vraiment du goût de nombreux élus 1 – ce doit être le pendant interne de la participation et co-construction citoyennes.
On remarquera qu’une fois de plus, l’annonce de ce remaniement – le changement de première adjointe mais aussi la présence et la prééminence de Vincent Fristot, tout à la fois adjoint qui reprend les finances derrière Hakim Sabri et représentant de la partie civile au procès à venir de la Fête des tuiles – avait été soigneusement présenté à la presse. Sans que cela n’émeuve plus que cela les journalistes conviés à une annonce qui ne s’embarassait guère de la représentation municipale. Rappelons que, même si le conseil municipal n’a pas d’avis à donner sur qui est en charge de quoi, l’élection de la nouvelle première adjointe était soumise au vote…
Le dernier avatar de cet état de fait - la légitimation du passage en force - a suivi la mort d’un jeune homme, défavorablement connu des services de police selon la formule consacrée, tué par un policier alors qu’il véhiculait, en ville, en fin de journée, sur son scooter un autre jeune, Kalachnikov en bandoulière. Réaction du premier édile de la ville ? Mettre en place une cellule psychologique en soutien à la famille de la victime, pourtant martinéroise.
A Grenoble, circuler dans les rues, en plein jour, équipé d’une arme de guerre approvisionnée avec deux chargeurs pleins tête-bêche, doit somme toute être normal et excusable. La présence au sein du conseil municipal d’Alain Carignon, rappelons-le élu démocratiquement, l’est moins. Car pour Eric Piolle, « la présence d’Alain Carignon dans ce conseil est déplorable pour la démocratie ». L’arc humaniste a manifestement ses limites.
A Grenoble, il ne fait pas bon critiquer le premier magistrat, ou à tout le moins oser une opinion divergente – encore plus si elle s’exprime publiquement. Lors du premier mandat, les colistiers d’Eric Piolle, Guy Tuscher et Bernadette Richard-Finot, en avaient fait l’amère expérience. Ils avaient dû quitter la majorité après avoir refusé de voter le budget d’austérité qui consacrait la fermeture de bibliothèques. Rebelote avec Hosni Ben Redjeb lors du second mandat, qui lui aussi a formé son propre groupe avec Olivier Six.
Même si à bas bruit, les tiraillements en interne ne sont plus un mystère. Le retrait de l’adjoint aux finances, la perte de la délégation “innovation” à celui chargé de faire aboutir les dispositifs d’interpellation et votation citoyenne dont Grenoble s’est beaucoup vanté et dont on a vu l’annulation par la justice. Les démissions successives de fonctionnaires et d’élus (dernière en date, Chloé Le Bret pour cause de divergences sur le burqini), dont la brutalité sous-jacente a fini par déborder dans un courrier accompagnant la toute récente démission du plus proche collaborateur du maire : son conseiller spécial Enzo Lesourt, prophète de l’effondrement du système capitaliste et, à la ville, compagnon de Chloé Le Bret.
La dernière (avant la prochaine ?) tuile qui tombe d’un édifice qui se lézarde ? Beaucoup veulent y voir la fin du “système” Piolle. « Même ses proches ne veulent plus cautionner ce système basé sur la violence, la peur, la concentration du pouvoir à l’opposé de l’affichage politique qu’il est censé incarner », tance Alain Carignon. « Le vernis disparait et le départ d’Enzo Lesourt signe la fin d’une époque. Le système implose, Eric Piolle est devenu le problème de Grenoble ».
Un système où les pressions sont monnaie courante. Où les collaborateurs sont de simples pions fustige-t-on dans les couloirs. On le mesure dans le courrier d’Enzo Lesourt, qui a largement fuité. Même si on prendra avec des pincettes les assertions de ce disciple de Machiavel doté, trop jeune, de “pleins-pouvoirs”, faisant dire à certains que sa missive – dont on se doute que la fuite a été très organisée – n’est que “fourberies”. On se rappelle les conférences de presse de certains élus, moins aguerris, cornaqués à coup de trique par Enzo Lesourt, les SMS brutaux du conseiller spécial adressés à des journalistes quand un article, un mot, ne lui convenait pas. Et tant pis si le mot était juste. Ou les entretiens avec Eric Piolle interrompus brutalement dès lors que l’échange sortait du cadre pré-établi.
Enzo Lesourt et Eric Piolle ? L’ombre et la lumière, l’un n’allait pas sans l’autre. Et le premier avait assurément la caution de l’autre. « Un collaborateur applique la politique de son patron, juge Alain Carignon. J’ai été maire, ministre, président du Département, si un collaborateur peut faire ça devant vous, c’est parce que vous lui avez demandé de le faire ».
Sur ce courrier, le maire n’a jamais voulu faire de commentaires. Lors du dernier conseil municipal, face au tir groupé des oppositions contre sa politique et sa manière de faire de la politique, Eric Piolle a fustigé les propensions à « s’engouffrer dans chaque polémique ».
En attendant, la fracture se creuse. Entre le nord et le sud de la ville, sa Presqu’Île sur-équipée et son centre-ville réaménagé et piétonnisé d’un côté et les quartiers de l’autre, en panne (momentanée ? ) de délégation.
“ Depuis trente ans, les politiques publiques ont échoué à sortir les quartiers Sud à Grenoble de leur isolement. Alors que violences urbaines et trafic de stupéfiants se diffusent dans toute la ville, l'État et les collectivités tentent de colmater les brèches. Mais après l'élan de rénovation urbaine, l'accompagnement social est le grand oublié des politiques ”, écrivait-on dans une enquête en août dernier sur Place Gre’net.
Cette fracture, on la retrouve dans des “détails”. Dans la capitale du Dauphiné, 70 % des fontaines sont hors service, a constaté en ce début d’été le collectif Vivre à Grenoble qui dénonce une politique d’annonces et de slogans après que la Ville ait vanté sa politique fraicheur entre nouvelles bornes fontaine et brumisateurs. Sur 40 fontaines, 12 sont en service. Mais aucune des 7 recensées dans les quartiers sud.
« En politique, les symboles sont forts. Votre choix envoie un message d’abandon », tançait la conseillère municipale, socialiste et apparentés, Cécile Cenatiempo le 11 juillet à la découverte de la disparition de la délégation des quartiers.
Où va Grenoble ? Son maire vante le menu 100 % végétarien, nouveau standard des cantines scolaires de la ville, tente de contrecarrer les effets du changement climatique et des poussées de mercure avec des gadgets, piétonnise par poussées et par surprise. Bref, communique et cause. Beaucoup. Par presse interposée, ou sur les réseaux sociaux.
Mais, sur le terrain, les tensions entre les élus et la population, et notamment le Cluq (comité local des unions de quartier) sont plus que palpables. Et la ville comme à l’arrêt, à l’exception de quelques animations et projets peu onéreux mais médiatiquement (et si possible nationalement) rentables et réduits à des slogans. Hosni Ben Redjeb parle lui de « démocratie participative canada-dry ». A Grenoble, les conseils municipaux, qui se tenaient hier sous protection policière, sont toujours fermés au public, au motif de la Covid, sans qu’aucune obligation nationale n’impose un tel huis-clos. Les réunions de commission (ouvertes aux oppositions) se tiennent à distance, contrairement aux réunions de la majorité.
Ville en crise ? Il se dit qu’en 2023, Grenoble plombée par la dette, n’échappera pas à une hausse des impôts, question-supposition pas contredite par le premier édile de la ville le 11 juillet 2.
Au chapitre “actions et grands projets” sur le site web de la ville, trône en tête de chapitre “ Grenoble, capitale verte européenne” qui fleure bon l’exhortation un peu vide. Les gros projets comme le réaménagement de l’Esplanade sont en rade, annoncés pour 2035.
« De cette politique, où on ne voit pas de feuille de route claire, ne restent que des annonces », fustige Hosni Ben Redjeb. « Il n’y a rien de concret faute de vision. On y a installé l’association Alternatiba moyennant un bail de 40 ans mais pour y faire quoi ? La majorité distribue des locaux ici et là mais sans projet global ».
Une politique de petits pas et de petits arrangements ? « Si l'arrivée d'une majorité écologiste au pouvoir était préparée de longue date par une vieille tradition insurrectionnelle, aujourd'hui ces militants radicaux, dont certains sont prêts aux pires extrémités (une flambée d'actes d'éco-terrorisme inquiète depuis plusieurs années les autorités locales : incendies volontaires d'installations industrielles, et même de casernes de gendarmerie), bénéficient parfois des largesses du maire », écrivait Paul Sugy dans une enquête du Figaro très étayée.
« Celui-ci leur a, par exemple, abandonné un squat rue d'Alembert en échange d'un loyer symbolique, pour un bail qui court sur quarante ans. “ Ici, l'utra-gauche se sent comme chez elle : elle bénéficie de conditions favorables”, fait-on savoir en haut lieu, là où les “UG”, comme on les appelle, constituent avec les narcotrafiquants l'un des fléaux les plus surveillés et les plus redoutés ».