L'ÉCLAIREUR

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[ Analyse ] Surveillance de masse et guerre des données

Seule la corruption des élites européennes peut expliquer un tel niveau de soumission et d'absence de vision stratégique.

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Pascal Clérotte
oct. 27, 2025
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Première partie

Cela fait trente ans que l’accès aux données personnelles est un champ de bataille où s’affrontent l’Europe et les États-Unis, à armes inégales. Enfin, inégales, façon de parler. La réalité est qu’une fois encore, l’Union européenne s’avère être un facteur d’immense faiblesse, un annulateur de puissance — ce pour quoi les grands planificateurs américains de l’après-guerre, George Ball et consorts, l’avaient conçue, et que leurs petits télégraphistes européens — Monnet, Schuman, Spaak, De Gasperi, Delors, Prodi, Barroso, Draghi, von der Leyen, Trichet, Lamy, Moscovici, Lagarde et consorts — se sont empressés de matérialiser contre l’avis des peuples.

La création en 1952 — deux ans après celle de l’OTAN — de la Communauté européenne du charbon et de l’acier avait pour but d’empêcher les Européens d’acheter du charbon d’excellente qualité et très bon marché au Pacte de Varsovie, afin que la sidérurgie européenne ne puisse pas renaître de ses cendres et venir concurrencer l’américaine. Remplacez charbon par gaz russe et vous aurez la principale raison de la provocation de la guerre en Ukraine. On peut difficilement reprocher aux Américains d’être cohérents dans la défense de leurs intérêts, qui, en Europe, se résument depuis la fin de la Première Guerre mondiale essentiellement à du pillage. On peut en revanche tenir comptables, y compris devant la justice, les dirigeants européens qui ne veillent pas à ceux de leur pays.

Les Américains ont, en matière de données, un immense problème : ils ne possèdent pas de bases unifiées et structurées comme en Europe. Nous ne parlons pas des données collectées par les GAFAM, qui n’ont qu’une faible valeur comparée à celles, par exemple, générées depuis 1998 par la Carte vitale. La France est le seul pays au monde qui dispose de trente ans de données de santé sur l’ensemble de sa population, base dont la clé est le numéro de sécurité sociale — c’est-à-dire un numéro dont les trois premiers chiffres sont le sexe et l’année de naissance. L’État français n’a rien trouvé de mieux que d’en confier la gestion à Microsoft. C’est pire que la vente à vil prix, par Nicolas Sarkozy, d’une partie du stock d’or de la France.

Les armées françaises ont été forcées d’utiliser des produits Microsoft, les obligeant à créer leurs propres add-ons, leurs propres briques de sécurité, alors que la France dispose dans le même temps d’un des services les plus en pointe au monde en matière de cyber : la Gendarmerie nationale, qui a fait le choix, depuis trente ans, de ne fonctionner qu’avec des systèmes open source, des logiciels libres…

Penchez-vous un peu sur la qualité particulièrement médiocre des données sur la criminalité aux États-Unis et sur l’incapacité du FBI et du Département de la Justice à les consolider au niveau national, et vous comprendrez l’ampleur du problème qui rendait fou un certain Elon Musk. En 2021, par exemple, moins de 65 % des départements de police locaux avaient transmis des données complètes au National Incident-Based Reporting System (NIBRS), gigantesque trou dans les statistiques nationales. Les données de santé, elles, sont la propriété des compagnies d’assurances privées, toutes organisées en réseaux captifs. Leur accès est aussi coûteux que difficile.

Saisissez ce que signifie le fait suivant : près de 80 % des ordinateurs utilisés par l’État fédéral américain sont obsolètes — ils ont plus de cinq ans — et leur délai de renouvellement est lui-même, à ce jour, de cinq ans. Les États-Unis, pays hyper high-tech ? Un mythe.

Notre confrère Marc Endeweld a publié un excellent article qui propose un état des lieux de l’incompétence des institutions européennes, lesquelles font tout pour nous mettre définitivement sous la férule américaine, alors que l’Europe, sous bien des aspects, est bien plus développée que les États-Unis. La guerre des données ne fait que commencer, mais à Bruxelles, on ne se préoccupe que de la censure des populations.

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2 days ago · 12 likes · 1 comment · Marc Endeweld

Le Digital Services Act (DSA), monstruosité bureaucratique visant à contrôler le discours, a été voulu par les démocrates américains, originellement par l’administration Obama, dans le but express de contourner le Premier amendement de la Constitution américaine en sous-traitant la censure des Américains aux Européens. Nous vous renvoyons au rapport sur les Twitter Files France rédigé par Thomas Fazi et l’auteur de ces lignes.

Cela explique l’inefficacité du DSA, puisque tous les Etats membres de l’UE disposaient déjà des moyens de censurer leur population, moyens inclus dans la directive commerce électronique de 2000. La mise en œuvre du DSA est illusoire, à moins de procéder à une censure ciblée sur des individus et des organisations précis et préétablis — ce qui sera ultimement tranché par les tribunaux, non par des tiers de confiance ou l’Arcom, puisque l’utilisation des plateformes est régie par le code de la consommation pour les particuliers et le code du commerce pour les professionnels.

Nous venons d’avoir deux exemples récents, qui montrent que les juges s’en tiendrons au cadre le plus stricte concernant la liberté d’expression qui constitue la norme, et seules les atteintes manifestement illicites, établies par des preuves concrètes, peuvent justifier la censure. Le DSA ne sert donc strictement à rien.

Prenons également la ridicule taxe GAFAM, imposée parce qu’à Bruxelles et dans les capitales européennes, on refuse de signifier aux Néerlandais, aux Belges, aux Luxembourgeois — le Benelux ayant toujours été un cheval de Troie en Europe — et aux Irlandais de mettre un terme à leurs dispositifs nationaux qui seuls rendent possible l’optimisation fiscale à tout-va, dont les multinationales européennes bénéficient en premier chef.

Quant au chantage aux droits de douane de Donald Trump, il est très facile à contrer. Il suffirait d’imposer, aux frontières de l’UE, un contrôle des capitaux afin d’étendre le domaine de la guerre commerciale à l’industrie financière américaine. Tout s’arrêterait très vite lorsque les fonds d’investissement américains, tous financés par la planche à billets de la Fed, seraient dans l’obligation de demander l’autorisation à chacune des 27 banques centrales européennes pour rapatrier capitaux, dividendes et plus-values.

Mais cela nécessite du courage politique, qualité dont les élites européennes sont dépourvues. Et surtout, cela impose de sortir définitivement de l’idéologie néolibérale. Autant demander à un canard d’aboyer.

L’UE, qui ne consiste plus depuis belle lurette à harmoniser mais à uniformiser à la schlague, est répétons-le source d’une immense faiblesse que les bénéfices putatifs du marché commun, inexistants comme le démontre notre confrère Thomas Fazi dans un long essai en quatre parties, ne viennent pas compenser.

Le futur de l'Europe passe par le démantèlement de l'UE

Le futur de l'Europe passe par le démantèlement de l'UE

Thomas Fazi
·
Sep 13
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Si l’on avait laissé les États membres décider chacun de leur côté de leur politique en matière de données personnelles, tout en assurant une harmonisation comme cela fut fait pour les couvertures maladie, les Américains se seraient vite retrouvés en situation d’infériorité : beaucoup plus ardu d’imposer leurs normes à 27 États individuels que par le truchement du monstre supranational qu’est devenu l’UE.

Quant à vous, vous vous retrouvez marris parce que votre ordinateur ne peut pas passer sous Windows 11, car il ne possède pas le fameux Trusted Platform Module, une puce de sécurité intégrée à la carte mère qui protège les clés de chiffrement, les identifiants et d’autres données sensibles ? Si Microsoft impose ses normes de sécurité à l’ensemble des PC — comme Microsoft imposa son premier système d’exploitation MS-DOS à la fin des années 1970 — c’est pour contrôler votre ordinateur, non pas pour assurer sa sécurité, et se garantir une rente et des rendements croissants, en vous facturant licences et abonnements et en monétisant vos données.

Pas de panique ! Ne changez surtout pas d’ordinateur. Contentez-vous d’installer une distribution de Linux telle que Linux Mint. Non seulement cela étendra d’au moins cinq ans la durée de vie de votre ordinateur, mais pour une utilisation typique — bureautique, Internet et jeux — vous ne verrez pas la différence. Vous aurez un système plus stable et plus sécurisé, qui ne passera pas son temps à vous espionner (aucune collecte de données). Vous disposerez de logiciels de meilleure qualité que ceux de Microsoft (Office 365, etc.). Il ne vous en coûtera rien, et vous aurez le plaisir de faire un gros bras d’honneur à Bill Gates. Que demander de plus ?


La manie de la donnée

Thomas Fazi et moi-même avons explicité, dans notre rapport sur les Twitter Files France, les raisons de l’obsession paranoïaque et panoptique qu’est la surveillance de masse. Obsession d’une caste virtuelle qui, confondant la carte et le terrain, prenant le portrait pour le modèle, souffre d’une psychose dont la manifestation délirante est la croyance qu’on peut lutter contre le terrorisme ou le trafic international de stupéfiants par la collecte et l’analyse de données.

Le terrorisme et le trafic de stupéfiants se combattent avant tout par le renseignement humain (pas de police sans indicateur), l’enquête judiciaire et le contrôle des frontières, des activités bien concrètes. L’analyse de données ne vient qu’en complément, autorisant parfois des ciblages et apportant des éléments de preuve techniques — si, du moins, on parvient à attribuer les communications à des individus.

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