Au Brésil, des documents révèlent l'ampleur de l'instrumentalisation de la justice
Les sanctions de Trump sont à double tranchant.

Il ne fait pas bon d’exprimer son opinion au Brésil, ni même de s’abstenir de l’exprimer. Il suffit parfois de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment. Le 8 janvier 2023, lors d’une opération qualifiée par une grande partie de la presse de « tentative de coup d’État » (et les manifestants de « terroristes »), des milliers de partisans de l’ancien président Jair Bolsonaro ont envahi, à la manière de “l’attaque du Capitole” du 6 janvier 2020, les bâtiments gouvernementaux à Brasilia. Ils dénonçaient le retour au pouvoir de Luiz Inácio Lula da Silva, qu’ils considéraient comme le résultat d’une fraude électorale : en mars 2021, la Cour suprême avait annulé les condamnations de Lula pour corruption passive et blanchiment d’argent, lui permettant ainsi de se présenter aux élections de 2022.
Précisons que bien que les condamnations aient été annulées pour des raisons procédurales, Lula n'a pas été formellement innocenté sur le fond des accusations.
Mais la suite a pris des proportions jamais vues. C’est ce que rapportent les journalistes brésiliens David Agape et Eli Vieira dans un rapport largement documenté qui vient d’être publié par Civilization Works, une organisation de recherche basée aux États-Unis, axée notamment sur la défense de la liberté d’expression. Rapport à lire ici.
“Ce qui est survenu ensuite a été une répression sans précédent : des arrestations massives, des ordonnances de censure et la concentration de pouvoirs extraordinaires entre les mains d'un seul juge : Alexandre de Moraes - le même juge qui, vingt mois plus tard, a ordonné la fermeture de la plate-forme de médias sociaux X au Brésil pendant quarante jours”.
Le rapport documente un relativement petit nombre d’arrestations (243) à l’intérieur des bâtiments gouvernementaux, accompagnées de peines allant jusqu’à… 17 ans de prison. “Le simple fait de traverser le Congrès était suffisant pour être accusé d'avoir tenté de renverser l'État, y compris les cas de trois sans-abri, d'enfants et de personnes âgées souffrant de graves problèmes de santé”.
Peu après, près de 2 000 autres personnes ont été arrêtés puis détenues dans des camps militaires, piégées par l’armée.
Mais ce que révèlent ces documents également, c’est que la Cour suprême brésilienne –connue sous le nom de STF– avait créé un groupe de travail secret et illégal utilisant les publications sur les médias sociaux des manifestants pour justifier ses enquêtes et les emprisonnements. Sans aucune décision de justice ni droit à la défense.
Certains ont ainsi été incarcérés pour une seule publication au contenu lapidaire (“L'application de la Constitution n'est pas un coup d'État”), d’autres pour être tout simplement passés par là, et même pas au moment des émeutes. Comme ce vendeur de rue de 54 ans venu pour vendre des drapeaux et des tee-shirts plus tard dans la soirée. Et qui écopera de quatre mois de prison – il est aujourd’hui sous bracelet électronique. D’autres ont été maintenus en prison même après que le parquet général a recommandé leur libération.
Tout à la fois enquêteur, procureur et juge, tout à la fois juge de la Cour suprême et président du tribunal supérieur électoral 1 de 2022 à 2024, Moraes disposait et dispose toujours au Brésil de pouvoirs exorbitants. Ce n’est pas la moindre des surprises. Comme le soulignait le journaliste d’investigation indépendant David Agape dans un entretien à L’Eclaireur le 18 juillet dernier : “Alexandre de Moraes a autrefois travaillé comme avocat pour une entreprise liée à la plus grande organisation criminelle d’Amérique du Sud, impliquée dans le trafic de drogue. Par la suite, il a été nommé ministre par le président Michel Temer”.
Président du Brésil de 2016 à 2018, Michel Temer a été accusé de corruption à plusieurs reprises, notamment dans le cadre de l'opération Lava Jato, une vaste enquête sur des scandales de corruption impliquant des politiciens et des entreprises au Brésil. Dont Lula.
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Ces incursions de la justice à des fins électorales et politiques au Brésil ne sont pas nouvelles. Le dossier avait commencé à être révélé par les journalistes Glenn Greenwald – le journaliste américain qui a publié les documents de la NSA livrés par Edward Snowden – et Fábio Serapião il y a un an. C’est le scandale Vaza Toga, un scandale présumé de fuites de messages et d'audios WhatsApp, impliquant Alexandre de Moraes. Le juge aurait agi de manière irrégulière en utilisant des structures du tribunal supérieur électoral pour mener des enquêtes informelles contre des militants bolsonaristes, notamment dans le cadre des événements du 8 janvier 2023.
Le rapport “The January 8th Files” s’inscrit à la suite de ces premières révélations. Et dans la continuité du travail entrepris par les deux journalistes brésiliens, aux côtés de leur confrère américain Michael Shellenberger (fondateur de Civilization Works), avec qui ils avaient révélé les Twitter Files Brazil.
“Ce sont des documents que personne ne voulait publier. Je les ai proposés à plusieurs grands médias, mais ils ont tous décliné. Certains ont salué le travail, reconnaissant son importance, mais l'ont jugé « trop dangereux »”, souligne David Agape sur X.
“Je risque tout. Absolument tout. Ma carrière, ma sécurité, ma liberté. J'ai longuement réfléchi avant de publier ces informations. La décision la plus sûre aurait été de ne pas les publier. On m'a conseillé de garder le silence. Mais en tant que journaliste, je ne peux pas rester silencieux. Pas face à ce que nous avons découvert. Et certainement pas tant que des Brésiliens sont encore injustement emprisonnés ou persécutés à cause du 8 janvier”.
Le rapport publié par Civilization Works s’inscrit aussi dans la foulée de multiples scandales au Brésil, et d’instrumentalisations de part et d’autres, dans une société ultra polarisée. Dans The Intercept Brasil en 2019, Glenn Greenwald avait démontré, via des messages piratés, la collusion qui existait entre Sérgio Moro, le président du tribunal de Curitiba qui avait jugé Lula et le procureur Deltan Dallagnol pour cibler le futur candidat à la fonction suprême, manipuler les preuves et l’écarter de la présidentielle de 2018. Favorisant ainsi l’élection de Jair Bolsonaro.
A l’approche des prochaines élections présidentielles en octobre 2026, le Brésil a manifestement passé une vitesse supérieure, s’en prenant aux manifestants et partisans – dans ce cas de Bolsonaro – pour appuyer sa thèse de tentative de coup d’Etat et sortir ce faisant l’ex-président du jeu électoral. Le 4 août, le jour de la publication du rapport des deux journalistes, la Cour suprême ordonnait la mise sous résidence surveillée de Jair Bolsonaro.
Reste une inconnue majeure : les réelles intentions de Donald Trump, sous couvert de défense de la liberté d’expression. C’est notamment au motif de “censure oppressive” et de “poursuites politisées” contre Bolsonaro, via les plates-formes américaines, que Trump a imposé des sanctions contre Moraes, et notamment le gel des actifs du juge aux États-Unis et une interdiction pour les citoyens américains de faire affaire avec lui. Puis des sanctions plus larges, touchant le pays, se traduisant notamment par une taxe de 50 % sur les importations brésiliennes.
En juillet, les Etats-Unis avaient échoué dans leurs négociations avec le Brésil à obtenir un accord afin de sécuriser l’accès aux minéraux critiques, tels le lithium, le niobium ou les terres rares. Le Brésil possède la seconde plus grande réserve de terres rares, que convoite également la Chine, qui entend diversifier son approvisionnement mais aussi réduire la dépendance au dollar américain en prônant, comme elle l’a fait lors du sommet des BRICS à Rio de Janeiro ce même mois de juillet, des transactions en monnaies nationales pour les matières premières.
Le 30 avril dernier, Trump avait conclu un accord sur les terres rares et les minéraux critiques avec l’Ukraine. Un accord qui résonne comme être la garantie de l’engagement à long terme des États-Unis face aux craintes d’un retrait de l’aide militaire américaine.

Le tribunal supérieur électoral est l’instance judiciaire suprême du Brésil en charge de l’organisation, de la supervision et de la régulation des processus électoraux au niveau national. Il organise les élections, régule les campagnes, juge les litiges électoraux, peut prononcer des inégibilités. Depuis les années 2010, le TSE a intensifié ses efforts pour contrer la désinformation électorale, notamment sur les réseaux sociaux, en collaborant avec des plateformes comme X pour suspendre des comptes diffusant de fausses informations.
Ne serait-ce pas les conséquences de la réunion des BRICS qui a eu lieu il y a quelques semaines ?? A moins que ça ne soit que du complotisme 🤔