Chronique d'une France malade de son Etat
Un exemple, et même deux, parmi d'autres. On avance mais définitivement, la santé n'est pas une urgence en France.
Vous avez une vilaine plaie qui, si elle ne nécessite a priori pas de filer aux urgences – lesquelles n’en peuvent toujours plus quoi qu’en dise le ministre de la santé – requiert l'avis et le regard d’un professionnel ? Pas de chance, vous êtes un samedi, qui plus est au mois d’août, ce mois où la France est à l’arrêt, et les cabinets médicaux sont fermés. Coup de chance, il y a les cabinets d’infirmières. Dans toutes les villes en France, ils sont nombreux, ouverts 24 heures sur 24, parfois même au sein de maisons de santé.
Mais non, ils ne pourront rien faire pour vous.
Pour pouvoir vous ausculter et être rémunérée, pour juger si cette plaie est dans ses compétences, l’infirmière ne peut rien faire sans… prescription médicale. Bref sans que le patient ait consulté un médecin auparavant…On tourne en boucle.
Rien de bien nouveau, vous nous direz ? Et bien si. Quoiqu’en fait non. Le 27 juin, la loi Infirmière a été publiée au Journal officiel. Une avancée majeure que cette loi, et même une réforme historique, puisqu’elle doit permettre aux infirmières de pratiquer beaucoup plus de soins – 267 diagnostics infirmiers y sont répertoriés – sans prescription préalable d’un médecin. Style soigner une plaie. De quoi délester des médecins débordés.
Près de deux mois plus tard, il n’en est rien.
C’est un classique en France : la loi, votée, promulguée, publiée reste inapplicable tant qu’elle n’est pas assortie d’arrêtés et de décrets d’application, ces textes qui doivent préciser les modalités pratiques. C’est vrai que depuis vingt ans que cette loi est attendue, que la profession se heurte au corporatisme médical et notamment de l’Ordre des médecins 1, on n’est plus à quelques mois près…
C’est peu ou prou la même chose avec la loi qui doit instaurer un ratio de patients par infirmière. L’Eclaireur vous avait parlé plusieurs reprises du cheminement, long, complexe, emprunté par cette disposition qui prévoit de fixer un nombre maximum de patients par infirmière. Il aura fallu cinq ans pour que cette loi soit promulguée et publiée au journal officiel (c’était le 30 janvier 2025) … Huit mois plus tard, elle n’est toujours pas appliquée. De fait, si la loi a été votée, ce n’est que sur le principe. Elle ne dit rien formellement sur l’essentiel : les ratios, lesquels qui doivent encore être fixés. Ce sera à la Haute autorité de Santé (HAS) de le faire avant que ses préconisations soient traduites dans des décrets d’application.
En avril, la HAS n’avait toujours pas été saisie, comme le soulignait la sénatrice Marie-Do Aeschlimann dans une question au gouvernement. Question qui reste à ce jour sans réponse du ministre de la santé Yannick Neuder. Vous reprendrez bien une petite sieste ?
Le Conseil d’Etat a le 22 juillet dernier annulé le décret instaurant un infirmier référent pour coordonner les soins des patients atteints d’une affection de longue durée (ALD), en lien avec le médecin traitant, le pharmacien correspondant et la sage-femme référente. Le recours avait été déposé par le conseil national de l’Ordre des médecins.
En France, on a souvent l’impression que l’État ne se contente pas de gouverner, il administre jusqu’à l’âme. On empile les lois comme si chacune allait sauver le pays, on crée des formulaires pour remplir d’autres formulaires, et on finit par confondre justice et procédure. La bureaucratie devient alors une sorte de mille-feuille indigeste : on en rajoute couche après couche, sans jamais en retirer une.
Dans ce sens, ce n’est pas seulement un excès de règles : c’est un système qui s’auto-entretient, où la complexité justifie la présence de ceux qui la gèrent. On voit souvent ça dans les états totalitaires.
À l'hôpital français, les différentes réformes ont fait monter le nombre d'administratifs à plus de 30% de la charge salariale (avant les réformes délirantes du genre T2A, c'était la moitié; en Allemagne, c'est 18%). En même temps, la manie des tableurs, des chiffres et des courbes a forcé les soignants à passer aussi 30% de leur temps à parcourir des listes d'actes, remplir des tableaux, afin de satisfaire la folie administrative de nos gouvernants. La volonté de tout contrôler et tout mesurer finit par démolir le service rendu.