Dans les stations de ski de l'Oisans, les lits se superposent
Dans les stations de ski, les signaux virent au rouge. Mais cela n'entrave en rien la construction de nouvelles résidences de tourisme. Avant le retour de perche ? écrivons-nous en 2021. On y est.

Après la décision le 15 février du tribunal administratif de Grenoble d’annuler une seconde fois le plan local d’urbanisme de L’Alpe d’Huez et ce faisant la construction de 2 400 nouveaux lits touristiques, nous re-publions, en accès libre, notre article paru le 19 octobre 2021.
Rien n’y fait. Pas plus la perspective du réchauffement climatique que le déclin du ski. Pas plus l’alerte sonnée en 2018 par la cour des comptes que le manque à gagner généré par la gestion de la crise sanitaire ou la multiplication des actions en justice.
En Oisans, les projets d’investissements sur les pistes et, ce faisant, de constructions immobilières – l’un ne va pas sans l’autre – se multiplient. Les chiffres donnent parfois le tournis. A L’Alpe d’Huez, l’objectif est de viser 13 à 14 000 lits commerciaux. Quatre mille de plus qu’aujourd’hui.
A l’échelle de l’Oisans, les élus tablaient au travers du schéma de cohérence territorial (Scot) sur 16 700 lits supplémentaires. A rapporter aux 85 000 existants. Ils ont été priés de revoir leur copie, par deux fois. Le projet n’était pas seulement trop gourmand en termes de foncier, sans beaucoup de considération pour l’environnement. Il manquait aussi singulièrement de vision collective, simple « agrégation des ambitions de chacune des grandes stations de l’Oisans », avait estimé la commissaire enquêteur.
« La page n’est pas blanche mais on va rectifier le tir », assurait le président de la communauté de communes de l’Oisans Guy Verney dans Alpine Mag en septembre 2020 1. Plus d’un an après, la réflexion se poursuit. Et cela semble un tantinet compliqué.
« Le Scot, c’est un super PLU qui détermine quel pourcentage du territoire va être construit, souligne un ancien élu. Ça veut dire Vaujany, Oz, L’Alpe d’Huez etc. Après, il faut se répartir le gâteau. C’est là où ça se gâte. Quel intérêt d’avoir un Scot qui va créer des zizanies ? Faisons nos PLU et le Scot viendra valider l’état des lieux fait dans chaque commune ! Les Scot, on s’en sert quand c’est intéressant ».
« Le Scot les ennuient. Chacun veut pouvoir faire quelque chose sur sa commune, en essayant un maximum de tirer la couverture à soi et de construire un maximum de lits, abonde un conseiller communautaire de l’Oisans. Et comme sans Scot, ils n’auraient pas de subventions, ils font semblant de le promouvoir ».
Une page va-t-elle se tourner ? Le nouveau président de la communauté de communes se défend d’être dans la lignée de son prédécesseur. Et n’hésite pas à aller à la rencontre de ses détracteurs, notamment sur le projet de liaison L’Alpe d’Huez-Les Deux Alpes (abandonné depuis). Reste que l’on retrouve peu ou prou les mêmes têtes au sein du bureau et de l’exécutif. Et, à lire et écouter le maire de L’Alpe d’Huez, hier chargé de l’urbanisme, aujourd’hui des mobilités, la prise de conscience, environnementale s’entend, attendra encore un peu.
« A notre altitude, on a une perspective d’une durée de vie de trente ans, souligne Jean-Yves Noyerey. Aujourd’hui, à 1 800 mètres, on n’a pas de soucis de neige à partir du moment où on arrive à faire de la neige de culture en complément ».
Les projets de résidences de tourisme vont donc grand train. Plus de 4 500 lits étaient inscrits au plan local d’urbanisme (PLU) de L’Alpe d’Huez en 2017 2. Aux Deux-Alpes, la Sata qui a obtenu le marché d’exploitation du domaine skiable, propose d’en construire plus de 3 500 d’ici 2025. Dont 2 000 rien qu’en 2021. C’est plutôt mal parti.
Des chiffres plus qu’approximatifs. Et plutôt farfelus, commente-t-on en coulisses. Dans un document annexé à l’appel offres du renouvellement de la DSP que nous nous sommes procurés, les Deux-Alpes tablaient sur 8 170 lits entre 2017 et 2019. Dont un club Med de 1 400 lits dans la zone exposée aux avalanches des Bergers qui, avant l’avis défavorable du commissaire enquêteur, et malgré l’alerte de la direction des territoires (DDT), avait obtenu l’aval du préfet.
Peu importe le prix, l’objectif affiché est de retrouver la capacité d’accueil des années 90. Une capacité qui s’est retrouvée réduite avec la sortie de nombreux lits du circuit locatif. Et, concomitamment, de la montée en gamme des logements où on ne rentre plus six personnes, au chausse-pied, dans 40 m2.
« Dans les années quatre-vingt dix, on avait 33 000 lits dont 15 000 lits touristiques. En 2020, on était à 26 000 lits dont 6 000 commerciaux », explique Jean-Yves Noyrey.
« C’est le résultat d’une fuite en avant de tout le système qui a fait le bonheur du ski à l’époque. Et où les lois de défiscalisation ont amené la plupart des lits touristiques, chauds, à se transformer en lits froids ».
Ces hébergements utilisés que quelques semaines par an, en grande partie sortis du marché locatif, le maire de L’Alpe d’Huez dit n’avoir d’autre choix que de les compenser pour assurer les trente prochaines années. Au risque qu’ils ne viennent à leur tour s’ajouter à plus ou moins longue échéance à ceux inoccupés ? A L’Alpe d’Huez, la proportion de lits froids atteint 60 %.
Il existe des parades. Moyennement conventionnement, la commune peut, lors de la vente d’un terrain, imposer que les logements soient maintenus en résidence de tourisme pendant trente ans. En théorie. « Sur tous les projets, on a une convention loi montagne, continue le maire de L’Alpe d’Huez. Mais on réclame sans cesse à l’État que cette convention soit plus forte et qu’on soit soutenu pour qu’il soit impossible d’en sortir ».
Un encadrement du devenir des lits chauds qui devrait être inscrit au Scot en préparation. Faute d’avoir été intégré au PLU… « Quand j’ai voulu en parler, les hôteliers ont fait des bonds pas possibles ».
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L’autre solution est de signer un bail emphytéotique, au terme duquel le bien revient dans le giron de la collectivité. Une manière de casser la spirale de la pression foncière.
Mais, en attendant, les lits déjà froids restent… froids. Ou tièdes. Certains propriétaires se sont laissés convaincre de les réhabiliter. Mais sans forcément les consacrer à la seule location.
« Le statu quo arrange tout le monde : les nouveaux lits augmentent la fréquentation à court terme des remontées mécaniques et font travailler le BTP local », souligne Eric Adamkiewicz, chercheur à l’université de Toulouse et ancien directeur général des services de l’Office de tourisme de Bourg-Saint-Maurice-Les Arcs (Savoie) dans Le Monde.
Problème sans solution ? La question n’est pourtant pas nouvelle. Elle est même récurrente. C’est d’ailleurs sur ce point que le PLU de L’Alpe d’Huez avait été retoqué par le tribunal administratif de Grenoble en 2017. L’urbanisation de plusieurs hectares de nouveaux secteurs consacrés au logement touristique constituant pour le juge une « erreur manifeste d’appréciation » alors que les constructions existantes sont sous-utilisées.
Quelle porte de sortie ? « Il n’y a pas de modèle économique à la rénovation des lits froids. Cela coûte trop cher et rapporte trop peu », résume un exploitant de remontées mécaniques.
Une situation dont beaucoup se sont longtemps accommodés, comme le relève Atout France dans un rapport publié en décembre 2020 consacré à la réhabilitation de l’immobilier de loisir et s’appuyant notamment sur les exemples de L’Alpe d’Huez et Les Deux-Alpes.
« L’enjeu de rénovation des meublés était déjà identifié il y a environ 35 ans. Cependant, la dynamique de construction neuve qu’ont pu connaitre les stations durant cette période a masqué l’impérieuse nécessité de (re)positionner le parc existant en termes de niveau de qualité et de confort en lien avec les nouveaux standards et les attentes de la clientèle ».
Pour Atout France, il faut changer de logiciel. « Engager des actions en faveur de la rénovation des meublés nécessite de changer de paradigme, de se détacher des seuls intérêts du fonctionnement touristique de la station pour intégrer les interêts des (re)investisseurs : les propriétaires ».
Ce n’est visiblement par le chemin emprunté par les pouvoirs publics. Pour résorber une partie de ces lits froids, il est prévu que la Banque des territoires investisse 125 millions d'euros sur cinq ans dans des foncières, aux côtés d'autres investisseurs, afin d'en racheter environ 5.000 par an. A charge pour les foncières d’investir pour les rénover, avant de les louer aux vacanciers.
Un pis-aller pour Eric Adamkiewicz. Risqué qui plus est. « Tant que les communes ne garderont pas les lits en gestion directe, elles seront dépendantes des propriétaires ; qu’il s’agisse d’un particulier ou d’un grand groupe qui, demain, peut décider que la montagne française n’entre plus dans ses plans ».
En attendant, l’argent coule à flot pour tenter de maintenir la tête des stations de ski hors de l’eau. En Oisans, L’Alpe d’Huez et Les Deux-Alpes ne sont pas seulement dans le top 10 des stations le plus fréquentées en France. Elles sont aussi le poumon économique du territoire et le principal réservoir d’emploi.
Les plans d’urgence se succèdent
Alors, les plans d’urgence se succèdent. Après 400 millions d'euros de prêts et d'aides mis en place pendant la Covid pour aider les stations à faire face à la fermeture des remontées mécaniques, la Région Auvergne Rhône-Alpes a mis 100 millions d’euros sur la table au travers de son plan Montagne 2. Dont 30 millions pour les canons à neige et 15 millions pour les projets de liaison.
Derrière, des départements comme celui de la Haute-Savoie ont annoncé abonder d’autant. A rajouter aux indemnités Covid promises par l’Etat aux professionnels du tourisme : 5 milliards d'euros, dont 700 millions pour les exploitants de remontées mécaniques.
Et tant pis si depuis dix ans, le nombre de journées skieurs baisse en moyenne de 0,8 % par an. En 2018, pour la première fois, Domaine skiable de France s’inquiétait ouvertement de cette tendance, soulignant qu’il n’y avait plus de hausse structurelle.
A mesure que le ski décline, les prix grimpent. L’exode rural s’amplifie, même s’il n’est pas seulement attribuable à un prix du foncier qui tutoie les sommets. « Chaque année, on perd des résidents à l’année », remarque Hervé Mosca, ex-élu d’opposition. « On redevient une cité dortoir, ce qui n’était plus le cas depuis les années 90-2000 ».
« La volonté est toujours de couler du béton pour créer des résidences de tourisme dont le modèle financier est complètement dépassé. On fait de l’immobilier des années 70 ». Au risque d’un retour de perche ?
Car, sous l’effet de la crise qui a fait vaciller des gros promoteurs comme Pierre & Vacances, la valeur des meublés de tourisme a dégringolé. Jusqu’à 30 voire 40 % sous leur prix d’achat…
Sollicité, Guy Verney n’a lui pas donné suite à nos demandes.
Le nouveau plan local d’urbanisme de L’Alpe d’Huez fait l’objet d’un recours de France Nature Environnement devant le tribunal administratif de Grenoble. En question , toujours, le nombre de lits à construire et son emprise sur l’environnement. PLU annulé le 15 février 2023 par la justice.