Médicaments innovants : un accès à n'importe quel prix ?
Réformé, l'accès aux médicaments innovants est censé être facilité. Permettra-t-il pour autant de maitriser les dérapages des prix, qui explosent ?
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Le retard dans la prise en charge a privé d’une probable guérison des centaines de patients atteints de mélanome qui auraient pu bénéficier de traitements innovants.
C’est la démonstration que font quatre scientifiques grenoblois dans une étude publiée le 28 décembre. Alors que le Nivolumab, le Pembrolizumab et l’association Dabrafénib et Tramétinib semblaient tout indiqués en traitement de complément, et notamment pour les patients à haut risque de récidive, le temps pris par la publication des arrêtés de prise en charge et donc dans la mise à disposition des traitements – entre 12 et 18 mois – a vraisemblablement obéré leurs chances de mieux s’en sortir. Ou de s’en sortir tout court.
Difficile de quantifier et qualifier l’impact de ce retard. Mais les scientifiques estiment à 5 675 en tout le nombre de patients qui aurait dû/pu se voir administrer ces traitements. Sachant, dans le cas du mélanome – cancer chez lequel le risque de métastase est important – qu’un traitement précoce est primordial 1.
« Ces traitements ont démontré des réductions du risque de récidive de 35 %, 43 % et 55 % pour des populations cibles de 2 200, 1 900 et 650 patients par an, soulignent les auteurs de l’étude. Malgré un avis favorable au remboursement de la Haute Autorité de santé (HAS), les arrêtés de prise en charge ne seront jamais publiés, interdisant l’utilisation en amont de l’AMM (autorisation de mise sur le marché, ndlr) de ces produits, et privant les patients d’une potentielle guérison ».
Pourtant, depuis trente ans, des procédures accélérées existent, qui permettent de disposer d’un médicament avant son autorisation de mise sur le marché : ce sont les ATU et RTU, les autorisations et recommandations temporaires d’utilisation.
Qu’est-ce qui a coincé pour que les trois principes actifs, qui avaient demandé à bénéficier d’une RTU, ne passent pas illico presto toutes les étapes conduisant rapidement jusqu’à l’arrêté de prise en charge ? Le feu vert avait pourtant été obtenu chaque étape, que ce soit de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), de la Haute autorité de santé (HAS) comme de la commission de la transparence.
« Les délais observés entre la date d’élaboration des 3 RTU élaborées par l’ANSM dans le traitement adjuvant du mélanome pour Opdivo®, nivomumab (laboratoire BMS), keytruda®, pembrolizumab (laboratoire MSD), tafinlar®_mekinist®, Dabrafinib-trametinib (laboratoire Novartis) et la date d’inscription sur une liste de médicaments remboursables sont liés à la date de production par chaque laboratoire des données et documents aux différentes instances chargées de les analyser », répond la Direction générale de la Santé (DGS).
Simple lourdeur administrative ? Réticence des industriels à jouer la carte de la santé avant celle des enjeux financiers ? La France n’est pour autant pas en si mauvaise position. Mais le lobbying est tenace. En 2019, plusieurs médecins s’étaient fendus d’une tribune-pétition publiée sur le site de L’Opinion. Affirmant :
« Notre pays se place au 20e rang européen en termes de délais d’accès. Cette attente imposée aux patients et à leurs proches est insupportable, a fortiori en l’absence d’alternative thérapeutique », assénaient les 86 médecins signataires.
Derrière cette tribune, un collectif ,« ACCèS+ ». En fait, rien d’autre qu’une coquille vide dans laquelle se cacherait le lobby pharmaceutique d’après Médiapart. Quant au chiffre, il proviendrait d’une publication par l’European Federation of Pharmaceutical Industries Associations (EFPIA), sur la base des seules AMM. Sans tenir compte donc des autres dispositifs, ATU et RTU.
Pour France Assos Santé, ces chiffres tronqués sont symptomatiques de l’indispensable transparence au niveau national et européen. « La France, avec son dispositif d’autorisation temporaire d’utilisation, ou ATU, est le seul pays dans le monde à pouvoir compter sur une mise à disposition anticipée d’un médicament innovant, avant son autorisation de mise sur le marché (AMM) délivrée par l’Agence Européenne du Médicament », souligne l’association qui fédère en France 84 associations de patients et d'usagers de la santé.
« Si l’on s’en tenait, comme l’EFPIA, au délai entre l’AMM et la publication d’un prix par le CEPS (comité économique des produits de santé), le médicament qui a révolutionné la prise en charge de l’hépatite C, le Sofosbuvir, n’aurait été disponible en France que 500 jours après l’octroi de l’AMM. En réalité, grâce à une ATU de cohorte, le sofosbuvir a été introduit en France 8 mois avant l’Angleterre et 12 mois avant l’Allemagne ».
La bataille n’est pas seulement dans l’accès aux médicaments dits innovants. Mais aussi sur la vigilance quant à la maîtrise des dispositifs pour éviter les dérapages sur les prix.