[ Flash ] Eric Piolle, la danse du Canard
Mis en cause pour des versements occultes à son ancienne première adjointe devenue députée, Eric Piolle, d'après nos informations, se préparerait à se (re)faire accorder la protection fonctionnelle.
Le vert est dans le fruit rouge, et inversement. On dirait une tranche de cake.
Eric Piolle a-t-il mis en place un système de rémunération occulte bénéficiant à sa première adjointe de l’époque, Elisa Martin aujourd’hui député LFI de la 4e circonscription de l’Isère ? C’est ce que nous apprend ce 5 juin le Canard enchaîné. Le parquet de Grenoble a diligenté une enquête préliminaire pour concussion1 et recel de concussion, comme nous l’a confirmé François Touret-de-Coucy, procureur adjoint. L’immunité parlementaire de cette députée ne joue pas puisque les faits visés par l’enquête sont antérieurs à son élection.
Les Grenoblois auraient-ils des raisons de douter de la capacité de leur maire à appréhender la réalité, qui a déclaré ce 5 juin au soir lors d’une conférence de presse “représenter une certaine éthique en politique” ?
Le non-cumul des mandats était une promesse d’Eric Piolle lors de sa campagne de 2014. Tout comme la baisse de 25% des indemnités des élus municipaux (en réalité de 19%), promptement compensée pour certains par… le triplement des indemnités de conseiller métropolitain. Mais voilà, cela n’arrangeait pas sa première adjointe Elisa Martin, aujourd’hui députée de la 4e circonscription de l’Isère. Devant abandonner son poste de conseillère régionale, elle a subi une perte de revenu insupportable. Tel Donald Duck, les créanciers se pressaient-ils à sa porte ?
En sus de ses 2700 euros d’indemnité de première adjointe et celles de conseillère régionale2 (jusqu’en 2016), Mme Martin touchait également près de 800 euros comme conseillère métropolitaine. Si nos informations sont exactes, elle continuait alors à exercer son métier d’enseignante.
En 2015, Mme Martin a touché, selon Le Dauphiné Libéré, près de 75 600 euros d’indemnités. La politique locale peut rapporter autant, voire plus que la politique nationale.
Eric Piolle aurait décidé, d’après le Canard Enchaîné, d’augmenter son plus proche collaborateur de 600 euros et de lui ordonner de rétrocéder 400 euros par mois en liquide à Mme Martin, la différence de 200 euros lui permettant de faire face à l’accroissement des cotisations sociales et des impôts induit par cette augmentation de salaire factice. Mme Martin aurait donc touché environ 16 800 euros en liquide, non déclarés, afin de compenser sa perte de pouvoir d’achat. Des sources, selon la formule consacrée “proches du dossier, concordantes et indépendantes” nous indiquent que ce montant pourrait être bien supérieur. Rien à ce stade de notre enquête ne vient le corroborer.
Nous n’aurons pas l’outrecuidance, ces faits étant prescrits, de rappeler l’utilisation par Mme Martin de la voiture et du chauffeur du maire pour se rendre avec son enfant de son domicile à la mairie, où elle a un temps transformé un bureau mitoyen du sien en garderie. Tout comme elle a usé de ce véhicule de fonction et de son chauffeur pour se rendre aux séances du Conseil régional. Utiliser des moyens municipaux dont on n’a pas l’usage pour exercer un mandat régional, c’est exotique.
Mais revenons aux “révélations” du Canard Enchaîné, qui lui ont été servies toutes déplumées, rôties, laquées, découpées et bien fumantes par un ancien collaborateur d’Eric Piolle. Croire un seul instant pourvoir organiser un système de rémunération occulte sans se faire pincer relève de la bêtise la plus aboutie. Le collaborateur en question, Enzo Lesourt, conseiller spécial d’Eric Piolle depuis son élection en 2014 après avoir été son directeur de campagne, est parti en claquant la porte que son patron lui a montré en juillet 2022. Contestant les conditions de son départ, il s’est fendu d’une lettre ouverte pour le moins assassine. Il a fait constater par commissaire de justice (le nouveau nom des huissiers) ses échanges avec Elisa Martin et le maire de Grenoble sur une messagerie chiffrée au sujet de ce petit arrangement pécunier, relate le volatile paraissant le mercredi. Ce qui a priori de l’exonère en aucun cas de sa complicité active.
La suite est toute aussi savoureuse. D’après nos informations, une réunion s’est tenue à la marie de Grenoble ce lundi 3 juin. En question, la rédaction d’une délibération permettant d’octroyer la protection fonctionnelle à Eric Piolle dans le cadre du différend qui l’oppose à Enzo Lesourt. Etonnant car ce différend relève du tribunal administratif. C’est la commune de Grenoble qui employait Enzo Lesourt sur le budget alloué au personnel de cabinet, pas Eric Piolle.
Le maire de Grenoble était-il au fait qu’une enquête préliminaire risquait d’être ouverte ? Vraisemblablement.
Quoiqu’il en soit, Eric Piolle est un spécialiste du recours à la protection fonctionnelle, ce dispositif qui pose que tout agent public, élu compris, bénéficie sous certaines conditions de la prise en charge des frais d’avocats et de justice s’il est mis en cause dans l’exercice de ses fonctions.
Eric Piolle l’a obtenu du Conseil municipal pour ses procès en première instance et en appel dans l’affaire des marchés publics de la fête des tuiles, dans laquelle il a été condamné pour favoritisme. Les faits pour lesquels il était poursuivi et fut condamné ne peuvent pas donner lieu à protection fonctionnelle si l’on en “croit” le Conseil d’Etat et la Cour de Cassation car constituant une faute personnelle détachable de ses fonctions de maire. Nous vous en entretenions dans un article, à lire ou relire ci-dessous. La licéité de cette protection fonctionnelle a été portée par l’opposition devant le tribunal administratif de Grenoble il y a près de deux ans, qui n’a toujours pas statué.
Grenoble, ville laboratoire ... du dévoiement de la protection fonctionnelle
Les épisodes successifs seraient anecdotiques et prêteraient au mieux à sourire s’il ne s’agissait pas d’argent public. A Grenoble, ville laboratoire dont ses “expérimentations” l’ont souvent conduit devant les tribunaux pour s’y faire condamner, on a une approche de la protection fonctionnelle pour le moins originale.
Même chose pour le procès au civil qu’il a intenté et perdu pour diffamation contre notre rédacteur Pascal Clérotte suite au podcast ci-dessous, qui mettait en lumière, outre l’affaire de la fête des tuiles, celle bien plus inquiétante du rachat du siège du Crédit agricole. Eric Piolle a obtenu la protection fonctionnelle pour une procédure civile en référé engagée à titre privé puisque ce référé n’a pas été concomitant à une plainte fond, en l’espèce au pénal.
[ Analyse ] Les affaires bien classées d'Eric Piolle
L'Eclaireur Rhône-Alpes est une lettre confidentielle par abonnement. Afin de soutenir notre travail, choisissez le vôtre, payant ou libre. Dans l’affaire de la Fête des tuiles tout comme dans celle du rachat du siège du Crédit agricole, il y a eu pacte de corruption.
Soyons clairs: les élus ne disposent pas du droit absolu de faire supporter par la collectivité le coût de procédures judiciaires afin de leur éviter d’être tenus responsables de leurs actes. Les moyens publics ne sont pas ceux des élus, qui ne peuvent en disposer que pour la collectivité. Si le Conseil Municipal accordait la protection fonctionnelle à Eric Piolle pour qu’il réponde de l’incrimination de concussion, cela sera probablement irrégulier. La décision d’augmenter son conseiller spécial de 600 euros par mois et de lui faire ristourner 400 euros en liquide à sa première adjointe est personnelle et détachable de ses fonctions de maire. Si accordée, cette protection fonctionnelle relèvera très vraisemblablement du détournement de fonds publics.
Article 432-10 du Code pénal. Le fait, par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public, de recevoir, exiger ou ordonner de percevoir à titre de droits ou contributions, impôts ou taxes publics, une somme qu'elle sait ne pas être due, ou excéder ce qui est dû, est puni de cinq ans d'emprisonnement et d'une amende de 500 000 €, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l'infraction.
Est puni des mêmes peines le fait, par les mêmes personnes, d'accorder sous une forme quelconque et pour quelque motif que ce soit une exonération ou franchise des droits, contributions, impôts ou taxes publics en violation des textes légaux ou réglementaires.
La tentative des délits prévus au présent article est punie des mêmes peines.
L’indemnité actuelle d’un conseiller régional d’une région de plus de 3 millions d’habitants, comme la région Auvergne Rhône-Alpes, se monte à 2722,58 par mois, 2994,84 si membre de la commission permanente.