Foire judiciaire
L’exécution provisoire de la peine infligée à Marine Le Pen est une décision politique par ses effets. Ceux qui affirment le contraire sont soit des hypocrites, soit des ignorants, soit les deux.
En supplément de l’interview qu’a réalisé Michael Shellenberger de Pascal Clérotte ce matin, faisons un peu de droit, pour changer. Cet article est la traduction en français de l’article ci-dessous paru originellement en anglais.
Judicial Fair
As a supplement to Michael Shellenberger’s interview of Pascal Clérotte this morning, let’s dive into some law.
L’inéligibilité est une peine complémentaire à une condamnation pour une infraction pénale. Depuis la loi pour la confiance dans la vie politique du 15 septembre 2017, a été rajouté au code pénal l’article 131-26-2, qui rend obligatoire de prononcer une peine d’inéligibilité contre toute personne reconnue coupable d’un crime ou d’un délit mentionné par ledit article.
Sauf qu’obligatoire ne signifie pas automatique, séparation des pouvoirs oblige. Le législateur n’est pas un juge et le juge reste souverain de décider de la peine complémentaire. En clair, il a le choix de le faire ou pas et doit motiver sa décision de ne pas le faire.
En application de l’article 471 du Code de procédure pénale, le juge répressif peut prononcer l’exécution provisoire – leur exécution immédiate nonobstant appel – des peines prononcées, en ce compris la peine obligatoire d’inéligibilité sans, jusqu’à il y a peu, qu’une motivation supplémentaire ne soit nécessaire. Là encore, le juge a le choix, rien ne lui est imposé.
Le tribunal a choisi de suivre le parquet, qui n’est pas indépendant, qui a requis l’exécution provisoire. Alors que rien ne l’obligeait à le faire.
Si le code électoral prévoit que le représentant de l’Etat doit prononcer la démission d’office des mandats électoraux en cas d’exécution provisoire de la peine d’inéligibilité, cela ne semble pas s’appliquer au mandat parlementaire en cours.
Le Conseil constitutionnel, saisi de plusieurs requêtes tendant à la constatation de la déchéance de plein droit de parlementaires par suite du prononcé de peines complémentaires d’inéligibilité assorties de l’exécution provisoire, les a rejetées systématiquement en soulignant que la déchéance de plein droit ne pouvait être constatée « en l’absence de condamnation définitive ». Il ajoute que l’exécution provisoire de la sanction « est sans effet sur le mandat parlementaire en cours ». 1
Marine Le Pen, ainsi que les autres prévenus condamnés disposant de mandats parlementaires, les conservent de plein droit. L’exécution provisoire de la peine complémentaire d’inéligibilité n’a donc aucun effet immédiat à part la déchéance du mandat de conseillère départementale de Mme Le Pen. Elle n’aurait donc pas du être prononcée.
La semaine précédent le prononcé, le Conseil constitutionnel a statué que l’exécution provisoire de la peine complémentaire d’inéligibilité, outre être équilibrée et spécialement motivée, ne doit pas remettre en cause la liberté de l’électeur.
Nous pouvons par conséquent tirer la conclusion que le tribunal a pris la décision de l’exécution provisoire dans le but d’empêcher Marine Le Pen de se présenter à toute échéance électorale future, dont la présidentielle, cinq ans durant.
Mise à jour le 02/04/2025. Voilà comment le tribunal justifie l’exécution provisoire de la peine complémentaire d’inéligibilité. Autant dire que la France n’est plus une démocratie.
Un juge tranche dans l’intérêt de la société dans tout les sens du terme. Il a le devoir de prendre en compte toutes les conséquences de son jugement et de s’assurer qu’il ne créera pas plus de mal que le tort qu’il cherche à réparer. Dura lex sed lex n’exonère pas d’appliquer la loi avec intelligence.
En l’espèce, l’exécution provisoire, qui a pour effet d’empêcher la femme politique très largement en tête dans les sondages, représentant près de 40% de l’électorat français, de se présenter à la présidentielle de 2027, créé bien plus de tort qu’elle ne vient en prévenir.
Outre une justice à multiples vitesses que tout le monde constate - François Bayrou pour les mêmes faits a été relaxé en première instance et Jean-Luc Mélenchon fait toujours l’objet d’une information judiciaire - cette exécution provisoire vient saper le peu de confiance que les Français placent dans la justice, qui est aujourd’hui suspectée de s’immiscer dans la politique pour écarter les candidats qu’elle ne goûte pas. Que cela soit vrai ou pas importe peu. Il était du devoir du tribunal de le prendre en compte en refusant l’exécution provisoire afin de ne pas obérer la confiance dans l’institution judiciaire.
Pire, le tribunal aurait prononcé sa décision avant même de l’avoir rédigée, ce qui, comme le notent Mme Noëlle Lenoir, membre honoraire du Conseil constitutionnel, et Me Phillippe Prigent, “est littéralement la preuve que le tribunal a décidé de la conclusion avant d'effectuer le raisonnement juridique”. Ce qui pose un énorme problème d’impartialité.
Encore pire, le tribunal aurait remis copie du jugement à des journalistes avant la défense.
Enfonçons-nous toujours plus profond, la présidente du tribunal, s’épanchant dans un podcast datant de 2020, a déclaré être une admiratrice de la juge Eva Joly, dont on connaît les orientations et la carrière politique. Comme le souligne encore Me Prigent :“Vu l'engagement politique très marqué d'Eva Joly (Les Verts), cette déclaration fait sérieusement douter de l'impartialité apparente de la présidente qui vient de condamner le RN... Des sentences arbitrales (où l'exigence est moindre) ont été annulées pour moins que ça.”
Qui sont ces juges du siège qui s’amusent à donner des interviews où ils expliquent leurs motivations personnelles, leur inspirations, leur philosophie professionnelle sans se rendre compte que cela mettra à mal à un moment ou un autre leur impartialité? L’indépendance des juges n’est que l’instrument de leur impartialité qui ne peut souffrir d’aucun doute, sinon à voir leurs décisions annulées. Quand il y a un doute, il n’y a pas de doute.
Finissons par relever que les parlementaires dans l’exercice de leur mandat ne sont pas justiciables du délit de détournement de fonds publics, car pas listés à l’article 432-15 du code pénal qui le réprime. Les parlementaires ne sont pas dépositaires de l’autorité publique, ne sont pas des agents publics, ni des comptables publics ni des personnes investies d’une mission de service public. Ce sont des bêtes à part, avec un statut spécifique garanti constitutionnellement, séparation des pouvoirs oblige. Le pouvoir judiciaire ne peut pas contrôler l’exercice du mandat parlementaire.
Ce tribunal vient d’enfoncer le dernier clou dans le cercueil de la démocratie française. Comme l’aurait dit Mitterrand lors de son dernier conseil des ministres: “Les juges ont tué la monarchie, ils tueront la République”.
CC, DC, 16 juin 2022, n°2022-27 pour un membre de l’Assemblée nationale ; CC, DC, 23 novembre 2021, n°2021-26 pour un membre du Sénat