[ Fraude fiscale ] UBS, Union des brigands suisses (et de Bercy)
N'aidez jamais le fisc, il vous en coûtera toujours. Dure leçon à tirer de la vie brisée de Stéphanie Gibaud, alors que le jugement condamnant UBS a été partiellement cassé.

“Oh vous savez, les Français trouveront toujours des raisons politiques pour justifier leurs placements en Suisse” - Réplique du film “Espion lève-toi” d’Yves Boisset (1980), dialogues de Michel Audiard.
La Cour de cassation a validé aujourd’hui la culpabilité d’UBS telle qu’arrêtée en appel (blanchissement aggravé de fraude fiscale et démarchage illégal) mais a cassé le montant de 1,8 milliards d’euros que la banque devait verser à l’Etat. Ainsi donc, la plus haute juridiction du pays renvoie pour un nouveau procès en appel la seule fixation du montant de la confiscation et de ses intérêts. Il faut dire qu’en première instance, UBS avait été condamné à 4,5 milliards et que la méthode de calcul des intérêts différait avec celle utilisée en appel.
C’est en fait une excellente nouvelle puisque cela signifie que cette affaire n’est pas close. C’est également une mine de profondeur que vient de lâcher la Cour de cassation puisque nouveau procès il y aura dans un contexte explosif de crise profonde où la mondialisation et son corollaire, la finance globalisée, s’étiolent à vue d’œil. Et qui sait, la liste de l’ensemble des titulaires de comptes en Suisse passés par les cellules de régularisation finira peut-être par être publiée ? La perversion du secret fiscal, qui n’a pas pour but de protéger les fraudeurs, cessera peut-être.
Nous vous avons averti : le second volet de notre enquête sur l’affaire UBS sera plus compliqué que le premier, qui n’a planté que le décor. Nous entrons de plein pied dans l’enquête judicaire. Il nous paraît important de préciser que notre travail ne vise en aucun cas à refaire l’instruction, mais à mettre en lumière sa complexité ainsi que les méthodes utilisées dans la recherche des preuves. Ces méthodes comprennent le traitement de sources, d’informateurs. La collaboration active et régulière d’un informateur engage l’Etat à un certain nombre de choses, Etat qui n’a cesse de se défausser.
Il faudrait être naïf pour croire qu’UBS est la seule banque helvétique à avoir participé à l’évasion fiscale. Toutes l’ont fait depuis que l’impôt sur le revenu existe dans l’Hexagone, depuis 1914. Vieille manie française que le “secret des fortunes” si cher à de sinistres crapules tel qu’Adolphe Thiers, et dont le verrou de Bercy est l’ultime survivance. Ce qui fait du cas UBS un cas presque unique, c’est le démarchage actif sur le territoire français alors que les banques suisses n’ont jamais eu le besoin d’attirer le chaland, qui s’est toujours présenté de son propre chef à leurs portes mallette de billets à la main.
Un cas similaire est celui de HSBC Private Banking Suisse SA, qui a également démarché illégalement en France. La Hong Kong and Shanghai Bank of Commerce (HSBC) a racheté en 1999 l’ensemble des activités du banquier libano-brésiliano-monégasque Edmond Safra, et notamment la branche genevoise de la Republic National Bank, qui devint HSBC Private Banking Suisse SA. Edmond Safra, décédé dans l’incendie criminel de son appartement monégasque, était un habitué des opérations financières tangentes. Il avait fondé avec l’homme d’affaire franco-israélien Beny Steinmetz (condamné en Suisse il y a deux ans en première instance à 5 ans de prison ferme pour corruption) et Bill Bowder le fonds Hermitage Capital Management, l’un des instruments du pillage de l’économie russe par évasion fiscale à partir de la réélection de Boris Eltsine en 1996. Edmond Safra fut dès 1998 témoin du FBI dans l’affaire du détournement des fonds du FMI qui provoqua la gigantesque crise financière russe la même année. La Republic National Bank avait participé au blanchissement d’une partie de ces fonds pour la bagatelle de 21,4 milliards de dollars, qui y avaient transité entre le 27 juillet et le 24 août 1998.
On retrouve la National Republic Bank devenue HSBC Private Banking Suisse SA impliquée en France dans l’une des plus grosses affaires de blanchissement d’argent de la drogue, dont le nom code était “opération virus”. L’argent liquide généré par le trafic en région parisienne était collecté et mis à la disposition de fraudeurs disposant de comptes chez HSBC Private Banking Suisse SA, leurs comptes étant défalqués des sommes touchées en liquide en France, sommes alors créditées de Suisse par l’entremise d’une société de gestion de fonds aux comptes de sociétés écrans appartenant aux trafiquants.
Classique compensation nécessaire à tout blanchissement. L’opération virus est une illustration, dans la finance globalisée, des liens symbiotiques entre crime organisé, fraude internationale et fraude fiscale, ainsi que de l’imbrication des circuits financiers formels et informels.
Lors de perquisitions dans les résidences des grands bourgeois parisiens fraudeurs, les enquêteurs ont utilisé des chiens renifleurs de drogue pour dénicher des liasses de billets qui avaient été manipulées par les dealers. Qui a dit que l’argent n'avait pas d’odeur ? Pour la petite histoire amusante, parmi les fraudeurs se trouvait une élue écologiste adjointe au maire du XIIIe arrondissement de Paris.
La National Republic Bank devenue HSBC Private Banking Suisse SA, c’est également cette affaire de fraude fiscale révélée par la remise d’un fichier au fisc français en 2009 contenant plus de 125 000 noms dont celui de 6 000 Français ou résidents fiscaux français, dont 3 000 ont fait l’objet d’une enquête fiscale et/ou judiciaire. HSBC a bénéficié d’une convention judiciaire d’intérêt public et a dû payer 300 millions d’euros d’amende pour mettre fin aux poursuites.
Un meurtre? Un cadavre et une scène de crime. Dans une enquête pour trafic de stupéfiants, il y des filatures, des planques, des interceptions électroniques, des sonorisation de locaux, des saisies de drogue, d’argent liquide, de biens mal acquis et des officiers de police judicaire qui collectent ces preuves pour nourrir l’enquête sous la direction d’un magistrat de l’ordre judiciaire. On dispose d’éléments physiques et techniques sur lesquels travailler.
Pas le cas de la criminalité en col blanc, par nature occulte. Les auteurs s’étant assurés de laisser peu ou pas de traces, les enquêtes sont particulièrement ardues et exigent des compétences techniques poussées, puisqu’il s’agit de reconstituer des faits immatériels sur des bases aussi partielles que lacunaires.
Il n’y a pas de police sans informateur va l’adage. C’est encore plus vrai pour la criminalité économique et financière. Dans l’affaire UBS, la victime est non pas l’Etat mais l’ensemble de la société française, puisqu’il s’agit de fraude fiscale à grande échelle, de 10 milliards d’euros d’actifs non déclarés. UBS avait fait en sorte, avec les fameux “carnets de lait” dans lesquels les banquiers suisses consignaient les ordres de gestion de leurs clients fraudeurs, qu’aucune opération n’apparaisse dans la comptabilité et dans le système informatique d’UBS France.
Le système est simple. Mettons que vous êtes commissaire-priseur et que vous vendez une œuvre d’art aux enchères pour le compte d’un client étranger à un acheteur étranger lors d’une grande vente. L’acheteur vous versera le prix de son achat sur lequel vous prélèverez votre commission sur le compte UBS en Suisse d’une société off-shore ou d’un trust anonyme que vous contrôlez. Et vous réglerez le vendeur de ce compte suisse, si possible sur un autre compte en Suisse ou dans un paradis fiscal. Ou bien, si vous êtes actionnaire d’une société étrangère, celle-ci vous versera directement vos dividendes chez UBS. Secret bancaire oblige, ces opérations étaient à l’époque invisibles pour le fisc puisqu’aucun fonds ne transitait par la France.
Faire sortir de l’argent de France au nez et à la barbe de Bercy exige en revanche des méthodes à l’ancienne (qui ont toujours cours, demandez donc à Dominique Perben, ancien ministre de la justice qui n’a visiblement pas compris dans quel sens cela fonctionne) tel que faire passer la frontière à des valises de billets, à des lingots d’or, des diamants, des bijoux, des œuvres d’art etc.
Une autre méthode classique consistait à acheter de l’immobilier à l’étranger avec un prêt accordé par une banque peu regardante adossé à un dépôt équivalent, puis d’en transférer ni vu ni connu la propriété à votre société offshore ou à votre trust, qui elle le revendra et obtiendra paiement en Suisse. Le franc succès qu’a remporté l’immobilier touristique de luxe en Espagne, au Portugal, au Maroc, au Mexique, en Colombie, à Dubai, dans certaines iles “paradisiaques” (qui en sus, comme Saint Kitts et Nevis, peuvent vous offrir nationalité et passeport à partir d’un certain montant d’investissement, ce qui vous permet d’y bénéficier du secret bancaire) ou en France dans les stations de sports d’hiver pour les étrangers ? Ne cherchez pas plus loin. Blanchissement d’argent sale et de fraude fiscale.
Si les enquêteurs ne disposent pas d’informateurs au cœur du système de fraude leur expliquant comment il fonctionne et susceptibles de leur fournir des éléments, par exemple des listes de clients, des relevés de compte etc., il est quasiment impossible d’élucider ces affaires.
C’est le rôle qu’a joué Stéphanie Gibaud pour la douane judicaire. A t-elle été un agent de l’Etat français, puisqu’elle est allée bien plus loin que le simple témoignage et a activement recueilli à la demande d’un service judiciaire des informations alors qu’elle était toujours employée d’UBS ?
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Dans le cas d’UBS, les banquiers suisses, pas les valises de billets, passaient la frontière pour organiser la fraude. A partir du moment où une infraction pénale de nature financière est transfrontalière, l’affaire relève non pas de la police judiciaire mais de ce qu’on appelle communément la douane judiciaire, aujourd’hui le service d’enquêtes judiciaires des finances (SEJF, créé en 2018, il rassemble la douane judiciaire et le fisc judiciaire. Au moment de l’enquête visant UBS, il était dénommé Service national de douane judiciaire). Oui, vous avez bien lu: Bercy dispose de son propre service de police judiciaire. C’est passablement problématique et on le sait trop peu.
Ecoutons Stéphanie Gibaud nous relater comment deux officiers de douane judiciaire l’ont approchée en 2011 (elle avait déposé plainte notamment pour blanchissement et démarchage illicite en 2009) et ce qu’ils lui ont demandé de faire pour leur compte. Une véritable histoire de barbouzes.
De passage à Bruxelles en 2014 pour une conférence, Stéphanie Gibaud a même été alpaguée dans par un policier belge, à qui elle eut la présence d’esprit de refuser de parler, le renvoyant à ses collègues français. Elle rencontrera en 2015 les enquêteurs belges dans les locaux de la douane judiciaire qui à l’époque se situaient à Vincennes.
Pendant plus d’un an, de 2011 à 2012, ces officiers de douane judiciaire, une femme et son adjoint masculin à la tête d’une équipe d’au moins 5 personnes, ont exigé de Stéphanie Gibaud qu’elle leur fournisse des informations précises provenant des serveurs d’UBS localisés en Suisse et au Royaume-Uni, des fichiers d’UBS France et de ses propres archives professionnelles. Listes de clients, listes des banquiers, listes de comptes, organigrammes, procédures internes à UBS Suisse, etc. Il l’ont même convoquée pour un tapissage sur Facebook où lui a été demandé d’identifier des employés d’UBS Suisse parmi des comptes homonymes.
Instruction lui fut donné de ne pas sortir ces informations n’importe comment. Photos ou notes manuscrites uniquement. Pas d’impression, rien sous forme électronique, que ce soit par clé USB ou en s’envoyant à elle-même des fichiers sur son adresse e-mail personnelle. Il se serait alors agi de vols de documents. Les avocats d’UBS se seraient empressés de faire vider de la procédure ces éléments. Stéphanie Gibaud aurait fait l’objet de poursuites judiciaires, à l’instar de Rui Pinto, le lanceur d’alerte des Football Leaks.
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Fait amusant, se serait trouvé dans la masse d’informations transmise aux enquêteurs un numéro de compte lié au père d’une ministre au nom composé, toujours en exercice, qui a défrayé la chronique en 2022 pour une histoire de donation dont une partie serait placée dans des paradis fiscaux. Cette ministre s’est également illustrée en employant comme chef de cabinet son compagnon, ce qui est illégal et passible de trois ans de prison et de 45 000 euro d’amende. Ne nous arrêtons pas en si bon chemin : alors ministre de l’industrie, elle avait élu domicile chez ce même compagnon, ancien député socialiste, résidant dans une coquette villa propriété de la famille Dassault.
Fini de rire, retour à notre affaire. Se posent alors les deux questions de savoir dans quel cadre travaillent les officiers de douane judiciaire (ODJ) et si le comportement de l’équipe d’au moins 5 personnes dirigée par les deux ODJ est bien raccord avec la procédure. Nous avons interrogé le service communication des douanes sur le cadre procédural. Nous reproduisons nos questions et les réponses, très précises, qu’on nous a apportées en toute fin d’article 1. Fondamental de les lire pour bien saisir la suite de notre raisonnement.
Il en ressort que Stéphanie Gibaud n’est pas dans cette affaire un simple témoin comme le lui a rétorqué Bercy alors dirigé par Michel Sapin. Un témoin témoigne, il se contente de rapporter sous serment ce qu’il a vu et entendu. Stéphanie Gibaud a agi et pris des risques personnels pendant plus d’un an à la demande expresse d’officiers de douane judiciaire saisis d’une enquête par commission rogatoire d’un juge d’instruction. Elle a activement participé à cette enquête et procuré à la demande de fonctionnaires de Bercy des informations sinon inaccessibles puisque la Suisse ne répondait à l’époque jamais favorablement aux commissions rogatoires internationales visant ses banques. C’est notamment l’affaire UBS qui l’a mise dos au mur, l’a obligée à procéder à des échanges automatiques de données, renonçant ainsi au secret bancaire pour les non-résidents.
Reste à sérier à qui a bénéficié principalement les renseignements recueillis par Stéphanie Gibaud sur injonction de la douane judiciaire. Au fisc, qui a ainsi pu frapper à la porte des fraudeurs pour leur indiquer le chemin de la cellule de régularisation et recouvrer 4,5 milliards d’euros, ou bien au juge d’instruction qui dirigeait l’enquête ayant mené au renvoi en correctionnelle et à la condamnation d’UBS ? Pour poser la question autrement : la patronne de l’enquête, son adjoint et leur équipe travaillaient-ils plus pour Bercy que pour le magistrat instructeur qui les avaient saisis de l’enquête ? Nous vous disions qu’il est très problématique que Bercy dispose de son propre service de police judiciaire. Aussi problématique que le verrou de Bercy, qui procède du même mélange de genres, fiscal et judicaire, de manière discrétionnaire et opaque, qui est source d’un pouvoir certain. Le secret de l’instruction s’applique à tout le monde, y compris à Bercy, et on ne saurait voir une information judiciaire en cours servir “dans le même temps” d’opération de renseignement au bénéfice du fisc.
Reste aussi à comprendre si le pouvoir politique, qui se serait vraisemblablement passé d’un procès UBS unique dans les anales (et qui le restera du fait de la procédure de convention judiciaire d’intérêt public prévue dans la loi Sapin) s’il a avait pu transiger autrement, a utilisé cette procédure judiciaire comme moyen de pression pour faire sauter le secret fiscal suisse et de ce fait doit la mener à son terme, et si Stéphanie Gibaud, le seul lanceur d’alerte ayant révélé les dessous de l’affaire à la presse, n’est pas venue déranger la possibilité de transiger autrement.
Rajoutons enfin que, en 2011, elle était victime de harcèlement depuis deux ans de la part de son employeur qui a tenté de la licencier. Jouer au quotidien la taupe sur son lieu de travail (recopier à la main des listing clients, imaginez) avec deux enquêteurs lui soufflant en permanence sur la nuque, la mettant constamment sous pression pour obtenir ce qu’ils cherchent et lui ayant laissé entendre qu’ils surveillaient chacun de ses faits et gestes ? Peu d’entre nous résisterait trois mois à ce régime. Sans compter qu’un mastodonte comme UBS n’a pas pour habitude de ne pas se défendre avec tous les moyens - immenses - dont il dispose, notamment par l’utilisation d’officines aussi discrètes qu’efficaces opérant sur le fil de loi, voire dans l’illégalité.
C’est en fait allé si loin qu’un de ses anciens collègues, également lanceur d’alerte dans ce dossier qui avait à l’époque déjà quitté UBS et dont nous tairons le nom, s’en est inquiété directement le 11 janvier 2012 auprès des enquêteurs de la douane judicaire dans un email en notre possession. Nous en reproduisons deux extraits.
Cette personne poursuit:
La douane judiciaire a donc bien utilisé dans la durée des agents, dont au moins un, Stéphanie Gibaud, travaillait encore chez UBS. Un agent de la DGSE n’est pas, contrairement aux idées reçues, un fonctionnaire ou un militaire employé par la DGSE mais une personne extérieure à ce service qui espionne, qui recueille des renseignements pour le compte de la DGSE et est actionnée par un fonctionnaire ou un militaire de la DGSE, son officier traitant qui lui n’espionne pas directement. Il s’agit là de renseignement, par nature administratif et qui ne se situe pas dans le domaine de la recherche de la preuve. Or dans l’affaire UBS, on est dans le judiciaire, un tout autre cas de figure. Encore un mélange des genres ?
La déontologie la plus élémentaire quand on demande à des gens qui n’ont rien à se reprocher de coopérer en prenant des risques importants est de ne pas les traiter comme des délinquants qu’ils ne sont pas (il ne s’agit pas de “tontons”, d’indics), de ne jamais les mettre en danger, de leur apporter protection et si coopérer leur cause un préjudice moral, financier ou professionnel, de les en dédommager. C’est ce que prévoit la loi Waserman sur la protection des lanceurs d’alerte. Mais elle date du 21 mars 2022, soit dix ans après que Stéphanie Gibaud ait joué les agents secret pour le compte de Bercy.
Les méthodes des deux officiers de douane judiciaire, si elles sont a priori licites, n’ont rien d’éthique et sont peu professionnelles. Manipuler des personnes à la schlague, les pousser à bout alors qu’elles ont visiblement du mal à supporter la pression non seulement n’est pas correct, mais est parfaitement idiot. Que se serait-il passé si Stéphanie Gibaud n’avait pas tenu la longueur et, prise de remords ou s’effondrant, elle était allée s’ouvrir à son employeur ou à l’un de ses collègues de ce qu’exigeaient d’elle les ODJ ? UBS, soyez-en sûr, l’aurait récompensée de sa loyauté. Ses avocats auraient trouvé le moyen d’éteindre l’ensemble de la procédure, et gros pataquès diplomatique avec la Confédération helvétique. Pas de cellule de régularisation fiscale, au revoir les 4,5 milliards de redressement et d’amendes recouvrés. La France, une fois de plus dindon de la farce, risée internationale.
Nous l’avons vu dans un cas similaire il y a quelques années à l’étranger, que nous ne pouvons pas expliciter, l’affaire ayant été classée sans suite. Une entreprise a transféré en une semaine un employé informateur repenti dans le pays de son siège social, lui offrant une promotion au delà de toutes ses espérances, un très copieux bonus une fois sa prise de poste effectuée, tous frais de relocalisation de l’ensemble de sa famille pris en charge. En échange, bien évidemment, que l’employé cesse de coopérer avec les autorités qu’il rencardait. Plus d’informateur, plus de témoin, impossibilité d’invoquer la subornation, dossier vide, affaire classée.
Première personne avoir obtenu le statut de lanceur d’alerte du défenseur des droits, Stéphanie Gibaud a également vu sa vie ruinée pour avoir aidé l’Etat quand les deux ODJ ont reçu de belles promotions au terme de l’enquête. Bercy a refusé de la dédommager. Stéphanie Gibaud a donc saisi le tribunal administratif de Montreuil qui lui a donné raison en première instance et a exigé que le directeur des finances publiques revoit sa position. Jugement annulé en appel au terme d’une audience expéditive au motif d’un arrêté stipulant que seuls les renseignements fournis après 2017 peuvent donner lieu à une compensation financière. Bercy n’a même pas pris la peine de se faire représenter à l’audience.
Or, il se trouve que Stéphanie Gibaud a rencontré la Direction générale des des finances publiques (DGFiP) en 2018, qui assurait le suivi du dossier et lui a encore demandé des précisions. Le procès en première instance d’UBS s’est tenu en 2019. Par ailleurs, la question n’est pas de savoir si elle a donné des renseignements puisqu’elle a été actionnée plus d’un an par des ODJ afin de recueillir activement des informations propriété d’UBS Suisse dans le cadre d’une information judiciaire et qui rapportera à l’Etat, en plus des 4,5 milliards d’euros recouvrés chez les fraudeurs, la confiscation et ses intérêts qui seront décidé lors du nouveau procès d’appel. Elle peut être considérée comme collaboratrice occasionnelle de l’Etat, puisqu’elle a agi plus d’un an durant à sa demande expresse dans le cadre d’une procédure diligentée par lui, ce qui établit un lien de subordination.
Le seul espoir de Stéphanie Gibaud de se sortir du trou dans lequel Bercy l’a mise, ce sont “les mesures de soutien psychologique et financier” prévues dans la loi Wasserman. A moins qu’une des têtes de cette hydre froide qu’est le fisc ait encore quelque honneur et décide de la dédommager convenablement de l’assistance qu’elle lui a apporté. Parfaitement possible de le faire en conformité avec la loi, puisque sa dernière interaction avec la DGFiP est postérieure à 2017.
Morale de l’histoire : aidez la police, aidez la douane dans les affaires de trafic international, aidez la justice, aidez le renseignement intérieur, aidez la DGSE. Mais n’aidez jamais le fisc, il vous en coûtera toujours.
Nos questions et les réponses du service communication des douanes.
Question : Les agents du SJEF sont-ils bien des OPJ qui, sur saisine d'un magistrat du parquet ou d'un juge d'instruction, enquêtent selon le code de procédure pénale ?
Réponse : Sont affectés au SEJF, les officiers de douane judiciaire (ODJ) relevant de l'article 28-1 du Code de procédure pénale (CPP) et les officiers fiscaux judiciaires (OFJ) relevant de l'article 28-2 du même code. Ces agents sont habilités à effectuer des enquêtes judiciaires sur réquisition du procureur de la République ou sur commission rogatoire du juge d'instruction. Ils ne peuvent pas se saisir d'office. S'ils ne sont pas officiers de police judiciaire (OPJ) au sens de l'article 16 du CPP, les ODJ et OFJ disposent toutefois des mêmes prérogatives et obligations que celles attribuées aux OPJ. Ils appliquent exclusivement les dispositions du Code de procédure pénale.
Question: le SJEF peut-il remplir des missions de renseignement et utiliser les techniques y afférant ?
Réponse : Le SEJF est exclusivement un service de police judiciaire, agissant dans le seul cadre du Code de procédure pénale, et sur réquisition du procureur de la République ou sur commission rogatoire du juge d'instruction. Le SEJF n'est pas un service de renseignement, ni du premier cercle (art. R. 811-1 CSI), ni du second cercle (art. R. 811-2 CSI).
Question : Les fonctionnaires du SJEF font-ils partie des agents publics dont l'identité est protégée pour des raisons de sécurité, à l'instar de ceux de la DGSE, de la DGSI etc. ?
Réponse : En application de l'article 15-4 du CPP, dans l'exercice de leurs fonctions, les agents du SEJF peuvent être autorisés à ne pas être identifiés par leurs nom et prénom dans les actes de procédure portant sur un crime ou un délit puni d'au moins trois ans d'emprisonnement qu'ils établissent ou dans lesquels ils interviennent, lorsque la révélation de leur identité est susceptible, compte tenu des conditions d'exercice de leur mission ou de la nature des faits qu'ils sont habituellement amenés à constater, de mettre en danger leur vie ou leur intégrité physique ou celles de leurs proches. L'article 15-4 du CPP précise : a) la révélation des nom et prénom du bénéficiaire d'une autorisation délivrée en application du I ou de tout élément permettant son identification personnelle ou sa localisation est punie de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 € d'amende ; b) lorsque cette révélation a entraîné des violences à l'encontre du bénéficiaire de l'autorisation ou de son conjoint, de ses enfants ou de ses ascendants directs, les peines sont portées à sept ans d'emprisonnement et à 100 000 € d'amende ; c) lorsque cette révélation a entraîné la mort des personnes mentionnées au deuxième alinéa du présent IV, les peines sont portées à dix ans d'emprisonnement et à 150 000 € d'amende.
Question : Les agents du SEJF traitent-ils des aviseurs dans le cadre de leurs enquêtes ?
Réponse : Le cadre applicable au SEJF est celui repris à l'article l'article 15-1 modifié de la loi 95-73 du 21 janvier 1995 modifiée et son arrêté d’application dispose : "Les services de police et de gendarmerie ainsi que les agents des douanes habilités à effectuer des enquêtes judiciaires en application de l'article 28-1 du Code de procédure pénale peuvent rétribuer toute personne étrangère aux administrations publiques qui leur a fourni des renseignements ayant amené directement soit la découverte de crimes ou de délits, soit l'identification des auteurs de crimes ou de délits. Les modalités de la rétribution de ces personnes sont déterminées par arrêté conjoint du ministre de la justice, du ministre de l'intérieur et du ministre des finances."
Question : Les informations, documents, autres éléments et commencements de preuve, pour être recevables devant un tribunal, doivent-ils impérativement êtres communiqués au SEJF par une personne ayant le statut d'aviseur ? Ou bien le strict respect du CDP quant à la collecte d'éléments de preuve, de témoignages etc. est-il impératif ?
Réponse : L'article 427 du Code de procédure pénale dispose que hors les cas où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve et le juge décide d'après son intime conviction. Le juge ne peut fonder sa décision que sur des preuves qui lui sont apportées au cours des débats et contradictoirement discutées devant lui. Il existe par ailleurs, pour l'autorité judiciaire à laquelle est assimilée en l'espèce le SEJF, un principe fondamental qui est celui de la loyauté de la preuve.