[ Liberté d'expression ] Morts sous X
Les réactions en France suite à la volte-face du patron de Meta/Facebook et les propos incendiaires d'Elon Musk tournent au pathétique. Et au bras de fer stérile.
Depuis que Mark Zuckerberg s’est pris à marcher dans les pas d’Elon Musk, annonçant notamment changer sa politique de modération des contenus pour la sortir de l’entre-soi très fermé et contrôlé des fact-checkers et la confier à tout un chacun – c’est le principe des “notes de la communauté” sur X – nos politiques sont comme des lapins pris dans les phares d’une voiture.
Depuis quelques jours, entre la volte-face du patron de Meta et les interférences de Musk dans la politique intérieure anglaise (le soutien officiel de Barak Obama à Emmanuel Macron en 2017 ne compte pas plus que les ingérences de Soros depuis des décennies…), on a droit à un florilège de coups de menton et de décisions toutes plus farfelues les unes des autres.
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On a ainsi entendu Clara Chappaz, rassurée de voir que le coup de grâce porté au fact-checking se limitait aux Etats-Unis, assurer qu’en Europe le DSA sera respecté. Clara Chappaz est la secrétaire d’Etat chargée de l’intelligence artificielle et du numérique que l’on n’a pas beaucoup entendu sur la mainmise de Microsoft ou d’Amazon sur nos données numériques, personnelles comme de de santé…
On rappellera que le Digital Service Act (DSA), le règlement européen sur les services numériques, a été rédigé sous l’égide de Thierry Breton. Lequel a été dégagé par Ursula von der Leyen de la place de Bruxelles après avoir envoyé une lettre à Elon Musk l'exhortant à veiller à ce que X respecte les normes de l'UE à peine de sanctions… Présidente de la Commission européenne manifestement rendue dans toute cette agitation aphone par sa pneumonie. La maladie a dû gagner Henna Virkkunen qui a succédé à Thierry Breton au poste de commissaire pour la souveraineté technologique : la finlandaise est aux abonnés absents.
Interrogé par Le Figaro, un haut fonctionnaire à Bruxelles a déclaré : "la commission ne veut pas envenimer les relations avec Trump".
Ceci posé, et passablement bien organisé – cf. la garde rapprochée des représentants baltes atlantistes dont s’est entourée la présidente de la Commission européenne ou l’appui de la société américaine Newsguard 1 à la mise en place du DSA – la France s’agite beaucoup. Pas sûr qu’il en restera grand-chose à part une franche dose de ridicule à laquelle participe activement la classe médiatique mainstream.
A toutes fins utiles, le fact-checkeur numéro 1 en France, celui qui travaille en partenariat avec Meta France 2, n’est autre que l’agence France presse (AFP) – aussi surnommée agence fake presse ou agence France propagande. Laquelle alimente largement la totalité des médias traditionnels en informations nationales et internationales pré-digérées et souvent régurgitées telles quelles.
Ce ne serait “rien” si fact-checker consistait à “seulement” chercher à vérifier les faits honnêtement. D’après Fabrice Epelboin, spécialiste des médias sociaux et enseignant à Sciences Po, le procédé utilisé par Meta était autrement plus pernicieux.
“La méthode de fact-checking consistait à déléguer à des médias sélectionnés par des Etats et payés par les plates-formes pour déterminer le vrai du faux. Et, et c'est un des aspects les plus importants et les moins compris, pour déterminer ce qui mérite d'être désamplifié, invisibilisé. Cela constitue un petit morceau de tout un arsenal pour modérer les contenus dont, au final, le cœur est constitué par une intelligence artificielle qui est en charge d'arbitrer la visibilité des différents contenus sur les réseaux sociaux".
Mark Zuckerberg ne dit pas autre chose quand il rappelle, six mois après avoir confirmé devant la commission judiciaire de la Chambre des représentants les révélations des TwitterFiles3, que l’intelligence artificielle était programmée pour invisibiliser les voix conservatrices sur X et sur Facebook.
A toutes fins utiles, à ceux qui découvrent ou feignent de découvrir les “pulsions de censure qui fleurissent en Europe”, rappelons qu’il n’y a rien là de bien nouveau. En 2013, le journaliste Glenn Greenwald épinglait la France pour ses velléités de censure “plus dangereuse que les discours haineux”.
Un DSA inopérant
Que peut le DSA en matière de manipulation ? Pas grand-chose. Le Digital Service Act n’a non seulement pas fait montre jusque-là d’une quelconque utilité mais il est aussi passablement limité.
L’Eclaireur a sollicité les services de la Commission européenne et l’Arcom en France, le régulateur/coordonnateur dans l’Hexagone pour tout ce qui touche au DSA, pour savoir combien de procédures avaient été déclenchées pour contravention au DSA. A la publication de notre article, personne ne nous avait répondu. On a eu beau cherché, on n’a rien trouvé de bien probant4.
Le DSA entend réguler les contenus problématiques. Si, pour les contenus illicites, la question ne souffre aucune contestation, notamment quand ils s’agit de protéger les plus jeunes, les autres motifs visés par le règlement européen sont pour le moins fumeux. La haine en ligne ? L’incrimination de “haine” n’est pas une infraction pénale en France. Et l’UE ne dispose ni de code pénal ni de code électoral – l’UE a annoncé de manière ahurissante déployer 150 agents pour vérifier si l'entretien en direct d'Elon Musk avec la dirigeante allemande de l'AfD est conforme à ses règles, qui n’ont aucune matérialité…
“Une très large partie de ce qui est considéré comme du harcèlement ou de la haine n'est en réalité que des confrontations politiques”, souligne Fabrice Epelboin. “La haine, le harcèlement et même la démocratie, on est sur des mots qui n'ont plus aucun sens, qui ont en eu par le passé, ont été tordus, déformés et ont été utilisés à des fins de censure. Non pas que la haine n'existe pas, non pas que le harcèlement n’existe pas mais très concrètement la haine est très relative à la personne qui la perçoit”.
Relative aussi à la culture de chaque pays. Ainsi, aux Etats-Unis, premier fournisseur en réseaux sociaux (exception faite de TiK-Tok, chinois, l’UE étant aux abonnés absents décidément), est-il admis de tenir des propos haineux tout comme de la désinformation au titre du premier amendement de la Constitution consacrant la liberté d’expression. Bref, c’est peu dire que l’UE, et la France dedans, dispose de bien peu de munitions.
Mais le summum est atteint quand l’UE, Thierry Breton en tête bien que déchu de ses fonctions, persiste à vouloir contrôler et sanctionner la “désinformation”. On met volontairement le mot entre guillemets tant la notion ne veut rien dire, encore moins si on l’évalue dans le temps, une information vérifiée à un instant T n’en est parfois pas une à un instant T + 1. De fait, la “désinformation” est à peine mentionnée dans le DSA, règlement à lire ici. Elle n’est pas plus définie ou encadrée, difficilement sanctionnable et encore moins sanctionnée comme on l’a vu avec le scandale Avisa Partner. Accusée de publier de faux articles de presse et de manipuler Wikipédia, l’agence d’influence avait comme partenaire… l’Etat français ou la gendarmerie nationale. A ce jour, aucune suite n’a été donnée à cette affaire de manipulation de l’opinion pourtant flagrante.
Un code de bonnes pratiques renforcé contre la désinformation a bien été publié par la Commission européenne. Ses signataires se sont engagés à tout plein de choses mais rien touchant directement, c’est à dire au contenu, de la “désinformation” 5.
La suite risque bien d’être à l’avenant. Dans la foulée de la promulgation de la loi visant à sécuriser et à réguler l'espace numérique, c’est l’Arcom qui a été chargée de coordonner pour la France “la régulation des plateformes en ligne visant à mieux les responsabiliser, notamment en matière de lutte contre les contenus illicites et préjudiciables (sic)”. En fait, les contenus illicites seulement comme stipulé en détail dans le règlement, le “préjudiciable” rejoignant la “désinformation” dans les oubliettes réglementaires, puisque totalement inappréciables.
Pour cela, l’Arcom fera appel à des “signaleurs de confiance” chargés de “soumettre aux fournisseurs de services de plateformes en ligne des signalements étayés à traiter de manière prioritaire”. L’Arcom doit également agréer des chercheurs qui seront eux habilités à accéder aux données des plateformes en ligne et veiller au respect par les plateformes de leur obligation d’accès à ces données. Tout ceci avance péniblement. A ce jour, seule l’association e-enfance a été labellisée “signaleur de confiance” et les critiques se font jour sur le droit d’accès des chercheurs aux données des grandes plateformes en ligne.
Pas sûr que tout ce montage aboutisse à quoi que ce soit de bien tangible. Rappelons qu’un Observatoire de la haine en ligne, géré par l’Arcom, a vu le jour en 2020. Observatoire né de la loi Avia, laquelle a été largement retoquée et même vidée par le Conseil constitutionnel. Les Sages ont estimé que les obligations pesant sur les réseaux sociaux de retirer en vingt-quatre heures les contenus illégaux n’étaient compatibles avec la liberté d’expression. Qui plus est en se passant d’un juge.
L’Observatoire se contentera donc d’observer.
Et les signaleurs de signaler ? Et la justice de sanctionner arbitrairement ce que le pouvoir politique lui dira de sanctionner ?
Au final, excepté les coups de menton de politiciens en panique et de journalistes qui voient leur contre-pouvoir finir de partir en sucette, il est fort à parier que le DSA ne servira pas à grand-chose.
Car la réflexion s’arrête là. Aucune once d’auto-critique ou de remise en cause à l’horizon qui, peut-être, éviterait que le balancier qui penchait fortement du côté des forces progressistes, ne bascule violemment en sens opposé.
L’urgence est de tout faire pour déstabiliser, voire barrer la route à Elon Musk alors que se profilent des élections en Allemagne et que un peu partout en Europe, les soutiens à “l’extrême droite” grandissent.
En France, la question des contenus illégaux ne se posant pas, celle de la désinformation ou de la haine en ligne étant inopérante et vouée à l’échec, on accuse désormais les algorithmes. Surfant avec toute la distance critique sur l’appel du moment – la menace de Thierry Breton d’aller voir de plus près si Elon Musk ne profite pas trop de son réseau, X, suivie de la plainte ad hoc déposée par l’eurodéputée Aurore Lalucq auprès de l’Arcom pour usage abusif des algorithmes – France TV et ses experts en investigation de “L’Œil du 20 heures” sont formels : Musk abuse, foi de mathématicien qui a du reste quitté X… En 2023, l’émission avait sur un autre sujet été épinglée pour avoir enfreint plusieurs règles déontologiques.
La notoriété de Musk est-elle artificiellement gonflée ? L’algorithme de X est public, il s’agit donc de l’analyser pour savoir ce qu’il fait et de simuler son utilisation sur un nombre de cas aléatoires suffisant pour le vérifier. Ce que n’ont pas fait les journalistes de France 2. On remarquera que la même question ne s’est pas posée quand les Unes à la gloire d’Emmanuel Macron se sont empilées – aujourd’hui c’est Gabriel Attal. On touche pourtant là tout autant à la volonté d’influence des médias qu’au pluralisme de la presse.
On objectera à ces journalistes qu’ils ont, comme tout utilisateur de X, tout loisir de masquer ou bloquer les contenus dont ils ne veulent pas.
Plus personne ne les écoutant sur les réseaux sociaux, à commencer sur X, l’ “enquête” a davantage l’air de vouloir donner des gages à la main qui les nourrit. Sans voir qu’ils scient la branche sur laquelle ils sont assis.
Si aux États Unis, les médias historiques sont en totale déconfiture – CNN est en faillite, MSNBC est à vendre – et complètement dépassés par les podcasts6, en France, les médias survivent à grand renfort de perfusions d’argent public. Par la grâce aussi de milliardaires qui, une fois qu’ils auront compris qu’il n’y a plus d’influence et de pouvoir à gagner, auront tôt fait de les lâcher en rase campagne.
Mais la palme des “solutions” revient sans conteste à la diplomatie française – ou ce qu’il en reste. Non seulement, le ministère de l’Europe et des affaires étrangères est pris en flagrant délit de désinformation7 mais son ministre, Jean-Noël Barrot, croit visiblement impressionnant de jouer les va-t-en-guerre, appelant dans un nouvel accès de paranoïa autoritaire sous couvert d’une vraie fausse liberté d’expression (rappelez-vous les interdictions de Rumble ou RTNews), au bannissement de X.
Gageons que rouler ainsi des mécaniques ne tiendra pas deux jours. D’abord parce que l’exemple brésilien, et le rétablissement de X, sont là pour montrer les limites de la manœuvre. Ensuite parce qu’il est aisé de contourner techniquement l’interdiction (les VPN ou le réseau Tor). Sans parler du retour de bâton, potentiellement violent. En novembre, JD Vance, le vice-président américain élu, a averti : toute tentative de régulation dans l’UE de X ouvrirait la porte à une sortie des États Unis de l’Otan.
Le comité consultatif de NewsGuard, qui se dit spécialiste de la lutte contre les fake-news, compte des personnalités comme le général Michael Hayden, ancien directeur de la CIA et de la NSA, et Anders Fogh Rasmussen, ex-Premier ministre du Danemark et ex-secrétaire général de l'Otan.
Jusqu’en 2022, le journal Le Monde tenait aussi sa rubrique Les Décodeurs en partenariat avec Facebook.
La censure mise en place sur Facebook durant le Covid et pour l’affaire Hunter Biden sous pression de l’administration Biden et du FBI.
Le règlement européen prévoit que “le coordinateur pour les services numériques publie régulièrement, par exemple sur son site internet, un rapport sur les activités menées au titre du présent règlement. En particulier, le rapport devrait être publié dans un format lisible par une machine et comporter un aperçu des plaintes reçues et de leur suivi, notamment le nombre global de plaintes reçues et le nombre de plaintes ayant conduit à l’ouverture d’une enquête formelle ou à une transmission à d’autres coordinateurs pour les services numériques, sans faire référence à des données à caractère personnel”.
“Les signataires se sont engagés à prendre des mesures dans plusieurs domaines, tels que: démonétiser la diffusion de la désinformation; garantir la transparence de la publicité à caractère politique; donner aux utilisateurs les moyens d’agir; renforcer la coopération avec les vérificateurs de faits; et offrir aux chercheurs un meilleur accès aux données”.
Le podcast de l’animateur américain Joe Rogan compte 14,5 millions d'abonnés sur Spotify, sa chaine YouTube 16,4 millions d'abonnés.
Meta n’a pas décidé de “remettre en cause l’utilité de la vérification de l’information (fact-checking) pour limiter la circulation de fausses informations”. Sentant le vent tourner et parce qu’il est d’abord un homme d’affaires, Mark Zuckerberg, le patron de Facebook, Instagram, WhatsApp a annoncé mettre un terme à la politique de modération telle qu’il l’avait conçue jusque-là, soit entre les mains de fact-checkers sélectionnés et payés (sic), pour adopter le fact-checking collaboratif de X, les Community notes.