Pédopsychiatrie en souffrance : une pilule sinon rien ?
Le nombre de pédopsychiatres dégringole et le nombre d'enfants souffrants explose ? Le gouvernement élargit la prescription de psychotropes. De la pilule miracle au remède cache-misère...
En dix ans, le nombre de pédopsychiatres a été divisé par deux en France. Et la tendance n’est pas à l’inversement. En Auvergne Rhône-Alpes, on estime que les effectifs devraient baisser de 22 % d’ici 2030. Alors que les besoins vont croissants.
Si les enfants et les adolescents ont jusqu’alors été épargnés par l’épidémie de Covid-19, ils sont en revanche touchés de plein fouet par les conséquences des mesures sanitaires. Les consultations aux urgences augmentent. Les troubles psycho-pathologiques et notamment les tentatives de suicide, explosent. La crise est venue révéler la faiblesse du système de santé.
Réponse des autorités sanitaires ? Enjoindre les professionnels à trouver des « solutions innovantes ». Réponse du gouvernement, lors des assises de la santé mentale en septembre dernier ? Un (petit) peu plus de place dans les CMP, ces centres médico-psychologiques porte d’entrée de la prise en charge des souffrances psychiques. De fait, 400 places ont été promises en plus en pédopsychiatrie. 800 à l’échelle de l’ensemble de la psychiatrie, adulte comme enfant. Une goutte d’eau.
Comme le souligne en Isère la pédopsychiatre Anne Enot, « ça fait 0,22 postes par CMP (…) C’est ridicule mais c’est déjà une reconnaissance après des années où j’avais le sentiment que la pédopsychiatrie était la bête à abattre ». Pour se faire une petite idée, chacun des vingt-cinq CMP que compte le centre hospitalier Alpes Isère reçoit entre 3 est 5 nouvelles demandes par jour. Soit une centaine par an. Sans compter les 150 sur les listes d’attente…
« Ces mots (d’Emmanuel Macron, ndlr) nous ont fait chaud au cœur », soulignent dans une tribune quatre porte-parole de la profession. Mais que cachent ces chiffres et promesses ? « Ces 400 postes supplémentaires annoncés vont se mélanger dans les territoires avec les 1 700 postes vacants actuels et ne constitueront donc pas une dépense nouvelle », regrettent David Cohen, Anne-Catherine Rolland, Jean Chambry et Christophe Schmitt 1.
« Les financements annoncés correspondent en fait aux projets psychiatrie déjà retenus pour le Ségur de la santé et restés non financés toutes disciplines confondues. Or, toutes ces années de disette ont conduit bien des collègues ou des administrations hospitalières à ne plus demander d'investissements pour la pédopsychiatrie car presque toujours refusés hors apports extérieurs type Fondation des hôpitaux ».
Ces postes créés, faut-il aussi pouvoir les pourvoir quand les internes ne se ruent pas sur la spécialité. Et que rien n’est fait pour rendre attractifs les métiers d’infirmiers, d’éducateurs, de psychologues, de psychomotriciens ou d’orthophonistes à l’hôpital.
La solution réside-t-elle en partie dans une pilule ? En septembre, la prescription de traitements à base de méthylphénidate, et notamment son produit phare la Ritaline, a été ouverte aux neurologues, psychiatres ou pédiatres exerçant en ville. Et non plus seulement circonscrite aux psychiatres hospitaliers
Remède cache-misère ? Le méthylphénidate est préconisé pour la prise en charge des troubles du déficit de l’attention avec hyperactivité (TDAH), troubles dont les diagnostics vont croissant. Trop ? Et surtout au détriment d’une prise en charge plus “humaine” ?
« Les enfants que j’ai mis sous Ritaline, qui sont maintenant adolescents, me disent qu’ils sont très malheureux parce que cette molécule prend tellement tout en charge du symptôme qu’ils n’ont absolument rien résolu au fur et à mesure des années. Et qu’ils ne se supportent pas avec le traitement parce que ils ne sont pas eux mêmes », souligne le Dr Enot.
« Sans traitement, ils ont une vitalité, une force. Ils sont fatigants pour tout le monde mais ils aiment bien cet état-là. Les hyperactifs sont géniaux adultes, car ils font un million de choses, font des projets. Ces enfants-là n’arrivent pas à utiliser leur force car ils ne s’en sont jamais occupé comme il faut parce que le médicament prenait la place. Soit ils sont déprimés avec le traitement mais tout le monde est content. Soit ils sont heureux mais ils emmerdent tout le monde. C’est ça l’alternative ».
Un avis que ne partagent pas, loin de là, tous les pédopsychiatres. Reste que, tout doucement, la pilule fait son trou, en lieu et place notamment d’une prise en charge plus individuelle, à base notamment de séances de psychomotricité. Rapide et efficace à sa façon, mais surtout faute de mieux. « Je n’en prescrivais pas il y a dix ans, maintenant oui, convient une pédopsychiatre. Normalement, ce traitement doit être accompagné d’une psychothérapie. On doit faire les deux ». Dans la pratique, il ne reste plus guère que la pilule.
Mais sa prescription divise. Entre d’un côté, les tenants de la psychothérapie et de l’autre, les adeptes de la solution médicamenteuse, voie empruntée par les Anglo-saxons.
« Le problème, c'est quand on se contente d'analyser ce problème par le biais d'une pensée neurologique », soulignait sur France 3 le pédopsychiatre Thierry Delcour, auteur de "La fabrique des enfants anormaux". « Dans ce courant, l'idée est de se dire que si l'enfant a un problème ou pose problème, c'est que son cerveau s'est mal développé. C'est tout un mécanisme qui s'inscrit dans une dérive, où on va simplifier au maximum les choses, qui se met en place. Résultat : on passe à côté de la personnalité et de la singularité de l'enfant. Le tout sans prendre en compte le problème de l'environnement psycho-social dans lequel il évolue ».
« Il est beaucoup plus facile d'avoir une pensée réductrice »
Un mode de pensée qui arrive tout droit des Etats-Unis où la prescription de telles molécules s’envole. « On y plonge les deux pieds en avant. D'une part, parce qu'on a adopté ce qu'on appelle le DSM, le manuel de diagnostic thérapeutique, qui fait que chaque trouble est identifié et qu'à chaque trouble correspond un médicament. Et parce qu'il est beaucoup plus facile d'avoir une pensée réductrice. Si on pense un problème psycho-social, on va penser l'enfant dans un problème plus général, qui va toucher la société, y compris la question politique. Alors que si on ne traite que son cerveau, que l'on considère comme anormal, on ne va pas aller plus loin que ça. »