Procédures-baillons : Bruxelles tente une échappée
Une directive européenne promet de lutter contre les procédures-baillons, ces procédures abusives visant les journalistes et lanceurs d'alerte. Une promesse aussi vaine qu'illusoire.
Voilà qui ne mange pas de pain. Le 27 avril, la commission européenne a entrepris une nouvelle incursion dans un domaine qui ne la regarde pas vraiment. Comprendre, qui n’est pas de sa compétence : la justice. Avec donc toutes les limites que cela sous-tend.
Bruxelles entend en effet au travers d’une directive qui doit encore être approuvée par les Vingt-Sept à la majorité qualifiée, s’attaquer aux poursuites abusives contre les journalistes et les défenseurs des droits de l’Homme. Bref, entraver ce que l’on entend généralement communément par “procédures-baillons”, ces procédures dont le but n'est pas de faire condamner un opposant ou détracteur, mais de le pousser à l'auto-censure ou le faire taire, en l'épuisant financièrement, moralement et nerveusement.
L’intention est d’autant plus louable que l’usage et la médiatisation des procédures-baillons va grandissant. Et notamment depuis l’assassinat en 2017 de Daphne Caruana Galizia. La journaliste d’investigation maltaise faisait face à près de cinquante poursuites de ce type au moment de sa mort.
D’après la Coalition contre les procédures-bâillons en Europe (CASE) – un collectif d’une trentaine d’associations et ONG, moteur dans la directive européenne – le nombre de procédures de ce type recensées va croissant. En 2021, 118 ont été décomptées, le nombre le plus élevé à ce jour mais qui cache assurément une réalité autrement plus inquiétante en matière d’atteintes à la liberté de la presse.
Mais la réalité de cette volonté affichée de donner un coup de frein à ces procédures va peut être également bien au-delà. « Avec ces mesures, nous contribuons à protéger celles et ceux qui prennent des risques et font entendre leur voix lorsque l'intérêt général est en jeu - lorsqu'ils s'expriment par exemple sur des allégations de blanchiment d'argent et de corruption, des questions environnementales et climatiques ou d'autres questions importantes pour nous tous », souligne à Bruxelles Věra Jourová, la vice-présidente chargée des valeurs et de la transparence.
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La directive ne bénéficiera pas qu’aux journalistes. Mais également à toute personne engagée dans tout un tas de défense des droits. Environnementaux et climatiques. Mais aussi droits des femmes, droits des travailleurs, droits des personnes LGBTIQ, droits des personnes issues d'une minorité raciale ou ethnique ou droit des… libertés religieuses, comme l’égraine la Commission européenne sur son site. Ce qui, en France, et sur fond par exemple des coups de boutoir du voile et de ses dérivés dans l’espace public1, promet quelques réjouissantes perspectives…
Certes, la directive a ses limites. La justice n’étant pas compétence de l’UE mais des Etats membres, le dispositif est pour le moins ratatiné. Il se bornera donc, s’il est approuvé, à traiter des affaires civiles ayant « une incidence transfrontalière », les Etats membres étant seulement encouragés, au travers d’une recommandation, à harmoniser leurs règles avec la législation européenne.
Seulement 11 % des procédures-bâillons identifiées étant des affaires strictement transfrontalières selon les données de la Coalition CASE, on mesure la portée de la seule directive… En attendant une potentielle loi, comme l’a annoncé Ursula von der Leyen dans son discours en septembre dernier sur l’État de l’Union et alors même que de sérieux coups de canif ont été portés dans le droit à l’information, et notamment via la loi sur le secret des affaires.
Ce n’est pas la première fois que Bruxelles agite un potentiel pouvoir qu’elle n’a pas (encore ?). Il y a quelques mois, elle nous avait fait le coup avec une Europe de la santé boostée par le Covid-19, qui n’existe pas (l’Europe de la santé, pas la pandémie). Ou à la marge. Et un appel de Grenoble annoncé par Olivier Véran que l’on attend toujours du reste.
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L’Europe se hasarde-t-elle à essayer d’aller trop loin ? Max-Erwann Gastineau y voit dans Le Figaro, sur un sujet parallèle, une « Europe institutionnelle toujours plus désireuse de conditionner la souveraineté des États aux canons du nouvel ordre politique qu'elle dessine », dessinant « les termes d'un improbable supranationalisme sociétal ».
En juin dernier, le parlement européen a adopté une résolution faisant de la conditionnalité de l'octroi des fonds européens un bouclier contre les attaques visant les migrants, les droits des femmes, les droits des personnes LGBTIQ et la liberté d'association et de réunion. « Autrement dit, au nom de la défense de ce qui était initialement“ les intérêts financiers de l'Union”, les instances communautaires s'arrogent le droit de définir le sens de nos valeurs collectives », interpelle l’essayiste, auteur du Nouveau Procès de l'Est.