[Republication] Derrière la dissolution (française), les grandes manœuvres (européennes)
Alors qu'en France, tous les regards sont braqués sur les législatives, Emmanuel Macron s'agite en coulisses pour infléchir le choix du futur président de la Commission européenne. Comme en 2019.
On peut prêter toutes sortes de visées à Emmanuel Macron, qui s'emploie avec brio à torpiller son propre "parti". On voit à présent à quel point ses troupes ont joué le simple rôle de faire-valoir… Gouvernement de cohabitation “d'extrême-droite” ? Démission et objectif 2027 en faisant le pari qu'un second mandat écourté lui permettrait de rempiler pour un second deuxième mandat ? Le chef de l'Etat a clairement annoncé que, quelque soient les résultats, ils ne démissionnerait pas... Ou se prépare-t-il à passer son tour en 2027 et viser 2032, puisqu'il ne s'agirait pas de trois mandats consécutifs ? Rappelons que l'article 6 de la Constitution lui interdit seulement d’exécuter plus de deux mandats consécutifs.
Pendant que le petit monde politique est tout occupé dans un délai particulièrement (et volontairement) contraint à ériger des fronts et nouer des alliances dont la portée – de circonstance – ne fait pas l'ombre d'un doute, l'essentiel est peut-être ailleurs. Et, passées les élections européennes, il se joue en coulisses.
Les élections au parlement européen, qui voient un renforcement de la droite et la montée des extrêmes droites, ne changeront pas fondamentalement le visage de l'UE. D'abord parce que le Parti populaire européen (PPE), d'où est issue la présidente sortante Ursula von der Leyen et au sein duquel les Allemands font en quelque sorte la loi, reste le groupe le plus important dans l'hémicycle européen. Il conforte même sa place de leader en gagnant neuf sièges par rapport à 2019.
Ensuite parce que les eurodéputés n'ont que peu de pouvoir. Rappelons que, a contrario de son homologue français, le parlement européen ne dispose pas de l’initiative législative. C'est la Commission européenne, qui détient tout à la fois le pouvoir exécutif et législatif. A charge pour les eurodéputés et le Conseil de l'UE d'adopter les textes.
Mais on va voir qu'en matière d'initiative parlementaire, le peu arraché en 2014, est tranquillement en train de partir en peau de chagrin. Parce qu'il y a les règles, et il y a leur application, parfois très souple, en fonction du sens dans lequel on veut aller.
En 2013, le parlement européen avait obtenu que le président de la Commission européenne soit un des candidats, et même tête de liste (le "spitzenkandidat"), aux élections européennes. Bref qu'il ne soit pas sorti de nulle part, et surtout des chapeaux des gouvernements et chefs d'Etat, comme c'était le cas jusque-là. L'idée était de faire montre de plus de transparence et de démocratie, voire de donner un peu plus de pouvoir au parlement – le “peuple” donc. Ainsi donc, le "spitzenkandidat" du parti politique qui emportait le plus de sièges était ensuite le candidat proposé par le Conseil européen à la confirmation par le Parlement européen pour la présidence de la Commission européenne.
C'est d'ailleurs à la suite de ce processus, inspiré du modèle allemand, que Jean-Claude Juncker avait été nommé président de la Commission européenne en 2014. Las, cinq ans après, c'en était fini de ces velléités démocratiques.
En 2019, Ursula von der Leyen entrait en piste. On ne sait d'où – certains invoquent des ingérences américaines qui auraient susurré son nom à l’oreille d’Emmanuel Macron – alors qu’à l’époque ministre allemande de la défense, elle n'avait nullement fait campagne pour les élections européennes. Mais elle avait été propulsée par les chefs d'Etat et de gouvernement, Emmanuel Macron en tête, afin de faire échec à Manfred Weber (issu du PPE) jugé un poil trop conservateur mais à qui la candidature aurait dû échoir.
Rebelote en 2024 ? Favorite, Ursula von der Leyen devrait logiquement enchainer un second mandat. D'autant que cette fois, la présidente sortante a fait les choses dans les règles : elle a officiellement été intronisée tête de liste du PPE le 7 mars dernier.
Dans les faits, c'est un peu plus compliqué. D'abord parce qu'Ursula von der Leyen n'est pas certaine de faire le plein de voix au sein du PPE, des sociaux-démocrates et de Renew pour décrocher l'investiture, au vu notamment de ses entorses à l'éthique (pour ne pas dire plus : Pfizergate ou la tentative de nomination d’un proche, l’eurodéputé Markus Pieper, au poste d’émissaire de la Commission européenne etc.). Au vu aussi de la déroute de Renew, le groupe mené par la France (macronistes et centristes) passé de 102 à 80 sièges...
Pour s'assurer d'obtenir la majorité qualifiée1, et contrebalancer certaines défections (Les Républicains pourtant membres du PPE ou les libéraux allemands) il lui faudra peut-être bien piocher dans les rangs de l'extrême droite, notamment grâce à ses accointances (américaines ? Un des proches conseillers de Georgia Méloni, Giulio Tremonti, est le président de l'Aspen Institute) avec la première ministre italienne. Ligne rouge qu'Olaf Scholz lui a interdit de franchir si elle veut garder le soutien de la coalition SPD-Verts-Libéraux aux affaires.
Bref, l'inflexion à droite, au parlement européen puis potentiellement au sein de la Commission européenne, ne passe pas. La démocratie, le pouvoir du peuple quand il part l’où on ne veut pas, c'est embêtant. Les grandes manœuvres ont donc commencé. Pendant que Charles Michel s'emploie à tenir Ursula von der Leyen à l'écart ( révélations de Politico), Emmanuel Macron mènerait la danse des négociations avec plusieurs dirigeants européens pour installer l’ancien patron de la Banque centrale européenne, l'italien Mario Draghi (qui avant de diriger la BCE officiait chez Goldman Sachs où il a contribué à aider la Grèce à truquer ses comptes publics pour rentrer dans l’euro) , dans le fauteuil d’Ursula von der Leyen ( révélations de Bloomberg). Comme un mauvais un remake de 2019.
On rappellera à toutes fins utiles que l’édition européenne de Politico (racheté depuis par le mastodonte allemand des médias Axel Springer) a été lancée en 2015 dans le but avoué de “secouer” la couverture journalistique de l’Union européenne et est avant tout l’extension du site américain créé par deux signatures importantes du Washington Post (Courrier International). Et que Bloomberg est une agence de presse américaine. En la matière, on avait aussi vu Joe Biden faire une incursion (une visite d'Etat) la veille des élections européennes.
La souveraineté européenne, qui n'existe pas, est entre de bonnes mains.
Ursula von der Leyen a besoin de la majorité qualifiée, soit le soutien de 15 des 27 dirigeants de l'UE représentés au sein du Conseil européen, issus de pays qui représentent ensemble 65 % de la population de l'UE. Or les 13 pays du PPE ne représentent que 26 % des citoyens de l'UE.