[ Trump-Musk ] The show must go on
Etonnant que le couple Trump - Musk ait duré aussi longtemps. Le divorce est spectaculaire. L'inévitable réconciliation le sera tout autant.
Il est une chose que personne ne veut comprendre. La Constitution des Etats-Unis, un Etat fédéral, a été conçue pour que le niveau fédéral soit gouverné par une oligarchie, censée être aussi désintéressée que compétente. C’est d’ailleurs le cas de tous les Etats fédéraux, de l’Allemagne au Brésil en passant par la Russie et le Mexique. La démocratie, elle, se déroule au niveau des Etats, où les membres de cette oligarchie fédérale doit être sécrétés, non pas à Washington. C’est ce qui explique le mode scrutin indirect du président des Etats-Unis et le faible nombre de parlementaires du Congrès: 100 sénateurs - deux par Etats - et 435 députés. En comparaison, en France nous subissons 577 députés et 348 sénateurs. Mais la France est un Etat unitaire et centralisé.
L’adoption de la Constitution américaine proposée par la Convention de 1787, ne fut pas un long fleuve tranquille. La plupart des Américains de l’époque n’en voulaient pas, échaudés par plus d’un siècle de férule britannique. Il a fallu l’énorme effort d’éducation populaire - ou de propagande, c’est selon - que furent les papiers fédéralistes, une série de 85 essais rédigés par Alexander Hamilton, James Madison et John Jay et surtout l’adjonction de la Bill of Rights - la déclaration des droits du citoyen- comme dixième amendement pour que l’ensemble des Etats fédérés la ratifient.
La Bill of Rights? C’est tout bonnement cela:
Garantie de la liberté absolue d’expression, de religion, de la presse, de réunion et de pétition.
Droit de porter des armes pour la défense personnelle et collective.
Interdiction de loger des soldats dans des maisons privées sans consentement.
Protection contre les fouilles, perquisitions et saisies abusives.
Droits en matière de justice pénale, comme la protection contre l’auto-incrimination et à ne pas être jugé deux fois pour la même infraction.
Droit à un procès équitable et rapide.
Droit à un jury dans les affaires civiles.
Interdiction des peines cruelles ou inhabituelles et des amendes excessives.
Reconnaissance que les droits non énumérés dans la Constitution sont conservés par le peuple.
Réservation des pouvoirs non délégués au gouvernement fédéral aux États ou au peuple.
Si on touche à cette Bill of Rights, et c’est le reste de la Constitution américaine qui devient caduque pour la majeure partie des Américains. C’est ainsi que la liberté d’expression ou le droit de posséder des armes sont des sujets éminemment sensibles, qui provoquent des réactions épidermiques dès que l’Etat fédéral (ou l’Union européenne) tentent d’en approcher leurs gros doigts tâchés d’encre. Cela explique également pourquoi la suppression du ministère fédéral de l’éducation n’a créé aucun remous en dehors de Washington: il n’existait pas avant 1981. Même chose avec l’avortement, qui n’a jamais été un droit inscrit dans la Constitution, et est par conséquent du seul ressort des Etats et du peuple.
Les deux élections de Donald Trump peuvent, outre le rejet de l’idéologie progressiste, au fond s’expliquer par le refus d’un Etat fédéral devenu obèse avec, dans l’histoire récente, une très forte accélération à partir de l’élection de George W. Bush en 2000, obésité qui ne fut pas traitée par ses successeurs, que ce soit Barack Obama, Joe Biden et Donald Trump lui-même lors de son premier mandat.
La guerre ouverte entre Donald Trump et Elon Musk va loin car le premier parle d’annuler tous les marchés publics dont bénéficient les entreprises d’Elon Musk - illégal et au surplus suicidaire car alors plus un seul satellite américain ne sera mis en orbite - et le second, de son côté, riposte en affirmant que Donal Trump figure dans l’affaire du prédateur sexuel Epstein et que c’est la raison pour laquelle l’ensemble du dossier ne sera jamais publié. Sortez le pop-corn, le combat va être intéressant.
La cause de ce conflit est la loi de budget, la “Big Beautiful Bill”, proposée par Trump qui prévoit un nouvel accroissement du plafond de la dette fédérale. Les critiques acerbes de Musk sont fondées sur le poids de la dette, dont les intérêts excèdent aujourd’hui le budget de la défense.
Tout le problème de l’idéologie managériale, dont Elon Musk est l’un des tenants malgré ses penchants libertariens, est qu’elle est impropre à autre chose que le gouvernement d’entreprises - et encore. Les entreprises ne sont pas des démocraties composées d’un système complexe de corps politiques et sociaux aux intérêts pas forcément convergents.
Les ravages de cette idéologie peuvent d’ailleurs se constater en France et en Europe, où l’ensemble des politiques publiques concoctées par des cabinets de conseil à coup d’idées et d’études simplistes relevant de la pensée magique, matérialisées par des feuilles de calcul Excel et de tableaux de bord en tout genre, et imposées à la va-vite, font misérablement faillite. Gestion de la Covid, ZFE, DPE, transition énergétique, réindustrialisation, réforme des retraites, la liste est longue.
Gouverner, c’est prévoir. La politique est donc la capacité à comprendre le temps dans lequel évolue la société et les corps politiques et sociaux qui la composent. Gérer, ce n’est qu’ordonner pour arriver à un résultat prédéterminé à une date donnée.
Elon Musk, aussi génial industriel fût il, n’entend pas grand chose à la politique. Aucun président des USA depuis Roosevelt n’a présenté de premier budget qui ne relevait pas le plafond de la dette, pour une raison fort simple: c’est ce budget, et ce seul budget, qui l’amènera aux élections de mi-mandat. Il faut donc bien graisser certaines pièces de la machine afin de les remporter.
Jamais un président des USA n’a pu introduire de réformes majeures avant la seconde moitié de son mandat, à la condition expresse de remporter les élections intermédiaires. Même Roosevelt dut attendre de gagner haut la main les mid-terms de 1934 pour véritablement mettre en œuvre le New Deal. A partir de sa prise de fonction en 1933, il dut se contenter de gouverner au centre en prenant des mesures d’urgence faisant consensus, tout en étant copieusement taxé de fascisme ou de communisme par l’establishment dont il était pourtant issu.
La seule question qui vaille en matière budgétaire est de savoir ce que fera Donald Trump s’il remporte les élections intermédiaires de l’année prochaine. Ne pouvant pas briguer un troisième mandat présidentiel, cédera t-il malgré tout à la facilité de ne pas s’attaquer aux dépenses publiques?
Le conflit Trump-Musk n’est pas sans rappeler celui, tout aussi violent, qui opposa à l’époque Roosevelt et Randolph Hearst, le génial créateur de la presse et des médias modernes, alors que tous deux professaient peu ou prou les mêmes solutions pour sortir de la grande dépression. Ils n’étaient en désaccord fondamental que sur la méthode et le calendrier. Hearst préconisait des mesures radicales et immédiates. Roosevelt, lui, avait en tête d’abord le rétablissement de la stabilité et la confiance nécessaires pour préserver la paix civile et lui permettre de remporter les mid-terms, ce qui alors l’autoriserait à faire passer ses réformes. L’histoire montre que le premier avait tort et le second raison.
Dans cette affaire, nous vous déconseillons d’écouter la presse française, qui ne comprend pas grand chose à se qui se déroule de l’autre côté de l’Atlantique. Elle se contentera de faire choux gras du spectacle que donneront à voir les deux pugilistes, spectacle qui n’est qu’accessoire, qu’un side-show. Elle s’empressera de déclarer Donald Trump K.O. au motif que l’homme le plus riche du monde semble se retourner contre lui. Et elle éludera l’épisode où Trump, face au chancelier allemand, revendique d’avoir mis un terme au projet Nordstream 2.
Ne vous y trompez pas: Trump et Musk se réconcilieront, ils finiront par tomber dans les bras l’un de l’autre, parce qu’ils ont besoin l’un de l’autre. Peter Thiel y veillera une nouvelle fois. Au surplus, ces deux hommes se respectent et s’apprécient. Et Elon Musk aura appris une leçon: financer une campagne présidentielle n’autorise qu’à conseiller, pas à gouverner.