[ Analyse ] Big Brother, le grand frère européen
De législations en réglementations, l'Europe a mis en place un véritable complexe industriel de censure. Mais voir en Trump l'homme providentiel au secours de la liberté d'expression est un leurre.
Nous avons déjà plusieurs fois expliqué comment la France et l’Union européenne se sont mis en tête, à coups de règlements et de directives, de corseter la liberté d’expression. Comment l’Europe a tout à la fois servi de terrain d’expérimentation et un moyen pour l’Etat profond américain de contourner le premier amendement de la Constitution 1 qui, aux Etats-Unis, qui garantit une liberté d’expression absolue.
Relire ce qu’écrivait l’intellectuel américain N.S. Lyons en mars dernier :
“Sous Biden, (…) l’ Etat fédéral s’est associé aux géants technologiques et à des organisations de “vérification des faits” prétendument indépendantes (mais financées par l’Etat) pour censurer massivement les Américains. Un juge fédéral a qualifié cela d’”attaque la plus massive contre la liberté d’expression dans l’histoire des États-Unis”. Une stratégie plus discrète et durable a aussi émergé : déléguer la régulation d’Internet à d’autres pays. Internet étant mondial, des lois strictes dans un grand marché, comme celui de l’UE, influencent le réseau entier. Les leaders transatlantiques ont vite saisi que les règles de l’Union européenne pouvaient obliger toutes les entreprises Internet – même américaines – à se plier à leurs exigences pour ne pas perdre d’accès au marché européen. Ce pouvoir réglementaire, appelé « effet Bruxelles », est la principale innovation européenne du siècle.”
(NS Lyons a depuis intégré l’administration Trump, le Département d’Etat pour être précis, dont il dirige le travail de prospective et de stratégie).
Le retour de Trump au pouvoir a rebattu les cartes et l’avenir (les négociations autour du prétendu accord commercial notamment) nous dira rapidement ce qu’il reste de marges de manœuvre à l’UE pour opérer une surveillance de masse, pas seulement de la parole publique via le Digital Service Act (DSA) et ses déclinaisons mais jusque dans la sphère privée.
Au fil des mois et des années, avec une nette accélération lors de l’épisode de la crise Covid, on a vu l’étau se resserrer sur la liberté d’expression dans l’Union européenne mais aussi au Royaume Uni, en Australie (où les régulateurs nationaux ont signé des accords avec la Commission européenne), en Nouvelle-Zélande ou au Brésil. Et particulièrement la liberté d’expression en ligne qu’incarnent, pour le meilleur comme pour le pire, les réseaux sociaux.
Jusque-là, il était relativement “facile” de contrôler la parole, celle-ci passant exclusivement à sens unique par le canal des médias. L’avènement des réseaux sociaux, la caisse de résonance que constitue cette version 2.0 du café du commerce, combinée à la défiance envers les médias traditionnels, a fait entrer la parole publique dans une nouvelle ère. Celle d’une époque où tout propos, toute critique, toute contestation éclate sans filtre.
Depuis 2024, le DSA se propose très officiellement de corriger ces malencontreux écarts. Le règlement européen n’est pas la première à vouloir, derrière de nobles intentions (lutter contre la haine en ligne, protéger les enfants), réguler la parole. Qu’on se rappelle en France, en 2020, la loi Avia, en grande partie censurée par le Conseil constitutionnel, ses mesures portant une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression. Qu’on se rappelle les différents codes européens contre la désinformation, code de bonne conduite en 2016, code de bonnes pratiques en 2018, auxquels doivent souscrire les plates-formes.
Le racines remontent plus loin encore, comme le révèle un document, “Comment la France a inventé le complexe industriel de censure” publié ce 3 septembre par Civilization Works2. Dans ce rapport, Pascal Clérotte, journaliste/analyste à L’Eclaireur et le journaliste italien Thomas Fazi montrent comment la France a été l’un des maitres d’œuvre, si ce n’est LE maitre d’œuvre de ce complexe de censure européen. Aucun autre pays n’a en Europe poussé le dispositif aussi loin, en déléguant à des associations, subventionnées par l’Etat le travail de censure et de répression, créant ainsi des parquets privés permettant à l’Etat de faire par procuration ce que la loi lui interdit de faire.
Si, en Allemagne, des lois pénales ont été instaurées pour sanctionner les discours incitant à la haine dès 1871, avant d’être renforcées après 1945, elles restent encore aujourd’hui l’affaire de l’Etat et de la justice, pas d’entité de droit privé ne représentant personne à part leurs membres.
Tout a commencé en 1972 avec la loi Pleven
“La France a inventé le complexe industriel de la censure il y a 53 ans”, souligne le journaliste américain Michaël Shellenberger, fondateur de Public News. “Des censeurs royaux aux tribunaux révolutionnaires, des décrets napoléoniens à l'oppression de Vichy, l'histoire de la France a longtemps été définie par le bras de fer entre la censure et la liberté d'expression.”
C’est la loi Pleven, en 1972, qui a posé les bases de que l’on observe aujourd’hui : celles à l’époque d’une lutte contre le racisme en criminalisant l'incitation à la haine, la diffamation ou les insultes fondées sur la race, l'origine ethnique ou la religion, par le biais de deux ONG, le Mrap et la Licra, accréditées et partiellement financées par l'État à agir en qualité de « procureurs privés » et à engager des poursuites pénales en tant que tierces parties. C’est ce mode opératoire que l’on retrouve avec le DSA.