Influence et médias (USAID suite) : suivez l'argent
De Trump à Biden, des Etats-Unis à l’Europe, de Politico à l’AFP. Ou comment l'argent public infuse les cercles de pouvoir. L'USAID n'en est qu'une infime partie.
USAID, United States Agency for International Development (agence des États-Unis pour le développement international) fait les gros titres depuis deux semaines. Voir notre précédent article.
Mais le système de financement de ‘l’Etat profond” américain est autrement plus large.
D’après les relevés publics des dépenses du gouvernement américain, Washington a pour la seule année 2024 octroyé 8,2 millions de dollars à Politico par l’intermédiaire de diverses agences gouvernementales, et pas seulement USAID – qui n’aurait contribué qu’à hauteur de 44 000 dollars pour des abonnements à E&E News, une filiale de Politico. “En comptant chaque exercice depuis 2015, ce chiffre atteint 34,3 millions de dollars (33 millions d’euros) dans plus de 1 300 transactions distinctes”, a calculé The European Conservative.
Plus de 8 millions de dollars d’abonnements premium par an afin de mieux suivre l’actualité et notamment politique, et notamment électorale ? Ou la couverture de la crise Covid 1 ? Peut-être bien, et c’est assez compréhensible. Sans que cela n’ait strictement aucune incidence ni influence sur la ligne rédactionnelle ? Politico assure que non 2.
Ce journal est pourtant partie prenante dans le scandale de l’ordinateur portable de Hunter Biden, le fils de Joe Biden, ayant relayé sans sans aucun travail contradictoire les allégations de désinformation russe 3, ce qui contribuera à changer le résultat de l’élection présidentielle de 2020.
Signe de la place prise dans le paysage médiatique par le journal ? Le nombre d’abonnements de l’Etat fédéral sont crescendo depuis 2015, sous Obama. En 2016, le nombre de contrats s’est envolé pendant la campagne présidentielle d’Hillary Clinton pour continuer d’augmenter dans les années suivantes, sous le mandat de Trump et encore plus sous le mandat de Biden, avant d’atteindre son plus haut niveau en 2024 - encore une année électorale.
Pourquoi prendre l’exemple de Politico ? Parce que le média américain dont l’édition européenne a été rachetée en 2021 par l’allemand Axel Springer, est particulièrement bien implanté dans les cercles de pouvoirs à Washington mais aussi Bruxelles. Depuis 2015, il a ouvert des bureaux dans plusieurs grandes capitales européennes pour couvrir les affaires politiques et les politiques publiques de l'Union européenne. Et influencer ? Ou jouer le rôle de vigie ?
Politico est en tout cas particulièrement bien renseigné, qui a beaucoup participé à la révélation de nombre d’affaires, comme le Qatargate, le Pfizergate ou les affaires de harcèlement sexuel au Parlement européen. Tenez, comme l’OCCRP , qui s’est avéré être un faux nez de la CIA - nous étions largement revenus dans notre précédent article.
En France, c’est l’AFP, l’agence France Presse, qui donne le “la” de l’info. L’AFP jouit d'une position dominante dans le paysage médiatique français grâce à son réseau de couverture mais surtout son statut : reconnue d'utilité publique, l’agence France Presse reçoit des subventions de l'État. Environ 135 millions d’euros chaque année dont près de 22 millions d’euros d’abonnement – à rapporter aux 8 millions de Politico…
Surtout, elle arrose toute la presse en fournissant clés en main (ses informations sont recopiées au mot près) un petit paquet de contenus, de photos, vidéos et infographies – c’est la mention “avec l’AFP” accolé aux articles. C’est ainsi que l’on retrouve à peu près les mêmes informations, nationales comme internationales, dans toute la presse française. Qui ne dévient pas beaucoup du discours officiel. Et qui valent à l’AFP le sobriquet d’Agence Fake Press, référence notamment à sa rubrique Fact-check.
Un cas d’école que ces rubriques de fact-checking – faut-il comprendre que hors ces rubriques dédiées, les faits ne sont pas vérifiés ? – que l’on retrouve un peu partout dans la presse traditionnelle. Nombre d’entre elles ont été impulsées et financées par la Commission européenne dans le cadre ou en marge d’appels à projets. Bruxelles a ainsi alloué plusieurs millions d’euros à la “vérification des faits” sans que l’on s’y retrouve bien dans les financements, empêchant d’avoir une vision globale des montants engagés. La transparence à l’européenne…
On y voit un peu plus clair quand on observe les comptes outre-Atlantique.
Comme pour Politico, l’AFP doit beaucoup au dollar. “Entre 2017 et 2024, a calculé la journaliste indépendante Amélie Ismaïli, l'AFP a touché près de 8 millions de dollars de l'US Agency for Global Media, l'agence fédérale américaine chargée de superviser les médias du "soft power" américain à l'échelle internationale (Voice of America, Radio Free Europe, etc)”.
Comme pour Politico, l’envolée a commencé avant le premier mandat de Trump. Avant que les achats de services ne doublent dès la fin 2020, sous Biden.
“Il ne s'agit pas de simples "abonnement" pour la réception de dépêches d'actualité, à l'instar de nombreux gouvernements dans le monde, souligne la journaliste. Selon les informations disponibles, ces contrats qui représentent plus de 1 million de dollars par an comprennent une diversité de services, incluant l'abonnement aux dépêches et images fournies par l'AFP, les droits de rediffusion dans les médias supervisés par l'USAGM, mais aussi des prestations de conseil, des missions d'informations stratégiques, l'accès à la base de données sécurisée pour des contenus particuliers ou encore des collaborations pour la promotion du "fact-checking" et des "informations fiables" dans des pays où "la liberté de la presse est menacée".
“De tels montants devraient au minimum interroger quant à l'influence de cette agence américaine sur le contenu éditorial de la principale agence de presse française”.
Le ministère de la santé , la Food and Drug Administration (FDA) et les Centers for desease Control and Prévention (CDC) ont été les plus gros souscripteurs avec près de 7 millions de dollars.
“Let’s be clear: POLITICO has no financial dependence on the government and no hidden agenda. We cover politics and policy — that’s our job.” (Source The Hill).
Le journal avait largement relayé une lettre signée par plus de cinquante anciens responsables du renseignement américain suggérant que les révélations concernant le portable de Hunter Biden avaient "tous les signes distinctifs d'une opération d'information russe” alors que le contenu du texte précisait que les signataires n'avaient pas de preuves directes de l'implication russe. Par la suite, des ex-reporters de Politico, comme Marc Caputo et Tara Palmeri, avaient critiqué les décisions éditoriales du journal concernant la couverture de cet épisode. Affirmant que des directives de "haut niveau" avaient conduit à une couverture minimaliste ou à la suppression de certaines histoires.