Ukraine, Géorgie, Moldavie... A l'Est, rien de nouveau
Les pressions politiques, financières et médiatiques sont devenues le lot des scrutins électoraux des pays candidats à l'adhésion à l'Union européenne.

Les élections législatives en Moldavie, qui viennent de consacrer la victoire ténue du parti pro-européen, sont un symbole saisissant de l’hypocrisie qui frappent nos gouvernants et institutions européennes, doublée de la cécité particulièrement asymétrique qui frappe nos médias. Ainsi donc, la Moldavie a-t-elle dû faire face aux menaces sans précédents d’ingérences et d’influence de la Russie mais aussi de l’extrême droite roumaine. C’est Le Monde qui le dit, canal AFP.
On est prié de les croire sur parole, même si le contexte géopolitique, avec des pays de l’Est pris en tenaille par UE interposée, et les inévitables biais des experts, des institutions, des ONG ou des médias qui ont enquêté sur des cas massifs de désinformation, cyberattaques et autres financements illégaux de campagne, à mettre forcément à l’actif des Russes, imposent à ce stade de prendre quelques précautions, au moins quant à l’importance de l’ingérence.
Il n’y a qu’à se rappeler la réalité des ingérences russes dans un autre pays il n’y a pas si longtemps que cela, en Roumanie : en fait une campagne TikTok menée par le Parti national libéral roumain, parti de coalition au pouvoir, qui s’est retournée contre lui.
Est-il encore utile de rappeler le Russiagate, cette manipulation orchestrée par la campagne de Hillary Clinton, les médias mainstream et certaines factions des services de sécurité et de renseignement? Tout était faux, du bidon. Aucune ingérence russe.
L’ingérence ou influence n’est surement pas l’apanage d’un seul camp. On a ainsi vu, 48 heures avant le scrutin, deux partis d’opposition, considérés comme pro-russe, être exclus du scrutin. Des milliers d’électeurs moldaves en Russie être empêchés de voter (déclaration du Kremlin). Et la France, ou plutôt Emmanuel Macron, être assez clairement empêtrée via l’affaire Pavel Durov dans le cas moldave. Voir le tweet du patron de Telegram ci-dessous et sa traduction en français 1.
Rien d’étonnant toutefois à ce que, UE d’un côté, Russie de l’autre, on cherche à influer sur le résultat du vote. Derrière ces élections, c’est la possible adhésion de la Moldavie à l’Union européenne qui est en jeu, la victoire du parti pro-européen étant un pas supplémentaire de ce petit pays d’Europe orientale vers l’intégration, la victoire de l’autre camp y coupant court à tous les coups. Voir à ce sujet l’exemple de la Géorgie sur lequel nous reviendrons un peu plus loin.
Dans ce petit jeu électoral, il est fort à parier que la Moldavie – comme la Géorgie ou l’Ukraine – ne soit qu’un pion. C’est d’ailleurs vraisemblablement pour affaiblir la Russie que l’UE se hâte d’inclure dans son espace les pays à l’Est – on ne voit à ce stade pas beaucoup d’autres explications. Sans vraiment voir que l’Europe est le dindon de la farce. Voir les révélations du journaliste américain Tim Weiner 2 qui démontre que la CIA a aidé l’Ukraine à préparer une attaque contre la Russie et que l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe avait été anticipée par la CIA - que les Russes avaient mise au courant de leur opération spéciale par des voies obliques.
Que les élections soient sous influence n’étonnera personne. Mais alors pourquoi ne pas parler de celles, flagrantes et à visage découvert, de l’Union européenne ? Pourquoi ne pas évoquer cette politique de la carotte et du bâton, qui est donc bien une politique d’influence, dont la Moldavie est le dernier exemple en date ?
Au printemps, l’UE avait promis 1,9 milliard d’euro à la Moldavie en soutien à toutes sortes de réformes – judiciaire, énergétique, lutte contre la corruption. Dans l’absolu, difficile de condamner la politique de l’UE, d’autant qu’une partie des fonds avaient été décaissés sans même attendre le résultat du 28 septembre. Mais au vu du timing électoral, difficile de ne pas y voir une ingérence, d’autant que ces engagements ont été activement promus pendant la campagne. Et qu’il y a des précédents notables.
Le 10 octobre 2024, c’est Ursula von der Leyen en personne qui avait fait la première annonce de cet engagement financier. Dix jours avant le premier tour des présidentielles, remporté par la candidate pro-UE, et le référendum sur l’adhésion à l’UE, où le “oui” était passé de justesse grâce aux bulletins de la diaspora.
Carotte-bâton ou bâton-carotte
C’est peu ou prou le même scénario qui a été déroulé en Géorgie, mais inversé. Candidate à l’UE, la Géorgie a reçu un petit paquet d’aides de la part de Bruxelles. Jusqu’à ce que le parti au pouvoir, vu comme “pro-russe”, ne s’avise à jouer les mauvais élèves en passant sa loi sur les “agents étrangers”. Pour rappel, cette loi oblige certaines personnes ou organisations à s’enregistrer comme “agents étrangers” si elles reçoivent un financement de l’étranger et mènent des activités considérées comme politiques - loi qui n’est que la copie de la loi américaine Foreign Agent Registration Act. Ce coup de projecteur sur les ingérences étrangères dans la politique intérieure géorgienne n’a visiblement pas été du goût de Bruxelles qui a sorti le bâton.
Un mois plus tard, les millions d’euros d’aide étaient gelés et le processus d’adhésion stoppé net, l’UE y voyant la main de Moscou.
L’Ukraine est un autre bon exemple de l’interférence européenne à grand coup d’aides massives sous couvert de bonnes intentions – lutte contre la corruption, pas vraiment probante. En juin 2022, outre le statut de candidat à l’adhésion, Kiev avait obtenu l’engagement de 50 milliards d’euros. Les élections législatives anticipées, qui seront finalement reportées, devaient avoir lieu en juillet 2023.
Il y a aussi l’Albanie où l’ouverture des négociations à l’adhésion en 2024 a été accompagnée d’un plan de financement d’un milliard d’euros. Quelques mois plus tard, en mai 2025, les élections parlementaires ont consacré la victoire et donc le maintien du Parti socialiste au pouvoir, sur fond de soupçons d’achat de votes et d’abus de ressources publiques. Ce n’est pas la première fois que de telles accusations sont portées. En mai 2021, une enquête du média d’investigation BIRN avait soutenu que la police avait choisi d’ignorer les preuves d’achats de votes par le Parti socialiste.
La stratégie européenne n’a par contre pas atteint son but dans les Balkans où la Macédoine du Nord et la Serbie font de la résistance. Le mode opératoire était pourtant le même. En même temps que s’engager à des avancées sur son adhésion à l’UE, la Macédoine du Nord avait obtenu un chèque de 500 millions d’euros. C’était en février 2024, deux mois avant les élections présidentielles et législatives. La magie de l’UE n’a pour autant pas opéré, les partis nationalistes et eurosceptiques emportant les élections. En Serbie, les 1,5 milliard annoncés deux mois avant les élections législatives en 2023 n’ont pas plus permis de faire pencher la balance.
“Il y a environ un an, alors que j’étais bloqué à Paris, les services de renseignement français m’ont contacté par un intermédiaire, me demandant d’aider le gouvernement moldave à censurer certaines chaînes Telegram avant les élections présidentielles en Moldavie. Après avoir examiné les chaînes signalées par les autorités françaises (et moldaves), nous en avons identifié quelques-unes qui enfreignaient clairement nos règles et les avons supprimées. L’intermédiaire m’a ensuite informé qu’en échange de cette coopération, les services de renseignements français diraient du bien de moi au juge qui avait ordonné mon arrestation en août dernier. C’était inacceptable à plusieurs niveaux. Si l’agence avait effectivement contacté le juge, cela constituait une tentative d’ingérence dans le processus judiciaire. Si elle ne l’avait pas fait, et avait simplement prétendu l’avoir fait, elle exploitait alors ma situation juridique en France pour influencer l’évolution politique en Europe de l’Est – une pratique que nous avons également observée en Roumanie
Peu après, l’équipe Telegram a reçu une deuxième liste de chaînes moldaves dites « problématiques ». Contrairement à la première, la quasi-totalité de ces chaînes étaient légitimes et pleinement conformes à nos règles. Leur seul point commun était d’exprimer des positions politiques désapprouvées par les gouvernements français et moldave. Nous avons refusé de donner suite à cette demande. Telegram s’engage à respecter la liberté d’expression et ne supprimera aucun contenu pour des raisons politiques. Je continuerai à dénoncer toute tentative de pression visant à censurer Telegram”.
Dans son livre La mission - L’enquête choc sur la CIA.