[ La machine de propagande de l'UE ] De la promotion des "valeurs" à la propagande pro-UE
Pour le journaliste Italien Thomas Fazi, la Commission européenne s'ingénie à brouiller la frontière entre promotion des "valeurs" et propagande pro-UE. Exemples à l'appui.
Lutte contre les discours euro-sceptiques, lutte contre la désinformation… tout porte à croire au travers des projets financés par la Commission européenne, et notamment dans les pays d’Europe centrale et orientale, manifestement le plus réfractaires aux “idéaux” des institutions européennes qu’il n’existe d’autre voie que la sienne : celle d’une UE intégrée et élargie, voire menant au fédéralisme, sans autre alternative possible.
Quatrième volet du rapport “La machine de propagande de l’UE” rédigé par Thomas Fazi et publié par le MCC Brussels (traduit en français par L’Eclaireur avec l’autorisation de leurs auteurs ).
Premier volet : La machine de propagande de l’UE [ Intro ]
Deuxième volet : [ La machine de propagande de l'UE ] Les sables mouvants du pouvoir budgétaire
Troisième volet : [ La machine de propagande de l'UE ] Le budget, outil de l'impérialisme culturel
Il existe une contradiction encore plus flagrante au cœur de la politique “axée sur les valeurs” de l'UE : la façon dont la promotion des prétendues valeurs européennes est souvent confondue avec la promotion du projet européen lui-même.
Le programme CERV (Citoyens, Egalités, Droits, Valeurs) ne cache pas que ses objectifs incluent le “renforcement de la dimension européenne” et le “renforcement de la confiance du public dans l'UE”. Le CERV poursuit ces objectifs en finançant des projets tiers (ONG, municipalités, groupes de réflexion et institutions universitaires) visant à renforcer le discours pro-UE et à contrer ouvertement les opinions eurosceptiques – une approche que l'on peut qualifier de propagande par procuration, contrairement aux campagnes de promotion officielles de l'UE.
Un examen plus approfondi de certains des projets soutenus par le CERV révèle l'ampleur de cette pratique. En voici quelques exemples :
RevivEU- Projet mené par divers groupes de réflexion européens, visant à “combattre les discours eurosceptiques émergents, déjà véhiculés par les élites autocratiques” et à “faire renaitre l'attrait de l'UE auprès des citoyens du V4 (groupe de Visegrad, Hongrie, la Pologne, la Tchéquie et la Slovaquie)”. Budget : 645 000 € (2023-2024) 1.
Valeur pour la citoyenneté européenne (Value for EU Citizenship) - Projet mené par la municipalité portugaise de Vila de Rei pour “rapprocher l'Union européenne de ses citoyens, notamment en les sensibilisant à la manière dont l'Union européenne a apporté paix, stabilité et unité”. Budget : 8 500 € (2024) 2.
Blue4EU - Projet coordonné par l'Université Babeș-Bolyai en Roumanie et visant à “renforcer l'esprit critique et la résilience des jeunes face aux mouvements extrémistes et anti-UE actuels” et à les inciter à s'engager pour un avenir européen. Budget : 375 300 € (2024-2026) 3.
Pas à pas vers l'intégration européenne ! (Step by step towards European integration !) - Projet coordonné par la municipalité slovaque de Zvončín, en coopération avec d'autres municipalités d'Europe de l'Est, visant à “renforcer le sentiment d'appartenance à l'UE”. Budget : 23 500 € (2022-2023) 4.
EU TURN 2025 - Projet mené par l'Académie européenne de Berlin visant à “dénationaliser l'engagement européen”. Budget : 415 000 € (2025) 5.
Hold on to Europe - Projet coordonné par la municipalité tchèque de Ratíškovice en coopération avec d'autres municipalités de France (Vouziers dans les Ardennes), de Slovaquie et de Croatie, visant à “susciter l'intérêt des citoyens pour l'Europe (l'UE) et leur faire prendre conscience de la nécessité d'une intégration plus poussée dans l'UE”. Budget : 27 500 € (2023) 6.
Plateforme de lutte contre l'euroscepticisme - Projet mené par plusieurs municipalités de Roumanie, de Serbie, de Pologne, de Tchéquie et de Slovaquie pour lutter contre l'euroscepticisme. Budget : 21 000 € (2022) 7.
Jeunesse solidaire - Projet coordonné par l'ONG grecque Youthability en coopération avec des partenaires de quatre autres pays, visant notamment à “dénoncer l'euroscepticisme”. Budget : 50 700 € (2024-2025) 8.
New Story for Europe - Projet mené par des organisations et des municipalités slovaques et tchèques visant à “montrer que l'Union européenne est une association solide où se développent la démocratie, la tolérance, la solidarité et la citoyenneté européenne commune”. Budget : 30 000 € (2022) 9.
Il existe des centaines de projets comme ceux-ci. Fait révélateur, plusieurs visent explicitement à “contrer la désinformation”, un terme large et souvent ambigu que les gouvernements ont de plus en plus utilisé ces dernières années pour réprimer les critiques légitimes des politiques ou les points de vue divergents – en l'occurrence ceux dirigés contre l'UE. Cette confusion entre informations factuellement fausses et points de vue critiques se reflète clairement dans la manière dont nombre de ces projets sont formulés.
Par exemple, en 2024, plusieurs ONG et groupes de réflexion en Roumanie, en Bulgarie et en Italie – dont la section roumaine de l’organisation à but non lucratif Freedom House, basée aux États-Unis – ont reçu 270 000 € pour un projet intitulé Qui et comment ? Contrer la désinformation qui éloigne les citoyens du projet européen10. Ce projet visait à “identifier, cartographier et exposer les thèmes, discours, acteurs et vecteurs qui promeuvent et véhiculent des messages visant à saper la confiance des citoyens dans les politiques de l’UE”. L’implication est sans équivoque : tout “message” qui diminue la confiance dans l’UE est, par définition, qualifié de “désinformation”.
Un autre projet, Communautés européennes contre la désinformation, a reçu 160 000 € (pour 2025) pour “surveiller la bonne circulation des informations sur l’Union européenne et les questions qui la concernent”, partant du principe que “la citoyenneté européenne ne peut être promue qu’en préservant l’accès à des informations fiables” 11. Une fois de plus, l’accent semble moins mis sur la lutte contre les purs mensonges que sur la garantie d’une diffusion “correcte” d’informations “fiables” – vraisemblablement des informations provenant de sources pro-UE ou de l’UE elle-même.
Au total, le programme CERV a jusqu'à présent soutenu au moins une douzaine de projets de ce type à travers l'UE, avec des intitulés tels que L'Europe contre les fausses nouvelles 12, FakeNewsBusters 13 et La démocratie contre la désinformation 14 dont beaucoup sont toujours en cours, pour un coût total pour les contribuables de près d'un million d'euros.
L'examen du budget 2025 de l'UE 15 apporte une preuve supplémentaire de son instrumentalisation, avec plusieurs initiatives visant spécifiquement à influencer l'opinion publique et à surveiller le discours politique. La dotation du volet “Culture, créativité et société inclusive” comprend des crédits destinés à “renforcer les valeurs démocratiques, notamment l'état de droit et les droits fondamentaux” en “promouvant les transformations socio-économiques qui contribuent à l'inclusion et à la croissance, y compris la gestion des migrations et l'intégration des migrants” 16.
Bien que ces objectifs semblent neutres, ils impliquent d'adapter les politiques à un programme privilégié par l'UE, qui est de plus en plus en désaccord avec les opinions de nombreux citoyens européens qui expriment des inquiétudes sur des questions telles que l'immigration. Plus préoccupantes sont les initiatives spécifiques visant à manipuler le débat public et à contrôler le flux d'informations. Parmi les “actions préparatoires” prévues par le budget, on peut citer :
Construire un espace de confiance sur les réseaux sociaux : contrer la désinformation sur les réseaux sociaux pour les jeunes Européens - Cette initiative vise à créer des espaces de médias sociaux où les jeunes peuvent “partager un sentiment d’appartenance, reflété par une culture commune, un mode de vie similaire et des valeurs partagées”, répondant ainsi à “l’intensité croissante de la désinformation visant à créer des divisions parmi les jeunes Européens”.
L’hypothèse sous-jacente semble être que les jeunes sont incapables de faire la distinction entre une information fiable et une “désinformation”, et ont donc besoin que l’UE les “guide” vers une “véritable” perception de “l'identité européenne”. Le projet consistera à produire des “récits qui abordent de manière créative des sujets qui intéressent les jeunes Européens” et à les rendre “attrayants et attrayants pour le groupe cible”.
En d'autres termes, l'UE souhaite créer ses propres “récits” et “contenus” spécifiquement conçus pour être attrayants et captivants pour les jeunes, afin de façonner leur vision de l'UE et de les convaincre des avantages de l'intégration européenne. Il s'agit d'une campagne de propagande explicite ciblant les jeunes, déguisée en projet légitime de lutte contre la désinformation.
Portail européen d'actualités télévisées et vidéo destiné aux citoyens - Cette action vise à créer une plateforme d'actualités et d'informations “approuvée par l'UE” en développant une fonction de recherche non discriminatoire utilisant des algorithmes qui placent l'intérêt public au cœur de leurs préoccupations. Elle prévoit également le développement de systèmes de traduction hautement transparents afin de garantir la confiance dans le contenu. Ce projet semble, une fois de plus, viser non seulement à fournir des informations, mais aussi à façonner le discours public. En prédéterminant le type de contenu considéré comme “fiable” et “conforme à l'intérêt public”, l'UE contrôlera de fait le type d'informations auxquelles les citoyens européens seront exposés.
Mais la proposition la plus inquiétante du budget 2025 est probablement le projet pilote intitulé :
Promouvoir la cohésion sociale face à un discours public polarisé ? Ce projet vise à “cartographier le discours actuel de l’opinion publique sur les réseaux sociaux autour de questions politiques importantes” en “vérifiant le langage utilisé par les élus”. Cela implique d’analyser l’activité des élus sur les réseaux sociaux, ainsi que les commentaires et réponses qu’ils produisent et reçoivent dans les médias grand public 17.
Il s'agit d'une forme de surveillance inacceptable, qui risque de nuire à la liberté d'expression en transformant les citoyens en observateurs des activités de leurs élus sur les réseaux sociaux.
Ce projet repose sur une profonde méconnaissance du rôle des réseaux sociaux en tant qu'espace public où les citoyens s'engagent librement et sans entrave dans des discussions souvent émotionnelles et controversées. En présentant les expressions légitimes de mécontentement et d'opposition comme des menaces à la “cohésion sociale”, l'UE créé un instrument pour cibler les voix dissidentes et présenter les préoccupations légitimes concernant ses politiques comme de la “désinformation”.
Cette approche s'inscrit toutefois dans la stratégie plus large de l'UE, qui consiste à utiliser son budget pour faire respecter ses valeurs et promouvoir l'idée d'intégration supranationale, même au détriment de la souveraineté nationale et du pluralisme démocratique.
Comme le montre clairement ce bref aperçu, loin d'être exhaustif, la Commission européenne dépense des sommes considérables provenant des contribuables, versés par les États membres au budget de l'UE, non seulement pour défendre sa propre interprétation des valeurs déclarées de l'UE, mais aussi pour se livrer à une propagande pro-UE ouvertement intéressée. Elle le fait en promouvant des projets qui s'alignent sur son propre programme d'intégration européenne, tout en marginalisant ou en discréditant les critiques des politiques et des structures de l'UE, souvent sous couvert de “lutte contre la désinformation”.
A suivre : le budget de l’UE, un levier pour l’UE
Commission européenne, Bruised but not broken: reviving the appeal of the EU in the minds of V4 citizens (RevivEU), EU Funding & Tenders Portal, tinyurl.com
Commission européenne, Values for EU Citizenship (V4EUC), EU Funding & Tenders Portal, tinyurl.com
Commission européenne, Engaging Young People with the Past to Commit to a European Future (Blue4EU), EU Funding & Tenders Portal, tinyurl.com
Commission européenne, Step by step towards European integration!, EU Funding & Tenders Portal, tinyurl.com
European Commission, EUrope on Track – Uniting, Raising and De-Nationalising Europe-an Engagement 2025 (EU TURN 2025), EU Funding & Tenders Portal , tinyurl.com
Commission européenne, Hold on to Europe, EU Funding & Tenders Portal tinyurl.com
Commission européenne, Platform for challenging Euroscepticism, EU Funding & Tenders Portal, tinyurl.com
Commission européenne, Youth Embracing Togetherness , EU Funding & Tenders Portal, tinyurl.com
Commission européenne, New Story for Europe, EU Funding & Tenders Portal, tinyurl.com
Commission européenne, Whos and hows: countering disinformation that pushes citizens away from the European project, EU Funding & Tenders Portal, tinyurl.com
Commission européenne, European Communities Against Disinformation, EU Funding & Tenders Portal, tinyurl.com
Commission européenne, European Against Fake News, EU Funding & Tenders Portal, tinyurl.com
European Commission, European Practices of Active Engagement in the Battle against Disinformation, EU Funding & Tenders Portal, tinyurl.com
Commission européenne, Democracy over Disinformation, EU Funding & Tenders Portal, tinyurl.com
Conseil de l’UE Joint text on the general budget of the European Union for the financial year 2025: Figures by budget line – Other Sections europa.eu
Commission européenne, ‘DRAFT: The Union’s annual budget for the 2025 financial year’, 12 July 2024, eur-lex.europa.eu
Conseil de l’UE, ‘Joint text on the general budget of the European Union for the financial year 2025’, 21 November 2024, page 111, data.consilium. europa.eu