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L'hôpital perd le Nord

Dans les hôpitaux, des médecins sont ambassadeurs de la transition écologique ou sollicités pour travailler sur le changement climatique. Enième avatar d'un système de santé laissé à la dérive.

Un hôpital vous l’imaginez comme un lieu où on soigne les gens. Voire où on forme les futurs médecins dans le cas d’un CHU. En fait non… Un hôpital c’est parfois bien plus que cela. A Grenoble, on y fait tout un tas de choses qui n’ont rien à voir avec la santé. On peut, tout en étant médecin ou infirmier, prendre part à toutes sortes d’ateliers, estampillés développement durable par exemple. Depuis 2021, un comité de pilotage, un Copil pour les initiés, réunit direction, soignants, médecins, services techniques et logistiques pour plancher sur la transition écologique.

En fait, rien de très extraordinaire. Il s’agit là de la déclinaison dans les territoires d’une politique nationale, elle-même déclinée de l’OMS. Mais force est de reconnaitre qu’à Grenoble, tout à la fois territoire écolo et laboratoire d’expérimentations en tous genres, le CHU y met du sien.

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Depuis 2021, tout ce petit monde, des volontaires parfois sacrés “ambassadeurs de la transition écologique”, est prié de phosphorer sur huit thématiques. C’est le management horizontal. Cela va de la législation à la communication en passant par les achats, la nutrition et donc le gaspillage alimentaire, les mobilités ou la maitrise de l’énergie et jusqu’à la… lutte contre les discriminations.

Sur ce dernier point, on a cru que l’on séchait (qu’ont à voir les discriminations avec la transition écologique ?) jusqu’à ce que l’on tombe sur cette publication de l’Ademe – oui celle qui vous dit comment laver vos vêtements. Non content de faire fondre nos glaciers et assécher nos rivières, le changement climatique participe selon l’agence à amplifier les discriminations de genre. Pour résumer, les femmes y sont plus vulnérables que les hommes. On vous laisse le soin de lire tout cela ici.

En septembre 2024, tout ce travail a été porté sur la place publique. Le public a pu, entre deux manifestations du personnel qui crie au manque de moyens et à la fermeture de lits (quand il a encore le temps et l’énergie de le faire), découvrir quel était son bilan carbone, comment il pouvait faire des économies d’énergie, manger végétarien ou laver des couches. Que cela n’a pas grand-chose à voir avec la mission de l’hôpital, c’est à dire soigner, n’a visiblement pas effleuré grand-monde. Que celui puise dans les dernières ressources qui tiennent encore le coup dans des services exsangues et dans un hôpital aux finances en lambeaux1 importe peu.

Un mois auparavant, un médecin tirait une énième fois la sonnette d’alarme sur l’antenne de France Bleu. “Les délais d'attente ont encore augmenté de 40 minutes, c'est la honte", s’époumonait Cyrille Venet, médecin anesthésiste à l’hôpital de Voiron, établissement rattaché au CHU.

Un “exemple” que ce nouvel hôpital de Voiron. Flambant neuf (c’est un fait), précurseur (il devait “partager” son plateau technique avec la clinique, échec, la moitié des blocs sont donc inutilisés). Et É-CO-LOGIQUE. Avec haies champêtres, plantations d’arbres morts (sic), mares, hôtels à insectes et images nature dans les chambres. Las, deux mois après sa mise en service en septembre 2021, le nouvel hôpital actait la fermeture de ses urgences la nuit. Depuis, le personnel tente du mieux qu’il peut de maintenir le service à flot2.

On en est là. Aujourd’hui, 138 emplois ne sont pas pourvus au CHU de Grenoble. Les urgences croulent sous les patients, qui attendent souvent des jours avant d’être pris en charge. Y croiser un médecin relève parfois de la gageure. L’une d’entre eux reconnait garder “toujours en tête qu’on ne pourra pas prendre en charge tous les patients". Garder aussi en tête ce qu’escomptait expérimenter (au CHU de Grenoble notamment) Olivier Véran pour “alléger” les urgences : le forfait de réorientation hospitalière qui prévoyait de payer l’hôpital à chaque patient pas pris en charge mais réaiguillonné ailleurs (où ? ça par contre…)

Il n’y a plus de personnels dans les hôpitaux. Il n’y a plus d’argent pour les hôpitaux, dont le déficit atteint des sommets. Qu’importe. Après la transition écologique, le personnel est prié de phosphorer sur l’adaptation au changement climatique. L’année dernière (en juin exactement), l’hôpital de Grenoble a été mis dans la boucle d’un programme européen visant à transformer les systèmes de santé pour qu’ils s’adaptent aux défis posés par le réchauffement dans les régions de montagne.

C’est le projet Mountadapt dont personne n’a entendu parler alors que plusieurs millions d’euros de la Commission européenne (4 ? 6 ? 10 millions ?) lui sont consacrés. Entendons-nous bien, on n’a rien contre le fait de vouloir anticiper de telles évolutions, climatiques ou sanitaires. Mais il est pour le moins étonnant et incongru de compter mettre en place de nouveaux outils, des formations, voire des prises en charge face à de nouveaux et moins nouveaux maux (canicules, maladies infectieuses émergentes, chocs traumatiques, etc) sur… des décombres.

Il est pour le moins incongru de lire, parmi les objectifs de Mountadapt, qu’il s’agira de “renforcer la réactivité du système de santé dans le contexte du changement climatique” alors que ce système de santé n’a visiblement plus de marges de manœuvre pour pouvoir réagir. Incongru de solliciter encore le personnel, et notamment les médecins, pour travailler à la mise en place de formations. Entre deux patients qui s’entassent dans les couloirs ?

Business as usual ?

C’est ce complet décalage avec la réalité, qui n’est pas celle du changement climatique, qui interroge. Sur le sens des priorités et sur un agenda européen qui contre vents et marées continue de pousser certaines politiques qui ne font pas preuve d’un réel intérêt ou d’une certaine efficacité – voir l’exemple des giga-factory de batteries et des voitures électriques ou celui de l’hydrogène vert – non content d’être dénuées d’étude d’impact qui permette de les évaluer dans un environnement plus large que leur pré-carré.

Ce subventionnement massif, qui semble aussi peu réfléchi que contrôlé, attire tout un tas d’acteurs, à des fins souvent strictement commerciales.

Car Mountadapt n’a pas seulement intégré des instituts de recherche, des hôpitaux ou des universités dans la boucle. Le projet s’appuie aussi sur des “solution providers”, des fournisseurs de solutions. Comme Floralis à Grenoble, la filiale ès valorisation de l’université qui en cinq ans et forte de tout un tas de chargés d’affaire a incubé plus de cent cinquante start’up à grands coups d’argent public. Certaines même ne vivent que de ça.

Comme Suez. Qui a d’ores et déjà prévu, grâce à Mountadapt, de développer et tester sa solution de contrôle de la qualité de l’air en temps réel, promise pour être un énième gadget qui ne va pas venir régler la question de fond (la pollution). Comme elle ne règlera pas l’autre question : celle de savoir ce que l’on fait de nos hôpitaux.

1

Voir l’avis du comité d’alerte sur l’évolution des dépenses d’assurance maladie. Extrait : “Selon l’estimation du ministère de la santé, il [le déficit des hôpitaux publics] pourrait quasiment doubler par rapport à 2022 (il avait alors atteint 1,0 Md€). Les résultats financiers des établissements publics de santé se dégradent malgré la hausse des dotations qui leur sont versées”.

2

Les urgences de Voiron sont ouvertes deux nuits par semaine, les lundis et jeudis, et ce malgré le départ de huit internes en novembre dernier, moyennant la mobilisation de soignants pris sur d’autres services.

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