[ La machine de propagande de l'UE ] Le budget, un levier puissant
Les organisations pro-UE sont largement sur-représentées parmi les projets financés par l'Union européenne. Et parfois très largement abondées.
Sans surprise, les organisations europhiles sont largement sur-représentées parmi les projets financés par l'Union européenne. Sans surprise car on voit mal la Commission européenne se tirer une balle dans le pied… Mais en amplifiant les voix et les points de vue pro-UE alignés sur son programme intégrationniste, Bruxelles finance en sous-main le plaidoyer politique en faveur de son projet d'intégration supranationale approfondie, conduisant à perpétuer (ou à essayer de perpétuer) une vision qui non seulement ne fait pas l'unanimité en Europe, mais est de plus en plus contestée par les citoyens européens, explique Thomas Fazi dans ce quatrième volet.
Premier volet : La machine de propagande de l’UE [ Intro ]
Deuxième volet : [ La machine de propagande de l'UE ] Les sables mouvants du pouvoir budgétaire
Troisième volet : [ La machine de propagande de l'UE ] Le budget, outil de l'impérialisme culturel
Quatrième volet : [ La machine de propagande de l'UE ] De la promotion des "valeurs" à la propagande pro-UE
Au vu de ce qui a été présenté dans les précédents volets, il n'est pas surprenant de découvrir que certaines des organisations les plus généreusement financées par la Commission européenne s'engagent ouvertement en faveur d'une plus grande intégration européenne ou du fédéralisme.
Ainsi peut-on citer parmi les principaux exemples :
• Union des fédéralistes européens (UEF) - L'UEF est une ONG paneuropéenne qui milite pour la création d'un État fédéral européen. Dotée de 2,5 millions d'euros sur la période 2014-2025 1, ses activités ne sont pas simplement éducatives, mais servent également de plaidoyer direct en faveur du fédéralisme.
• Jeunes Européens Fédéralistes (JEF) - En tant qu'aile jeunesse de l'UEF, la JEF, à travers ses différentes sections nationales, a reçu 3,6 millions d'euros sur la même période et a participé à des projets financés par l'UE pour un montant total de près de 10 millions d'euros afin de mobiliser les jeunes Européens en faveur du fédéralisme 2. En se concentrant sur les jeunes générations, les JEF cherchent à façonner les attitudes politiques futures en faveur d'une plus grande intégration, un objectif clairement aligné sur le discours général de la Commission européenne.
• Mouvement Européen International (MEI) - Le MEI, présidé par Guy Verhofstadt, éminent homme politique pro-UE, a reçu 6,3 millions d'euros répartis entre ses différentes sections nationales grâce à sa participation à des projets à orientation fédéraliste, pour un montant total de plus de 15 millions d'euros 3. Avec sa mission explicite de “promouvoir l'intégration européenne” et de “contribuer à l'établissement d'une Europe unie et fédérale”, cette organisation fonctionne comme un groupe de pression défendant des politiques conformes à la vision de la Commission d'une unité renforcée et d'une gouvernance centralisée.
• Amis de l'Europe - Ce groupe de réflexion a reçu 8,4 millions d’euros sur la période 2014-2025 et a été impliqué dans des projets de l’UE d’un montant de plus de 15 millions d’euros. Ce montant comprenait 350 000 euros pour un projet unique visant à renforcer la visibilité des “valeurs et opportunités” de l'UE aux niveaux local et national 4. En faisant la promotion de manière active du discours de l'UE dans diverses régions, le projet illustre les efforts de la Commission européenne pour influencer l'opinion publique en faveur des politiques et priorités de l'Union.
• Forum européen de la jeunesse - L'organisation bruxelloise, qui se targue d'être “la plus grande plateforme régionale de jeunesse au monde”, affirme que l'un de ses principaux objectifs est de “travailler à l'approfondissement de l'intégration européenne”. Elle a reçu 30,7 millions d'euros depuis 2014 5.
• Fondation Robert Schuman et Centre européen Robert Schuman - La fondation, un groupe de réflexion français pro-UE lié au Parti populaire européen (PPE), ainsi que son émanation, le Centre européen Robert Schuman, ont reçu près de 8 millions d'euros de 2014 à 2025 6. Ce montant comprend 1,2 million d'euros pour lutter contre la “mythologie eurosceptique et national-populiste” et 1,6 million d'euros pour des actions de lobbying régulières dans le cadre du projet “Pour l'Europe” sur la période 2022-2025.
• Centre de politique européenne (EPC) - Ce groupe de réflexion belge dédié à la promotion de l'intégration européenne a reçu 5,5 millions d'euros au cours de la dernière décennie et a participé à près de 30 millions d'euros de projets européens. Son engagement s’inscrit directement dans les priorités de la Commission européenne, illustrant ainsi la manière dont les fonds publics sont canalisés vers les organisations promouvant les politiques intégrationnistes.
• Institut für Europäische Politik (IEP) - Le groupe de réflexion allemand, affilié au Mouvement européen allemand pro-UE, a obtenu environ 2,8 millions d'euros au cours de la même période tout en participant à des projets financés par l'UE pour un total de près de 15 millions d'euros7. Ses projets contribuent à ancrer les perspectives intégrationnistes dans le discours politique allemand.
• Conseil européen des relations étrangères (ECFR) - Comme le mentionne son site web, le Conseil européen des relations étrangères a été lancé en 2007 “pour promouvoir une politique étrangère européenne plus intégrée en soutien aux intérêts et valeurs européens partagés”. Il a reçu près d'un million d'euros en seulement deux ans, entre 2022 et 2023 (sur des projets d'une valeur de 6 millions d'euros), ainsi que des financements de plusieurs gouvernements de l'UE, du gouvernement américain et de nombreuses fondations telles que l'Open Society Foundations et la Fondation Bill & Melinda Gates.
• Centre d'études des politiques européennes (CEPS) - Depuis sa création en 1983, ce célèbre groupe de réflexion basé à Bruxelles a constamment plaidé en faveur d'une plus grande intégration européenne. Il a reçu 25 millions d’euros au cours des dix dernières années, mais a été impliquée dans des projets qui ont collectivement reçu près de 250 millions d’euros de financement de l’UE8. Il va sans dire que ses rapports soutiennent vivement les politiques de la Commission européenne. Le premier directeur du CEPS, Peter Ludlow, l'a décrit comme ‘un élément du processus politique bruxellois”.
Cette liste est loin d'être exhaustive. Il existe des centaines de groupes pro-UE similaires, tous susceptibles de bénéficier de financements européens. Ceux mentionnés ci-dessus sont tout simplement les plus importants et les plus connus. Le soutien financier substantiel accordé à ces organisations (et à bien d'autres similaires) – non seulement par le biais du CERV, mais aussi d'autres programmes comme Horizon Europe – souligne comment la Commission européenne, sous couvert de promouvoir les “valeurs de l'UE” utilise en réalité le budget de l'UE pour promouvoir ses propres politiques et objectifs politiques, justifiant ainsi sa propre existence.
Plus précisément, en amplifiant les voix et les points de vue pro-UE alignés sur son programme intégrationniste, la Commission européenne finance en sous-main le plaidoyer politique – ou plus simplement la propagande – en faveur de son projet d'intégration supranationale approfondie. Cette vision non seulement ne fait pas l'unanimité en Europe, mais est de plus en plus contestée par les citoyens européens.
Tout ceci reflète la tendance générale de la Commission à utiliser les ressources publiques pour ancrer le sentiment pro-UE et faire la promotion des discours libéraux-progressistes, tout en étouffant ou en discréditant ouvertement les perspectives alternatives.
De fait, les organisations eurocritiques ou conservatrices sont largement sous-représentées parmi les projets financés par l'UE, même si elles reflètent les opinions d'une part substantielle de la population européenne. À l'inverse, “[il] est difficile de trouver des organisations bénéficiant d'un soutien financier de l'UE dont les activités ne visent pas à soutenir une coopération européenne croissante”, comme l'ont souligné deux chercheurs 9. Tout comme il est difficile de trouver des groupes de pression résolument pro-intégrationnistes qui n'ont pas reçu de financement de l'UE.
Ce que nous avons abordé jusqu'à présent ne représente que la partie émergée de l'iceberg de l'immense machine de propagande de la Commission européenne. Dresser une liste exhaustive de toutes les campagnes, projets et organisations financés par la Commission dans le seul but de promouvoir le projet européen est pratiquement impossible, compte tenu du peu d'accès aux données, de l'ampleur des financements et de leur répartition sur de multiples lignes budgétaires et programmes (parfois transversaux).
Outre le CERV, il existe Erasmus+ (qui comprend d'innombrables programmes pro-UE ciblant les enseignants et les étudiants), Horizon Europe, les activités officielles de communication et de sensibilisation (qui relèvent généralement de la rubrique Administration publique européenne), ainsi que des sous-programmes dédiés à des politiques spécifiques (tels que Ressources naturelles et environnement ou Marché unique, innovation et numérique).
Pour la même raison, il est pratiquement impossible de déterminer le montant exact du budget de propagande de l'UE, d'autant plus qu'il est souvent impossible de savoir exactement combien d'argent est dépensé (voir ci-dessous pour en savoir plus sur ce manque de transparence). Cependant, si l'on prend en compte les campagnes de communication officielles d'autopromotion ainsi que les efforts de propagande “cachés”(financement de tiers pour promouvoir l'UE au nom de la Commission), le coût total pourrait s'élever à plusieurs centaines de millions d'euros par an 10.
Selon le Système de transparence financière de l'UE, la Commission européenne a dépensé plus de 1,8 milliard d'euros en “communication et publications” au cours de la seule dernière décennie. La frontière entre propagande officielle et propagande cachée n'est pas toujours aisée à distinguer. La plupart des fonds en question, par exemple, ont été versés à des agences de marketing et de relations publiques telles qu'ICF Next (92 millions d'euros) et GOPA Com. (85 millions d'euros), Kantar (80 millions d'euros), Scholz & Friends (79 millions d'euros) et Havas (76 millions d'euros).
Il semblerait qu'une partie au moins de ces fonds ait été utilisée pour des opérations de propagande grise. Le journal italien Il Fatto Quotidiano a par exemple révélé que les 130 millions d'euros alloués à l'agence de publicité privée Havas ont ensuite été sous-attribués à divers médias européens à l'approche des élections européennes de 2024, vraisemblablement pour promouvoir les partis et les discours pro-UE traditionnels 11.
A lire à ce sujet : Scandale USAID : soon in Europe ?
Dans certains cas, des médias ont été payés directement par la Commission européenne pour couvrir les élections européennes 12, une forme de publicité cachée. Et qu'en est-il des médias qui reçoivent un financement régulier de la Commission ? Au cours de la dernière décennie, la Commission européenne a par exemple versé près d'un quart de milliard d'euros au réseau d'information paneuropéen Euronews, soit une moyenne de 23 millions d'euros par an 13. Bien que ce réseau se décrive comme “résolument impartiale et indépendante”, on ne peut s'empêcher de se demander si, et dans quelle mesure, ce financement a influencé sa ligne éditoriale, qui semble souvent étroitement alignée sur les discours dominants émanant de Bruxelles.
On pourrait se poser la même question à propos de nombreuses autres entreprises de presse financées par la Commission européenne, telles que Thomson Reuters, The Guardian et bien d'autres. Répondre à ces questions dépasse toutefois le cadre de cette étude. Celle-ci se concentre exclusivement sur les activités pouvant légitimement être qualifiées de propagande par procuration – une pratique qui constitue indéniablement un détournement flagrant de fonds publics. De plus, elle est profondément antidémocratique. Comme l'ont souligné deux chercheurs :
“Il s'agit essentiellement d'une entrave à la démocratie – une vaste campagne concertée visant à étouffer tout véritable débat sur l'avenir de l'UE. La Commission ne s'intéresse qu'à un seul point de vue : elle n'accepte un « échange de vues » que dans la mesure où celui-ci s'inscrit dans le cadre d'une acceptation du soutien généralisé à l'intégration européenne”. 14
Il est important de noter qu'au-delà de son objectif global et permanent de promouvoir une intégration plus poussée, la Commission européenne fait également appel aux ONG pour qu'elles exercent un lobbying en son nom sur des questions politiques spécifiques. Il a ainsi été récemment révélé que certaines conventions de subvention signées par la Commission imposaient aux ONG de faire pression sur les membres du Parlement européen, l'organe censé superviser la Commission, afin qu'ils exigent de la Commission elle-même des politiques “vertes” plus strictes – un exemple classique d'auto-lobbying 15.
Le financement important que la Commission européenne alloue aux groupes de réflexion sur la sécurité et la défense peut être considéré comme une autre forme d'auto-lobbying. Nombre de ces organisations promeuvent activement des discours conformes aux politiques de la Commission — comme son approche belliciste du conflit russo-ukrainien — et sont à leur tour invoquées par la Commission et les gouvernements nationaux pour justifier leurs politiques. Exemples :
• Royal United Services Institute (RUSI) et RUSI Europe : 10 millions d’euros sur la période 2014-2023 (sur un projet total de 30 millions d’euros);
• Istituto Affari Internazionali (IAI) : 9 millions d’euros sur la période 2014-2023 (sur un total de 235 millions d’euros de projets);
• EGMONT – Institut royal des relations internationales : près de 1 million d’euros sur la période 2016-2022 (sur un total de projets de plus de 20 millions d’euros);
• Dotation Carnegie pour la paix internationale : près de 1 million d’euros sur la période 2018-2021 (sur un total de 3,5 millions d’euros de projets);
• International Crisis Group : 5 millions d’euros sur la période 2016-2023 (sur un mental total de projets de 7,5 millions d’euros) 16.
A suivre : De la propagande à l'ingérence : les cas de la Pologne et de la Hongrie
EU Financial Transparency System (2014–2023); European Commission, EU Funding & Tenders Portal, tinyurl.com (2024)
EU Financial Transparency System (2014–2023); European Commission, EU Funding & Tenders Portal, tinyurl.com (2024)
EU Financial Transparency System (2014-2023); European Commission, EU Funding & Tenders Portal, tinyurl.com (2024); tinyurl.com (2024–2026)
EU Financial Transparency System (2014-2023); European Commission, EU Funding & Tenders Portal, tinyurl.com (2024); tinyurl.com (2025)
EU Financial Transparency System (2014-2023); European Commission, EU Funding & Tenders Portal, tinyurl.com (2024)
EU Financial Transparency System (2014-2023); European Commission, EU Funding & Tenders Portal, tinyurl.com (2024); tinyurl.com (2025); tinyurl.com (2024); tinyurl (2025)
EU Financial Transparency System (2014–2023); European Commission, EU Funding & Tenders Portal tinyurl.com (2024); tinyurl.com (2025)
EU Financial Transparency System (2014–2023); European Commission, Centre for European Policy Studies, EU Funding & Tenders Portal tinyurl.com
Philip Thomasson-Lerulf and Hannes Kataja, ‘The European Union’s Burden’, Timbro, July 2009 timbro.se
For example, Full Fact, ‘How much does the EU spend on promoting itself?’, 9 June 2016 fullfact.org
Il Fatto Quotidiano, ‘Ben 130 milioni dati ai media: così l’Ue ottiene buona stampa’, 11 February 2025 ilfattoquotidiano.it
Ibid.
EU Financial Transparency System (2014–2023)
Lee Rotherham and Lorraine Mullally, op.cit.
Elena Sánchez Nicolás, ‘Conflict of interest questions for MEP spearheading clampdown on NGOs’, EUobserver, 22 January 2025 euobserver.com
All figures are from the EU Financial Transparency System