Alors que les causes techniques du black-out en Espagne et au Portugal restent à ce jour indéterminées, la place prise dans la péninsule ibérique par les énergies renouvelables intermittentes est clairement au centre du jeu. Si le solaire et l’éolien ne semblent pas être à l’origine directe du délestage soudain du réseau, leur manque d’inertie les rend impropres à rééquilibrer le système. Cela devrait largement interroger les orientations de la politique énergétique en France. Ce n’est pas toujours pas le cas. Pourquoi cette obstination ? On en parle avec Gilbert Moritz.
Ingénieur de formation, Gilbert Moritz a passé trente-trois ans à la division Protection nucléaire d’EDF et a été détaché comme chef de mission en Afrique du Sud, en Chine mais aussi, six ans durant, en Allemagne. Aujourd’hui à la retraite, il a rejoint l’association Protection Nucléaire Climat - France (PNC). Pour L’Eclaireur, il revient sur la politique énergétique de la France et sur les ressorts et interférences extérieures qui viennent l’obérer. Et qui éclairent de manière crue les choix mais aussi les atermoiements des politiques publiques dans l’Hexagone.

L’Eclaireur - Que sait-on à ce jour du black-out survenu en Espagne et au Portugal ?
Gilbert Moritz - Ce genre d'incident devra être analysé très en profondeur pour savoir ce qui s'est passé exactement. On a perdu 15 gigawatts pratiquement instantanément, soit à peu près 15 réacteurs nucléaires de 1000 mégawatts. Une telle perte est énorme. Et comme le réseau est composé d’une très grosse quantité de renouvelables intermittents, il n'est pas flexible. Par conséquent, personne n'a pu compenser cette perte. L'ensemble s'est écroulé, automatiquement.
La France a d’abord importé 500 MW pour délester un peu le réseau espagnol. Et puis, il y a eu la rupture, la casse. Progressivement, grâce à la France, on a commencé à injecter 500 MW de manière à ce qu'ils puissent progressivement reconstituer leur réseau, poche par poche.
L’Eclaireur - Pour que ça tombe d'un seul coup, il a fallu une raison technique ? Ce n'est pas uniquement de la surproduction d'énergie intermittente ?
Gilbert Moritz - Non. Est-ce que ce sont des protections défaillantes qui l’ont déclenché ? Je ne saurais pas vous dire. Il y a eu quelques hypothèses un peu fantaisistes. On a même parlé d'un incendie en France. Cela devient un peu du n'importe quoi. J'ai l'impression que les pros ENR commencent déjà à préparer un peu le terrain pour essayer de se dédouaner de ces problématiques de réseau très tendu, avec beaucoup trop d'intermittence.
L’Eclaireur - Ce qu'on voit, c'est que les interconnexions frontalières fonctionnent plutôt bien, finalement. C'est une sorte de soupape…
Gilbert Moritz - Absolument, cela fonctionne bien mais jusqu'à une certaine limite, parce que ces interconnexions frontalières sont limitées en capacité également. Vous ne pouvez pas dire, “demain, j'envoie 2000 MW ou 5000 MW en Espagne”. Cela dépend du réseau qui le reçoit et cela dépend de la taille de la ligne d'interconnexion qui existe. Deux lignes d'interconnexion existent avec l'Espagne et normalement il était prévu d'en faire une troisième par le golfe de Gascogne.
L’Eclaireur - Ces décharges et surcharges se sont déjà produites avec l'Allemagne face à un afflux trop massif, ou insuffisant, d'énergie renouvelable intermittente que la France a dû rééquilibrer…
Gilbert Moritz - Presque chaque jour, RTE est obligé de regarder comment se comporte le réseau. Quand on a une possibilité d'importer, on importe. Quand on n'a pas de possibilité d'importer, les Allemands sont obligés d’écouler leur électricité ou d'arrêter des éoliennes ou de débrancher des panneaux solaires, comme c'est déjà arrivé en France aussi. Parce que là, vous touchez à la stabilité du réseau. Récemment, on a été obligé d'arrêter des parcs photovoltaïques dans le Sud-Ouest, tout simplement parce que RTE ne savait plus gérer correctement la stabilité du réseau.
Ce qui est très important, c'est la stabilité du réseau. Cela veut dire une fréquence de 50 Hz, modulo quelques petits chouïa de milli-hertz, et une tension stable. C'est quelque chose que vous n'arrivez à faire que lorsque, comme en France, vous avez beaucoup d'inertie, des groupes tournants très lourds, comme les turbo-alternateurs des centres nucléaires ou de l'hydraulique, qui permettent, en cas de petite déviation, de refaire le réglage.
L’Eclaireur - Cet incident arrive à un moment déterminant. En France, la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), très contestée, a été reportée après l'été, et en Allemagne, à la suite des élections législatives, le chancelier avait avancé que le nucléaire pourrait être relancé avec un moratoire sur le démantèlement des réacteurs. Où en est-on actuellement en Allemagne ? Et est-ce que c'est possible, techniquement, de pouvoir relancer ces réacteurs ?
Gilbert Moritz - En principe tout est toujours techniquement possible. Reste à savoir à quel coût, quel délai et en fonction de quelle stratégie politique du pays.
Il faut d’abord refaire un petit rappel historique. En juin 2000, la coalition SPD/Grünen, entre Schröder, Fischer et Trittin, promulgue la loi sur les énergies renouvelables. C’est à ce moment que débute l’Energiewende (la loi sur la transition énergétique allemande, ndlr). La promulgation de la loi “Sortie du nucléaire”, l’Atomausstieg, suivra le 22 avril 2002. Les Grünen voulaient absolument sortir du nucléaire mais le SPD n'était pas forcément contre non plus parce que cela lui permettait de faire tourner ses centrales au charbon.
Un planning officiel de fermeture des 17 réacteurs allemands est alors établi. La première centrale nucléaire, celle de Stade d’EO.n, s’arrête fin 2003 et sera suivie par toutes celles prévues dans ce planning jusqu’en décembre 2010 où un amendement à la loi permet une prolongation de respectivement 7 et 14 ans aux réacteurs mis en service avant 1981 et les plus récents.
Arrive le 11 mars 2011 et l’accident de Fukushima. On retoque la prolongation et on reprend le planning de fermeture tout en demandant à tous les réacteurs encore en service de faire les stress tests. La chancelière Angela Merkel convoque un comité d’éthique composé de scientifiques, politiques, sociologues, universitaires, ecclésiastiques… pour réfléchir à la question “Le peuple allemand veut-il encore du nucléaire ?”. Conclusion du comité : “La grande majorité des Allemands n’en veulent plus”. Angela Merkel décide donc en juin 2011 de reprendre le planning de fermeture de 2001, sauf pour certains réacteurs anciens proches de leur date fatidique qui ne redémarreront pas. Au motif de stress tests non concluants.
Seuls les trois derniers réacteurs les plus récents ont été autorisés à produire jusqu’au 15 avril 2023, alors qu’ils auraient dus être arrêtés à l’automne-hiver 2022 conformément au planning de fermeture initial.
Ces allers-retours ont très logiquement échaudés les exploitants allemands de centrale nucléaire. Ils ont néanmoins pris toutes les dispositions nécessaires pour exploiter leurs tranches nucléaires en toute sûreté et en respectant la réglementation avec le minimum d’investissement et de coût. En révisant le programme de maintenance préventive, en baissant des effectifs, en diminuant progressivement des compétences, en revoyant les contrats de sous-traitance…
Outre la volonté des exploitants de ne plus s’investir dans le nucléaire compte tenu du contexte politique anti-nucléaire, les démantèlements des centrales ont été largement entamés, surtout côté secondaire. A Phillipsburg 2, la tranche a été arrêtée en 2019, on a dynamité les aéroréfrigérants par exemple…
Relancer les tranches qui ont été les dernières arrêtées nécessite donc de reconstituer des ressources humaines et matérielles tout en ayant à l’esprit que les autorisations réglementaires prennent beaucoup de temps, comme en France.
Pour relancer le nucléaire en Allemagne, il faudrait donc trouver de nouveaux exploitants puisque les “anciens”, E.ON, RWE, Vattenfall et EnBW, ne s’y risquent plus. On a pu entendre qu’on pourrait confier la responsabilité nucléaire à l’Etat fédéral qui “sous-traiterait” à une entreprise privée. Un peu comme la gestion des déchets des stockages intermédiaires sur les sites de centrales où l’Etat Fédéral est le maître d’ouvrage et une entreprise privée le maître d’œuvre. Idée qui, me semble-t-il, n’est plus évoquée.
Par contre, la nouvelle coalition CDU/CSU et SPD a pour stratégie de se lancer dans la fusion nucléaire, quoique participant déjà à ITER. Ils ont des bons ingénieurs, des bons techniciens, pourquoi ne pas faire de la recherche dans le domaine ? Mais le nucléaire actuel tel qu'il existait, je n’y crois plus en Allemagne… Il n'y a pas non plus l'adhésion de la population.
Il faut savoir que la population allemande a été énormément travaillée par les Grünen, par les messages anti-nucléaires. Il n’y a qu’à regarder Arte… Encore récemment, dans une émission sur Tchernobyl, on vous montrait le réacteur de Tchernobyl qui explose comme une bombe… Et ils font beaucoup trop souvent le lien entre la bombe atomique et les centrales nucléaires, ce qui n'a absolument rien à voir. Mais ce sont des messages qui parlent à celui qui ne comprend pas ou qui n'est pas dans ce jeu.
L’Eclaireur - La population allemande est-elle réellement traumatisée par Tchernobyl, Fukushima ? Ou est-ce que ce sont les messages qui ont été véhiculés par l'entremise politique et médiatique qui ont donné une importance exagérée à cette crainte ?
Gilbert Moritz - L’opinion allemande a été bien “travaillée” par les Grünen anti-nucléaires patentés, avec les arguments de centrales dangereuses, les amalgames centrale-bombe, les fusées Pershing installées en RFA... Il faut également noter que ces Grünen foncièrement anti-nucléaires ont investi les différents ministères. Le ministre de l’environnement fédéral est toujours un “Vert” depuis plus de deux décennies. Quant aux agences environnementales, sans parler des différentes ONG telles que Greenpeace, les écoles et universités, elles ont également participé à ce dénigrement de l’atome. Comme chez nous d’ailleurs.
En 2006, on a “vendu” aux Allemands que le ministère de l’environnement devait aussi intégrer l’énergie. Disposition totalement illogique que nous, Français, hélas avons copié ! Les anti-nucléaires disposaient ainsi de tous les leviers pour orienter la politique énergétique allemande : développement massif des EnRs, éolien et solaire, et arrêt progressif des réacteurs nucléaires. L’arrêt des centrales au charbon devait suivre, mais les arrêter posait un problème de stabilité de réseau. On a donc arrêté les plus vieilles, généralement de faible puissance, mais celles qui auraient déjà dû être arrêtées continuent de tourner. Il n’est maintenant prévu de sortir du charbon qu’en 2038, contre 2035 initialement.
C’est aussi très “travaillé” médiatiquement. Quand j'étais en Allemagne, je regardais des débats sur le nucléaire. C'était intéressant… Vous aviez des émissions où le journaliste modérateur, “Vert”, était entouré de cinq personnes. Sur les cinq personnes invitées, quatre étaient anti-nucléaires avec des arguments classiques comme les dangers mortels du rayonnement. La cinquième était plutôt favorable au nucléaire, mais restait très prudente et évitait de prendre une position tranchée.
Quand vous formatez à ce point-là, et que les politiques reprennent le même message, il est impossible derrière d’instiller une certaine confiance dans l'esprit des gens. A l'époque – et je pense que c'est toujours un peu le cas – il y avait à peu près 30% des personnes qui étaient vraiment favorables au nucléaire. Plutôt des techniciens ou du personnel d'entreprise qui y ont travaillé. Actuellement, ce chiffre remonte à peu près vers 50 % mais les 20% de plus, c'est plutôt conjoncturel, à cause du prix de l'énergie.
Quand vous écoutez les journalistes, c'est “on ne déploie pas assez rapidement l'Energiewiende”. “On ne déploie pas assez rapidement les éoliennes”. “On ne déploie pas assez rapidement le photovoltaïque”. Ce message, vous l'avez à longueur de semaine.
Alors dire que le nucléaire commence à voir le bout de tunnel, dans le sens où il commence à être un peu relancé (soupirs)… On a beaucoup parlé d'Agnès Pannier-Runacher quand elle a négocié un peu plus de place pour le nucléaire dans la politique énergétique européenne. Mais je suis un peu sceptique quant à cette Commission européenne, quand je vois qu’on y trouve Teresa Ribeira (vice-présidente de pour une transition propre, juste et compétitive, ndlr), une socialiste espagnole qui a enclenché la sortie du nucléaire en Espagne ainsi que le danois Dan Jørgensen (anti-nucléaire, à l’énergie et au logement, ndlr).
Sans compter qu’il y a à la Commission européenne beaucoup de lobbyistes. Comme, entre autres, l’European Wind Energy Association (WEA), devenue Wind Europe, qui fait du gros lobbying auprès des députés à Bruxelles pour favoriser les éoliennes et le photovoltaïque.
Quand vous regardez le Green Deal, le Fit for 55, quand on vous parle de stratégie européenne, c'est toujours faire plus de renouvelables. Alors qu'en fait, l'objectif, c'est de décarboner. Ce n'est pas de faire de renouvelables. Je n'arrive pas à comprendre que nos députés français n'arrivent pas à taper un peu plus fort sur la table. Ça commence à arriver mais ça ne percole pas au niveau d'Ursula von der Leyen et de la Commission.
De même, quand on parle de financement, on parle de financement des renouvelables, pas de financement du nucléaire, sauf éventuellement pour les SMR. Comme tout le monde sait très bien que les SMR ne sont pas pour demain, cela ne coûte rien de dire qu'on va faire des SMR. Certes, il y a des gens qui travaillent, mais ce n'est quand même pas le même niveau que de construire un parc nucléaire.
L'Europe a aussi lancé une enquête auprès des citoyens européens sur la stratégie du nucléaire. On ne l'a pas fait pour le renouvelable.
L’Eclaireur - L’Allemagne continue-t-elle aujourd’hui de peser autant sur la politique énergétique de la France ? via l’UE ?
Gilbert Moritz - Elle pèse certainement encore sur la politique énergétique de la France, non seulement via l’UE mais aussi en direct par l’OFATE, l’Office franco-allemand pour la transition énergétique créé en 2006 lors d’un conseil des ministres franco-allemand. De droit allemand, l’office dispose de bureaux à Berlin et à Paris.
En France, ses bureaux sont logés au ministère de l’environnement. Ses influences sur la stratégie énergétique et la PPE sont donc indubitables puisque ses membres sont en contact direct avec les fonctionnaires et hauts fonctionnaires du ministère.
Il faut aussi noter l’influence des fondations allemandes telles que la fondation Heinrich Böll et la fondation Rosa Luxembourg. Ces fondations ont infiltré nos ONG anti-nucléaires et proposent des argumentations antinucléaires tout en vantant les mérites et l’efficacité de l’Energiewende. La première cible davantage les centrales et déchets et leurs prétendus dangerosités, la seconde se focalisant sur l’extraction de l’uranium (au Niger notamment dans les mines d’Areva-Orano, ndlr) et les conditions en matière de radioprotection des travailleurs dans les mines.
L’Eclaireur - Fondations qui ont des objectifs très politiques comme l’a pointé un rapport du comité d’intelligence stratégique pour la souveraineté
qui a été très peu repris dans la presse française…
Gilbert Moritz - Ces fondations sont associées à un parti politique. Heinrich Böll est financée par les Grünen qui lui allouent des missions. Heinrich Böll est une fondation qui a des ramifications dans 63 pays. Et qui a, entre autres, des bureaux dans 34 pays, dont un à Paris. Heinrich Böll se concentre plus sur le message pro-énergie intermittente, pro-renouvelable et anti-nucléaire. Et il est courant lors d’un réunion ou d’une conférence de Greenpeace ou une autre ONG anti-nucléaire de voir Heinrich Böll faire une introduction sur les bienfaits de l'Energiewiende.
La fondation Rosa Luxembourg est elle rattachée au parti politique Die Linke, un parti très à gauche. Elle s'occupe beaucoup plus de bien-être, d'éthique au niveau international. On lui a par exemple demandé de regarder ce qui se passe dans les mines d'Areva (aujourd’hui Orano) d’Arlid au Niger. Cela s’est soldé par un rapport extrêmement sévère sur la manière dont Areva traite ses salariés dans les mines d'uranium au Niger. Ce sont des messages qui sont ensuite relayés par les gens chez nous.
L’Eclaireur - Et il n'y a pas d'équivalent de fondation politique pro-nucléaire ?
Gilbert Moritz - Non. Il y a des personnes et des techniciens qui, bien entendu, essaient de passer un message. Il y avait une dame, je ne me souviens plus de son nom, qui était d'ailleurs une Grünen au début et qui maintenant milite pour le nucléaire… Mais si vous voulez militer, il faut déjà que les médias vous invitent. Si vous n'avez pas voix au chapitre dans les médias, qui sont anti-nucléaires, vous n'avez pas beaucoup de chance de pouvoir en parler.
Ce qui a néanmoins changé, c’est que notre exécutif a enfin compris que notre nucléaire civil était un atout pour la France, qu’il devait être protégé et qu’il avait un avenir certain. Il était quand même question de fermer 14 réacteurs d’ici 2035 avec comme premières victimes de cette hérésie, les deux réacteurs de Fessenheim. Le discours de Belfort en février 2022 a remis un peu les choses dans l’ordre. Mais bien que l’on a déjà adopté une loi d’accélération du nucléaire (permettant par exemple de commencer à faire des premiers travaux de génie civil à Penly), on reste pour l’instant aux intentions et on attend les actes. Le financement des six premiers EPR 2 n’est pas encore clairement établi.
Il faut toutefois noter le travail fait par deux députés européens, François Bellamy et Christophe Grudler, ainsi que l’action de notre ministre Agnès Pannier-Runacher qui a créé durant son mandat “l’Alliance du nucléaire” au niveau européen afin de contrebalancer l’influence de l’Allemagne et de ses alliés, c’est à dire l’axe Danemark-Allemagne-Luxembourg-Autriche-Italie, pays ensuite rejoints par l’Espagne et la Belgique.
La commission parlementaire “sur la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France”, présidée par le député Schellenberger et dont le rapporteur était le député Antoine Armand a également permis aux Français de voir combien notre nucléaire avait été politiquement saboté depuis des décennies.
Les auditions des responsables politiques écologistes sont particulièrement intéressantes. Si le sujet n’était pas aussi grave, je dirai même qu’elles sont parfois savoureuses. Il est dommage que les medias n’aient pas assez relayé les conclusions du rapport de cette commission.
Si dès les premières années le nucléaire a toujours été attaqué par les écologistes, les points d’orgue de l’anti-nucléarisme français ont été l’arrêt définitif de Superphénix, l’élection de François Hollande puis la fermeture de Fessenheim sous Emmanuel Macron et l’arrêt du programme Astrid.
L’Eclaireur - Comment expliquer cet enchainement dont on commence à peine à mesurer l’absurdité ?
Gilbert Moritz - Par calcul électoral.
Un deal avec EELV, négocié par Martine Aubry et Cécile Duflot, a permis à François Hollande d’accéder à la présidence de la République française pour mettre en œuvre sa promesse de campagne n° 63 qui stipulait le passage à 50% de la part du nucléaire et l’arrêt de Fessenheim durant son mandat. Il n’a jamais pu tenir sa promesse. C’est son successeur, Emmanuel Macron, élu en 2017, qui a fait arrêter définitivement les deux tranches alsaciennes, mais de manière plutôt adroite politiquement. Les pressions exercées par l’exécutif sur le PDG d’EDF ont été telles que c’est ce dernier qui a signé la lettre demandant d’autoriser la fermeture de Fessenheim. On peut appeler cela un scandale : fermer une usine qui rapporte de l’argent à son entreprise, qui plus est, une entreprise de service public.
Emmanuel Macron a fait part d’un certain culot, pour rester poli, pour se justifier d’avoir arrêté Fessenheim en affirmant d’abord que lorsqu’il était arrivé, les dés en étaient jetés… Ce qui est faux : ce qu’une loi fait, une autre peut le défaire, sans compter que l’on peut aussi légiférer par ordonnance. Puis que la “centrale n’avait plus fait de maintenance depuis cinq ans”.
En tant qu’ancien directeur de maintenance de centrale, cela m’a irrité. Comment peut-il dire ça ? Qui a pu lui souffler ça ? Tous les ans, quand on arrête nos tranches, on est obligé de faire de la maintenance préventive sur les systèmes de sûreté. Je n’ai pu m’empêcher de réagir par un article qui a été publié dans la presque quotidienne régionale.
Emmanuel Macron a fini quand même par avouer que “nous n’étions pas alignés avec les Allemands” et qu’il fallait donc fermer cette centrale ! C’est donc bien une fermeture politique initiée par une idéologie anti-nucléaire. Quant à la sûreté de la centrale, rappelons que l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) l’avait classé parmi les meilleures du parc français et qu’elle n’a jamais demandé son arrêt pour raisons de sûreté, d’environnement ou de radioprotection. On a donc “allègrement” supprimé 2200 emplois dans le bassin de Fessenheim.
Il était même question dans un premier temps de n’arrêter Fessenheim que lorsque l’EPR serait en service (compensation des 1800 MW de Fessenheim par 1650 MW de Flamanville). Eh bien non : on a arrêté Fessenheim en 2020 et l’EPR a démarré en décembre 2024 et ne produira sa pleine puissance que fin 2025.
Normalement, on aurait dû fermer Fessenheim à la fin de cette année. François De Rugy a dit “non, on ne va plus respecter cette loi, on va fermer Fessenheim tout de suite”.
L’Eclaireur - Il y a une question qui est très peu abordée aussi, c'est celle du stockage de cette électricité produite par les énergies intermittentes. On voit qu'actuellement, les capacités de stockage sont très limitées. Je ne suis pas sûr qu'on pourra arriver, en tout cas dans un avenir proche, à les agrandir de manière suffisante…
Gilbert Moritz - Elle est abordée, mais pas sous le bon angle. Là aussi, on parle toujours de période transitoire, parce qu'on va pouvoir stocker les batteries à terme, parce qu'on fait de la recherche sur les batteries… Mais cela fait longtemps qu'on en fait. Stocker des gigawatt-heure sur des batteries, c'est quelque chose qui, sur le plan financier et technique, n'est pas aisé. On parle aussi de stockage hydrogène à terme. Mais ils ne sont pas pour demain ! Le seul stockage qui est vraiment intéressant, c’est celui des step (station de transfert d’énergie par pompage, via des barrages hydrauliques, ndlr). Mais inonder des vallées ne va pas être évident avant de reconstruire des barrages comme Revin (dans les Ardennes, ndlr) qui envoient 1000 mégawatts en l'espace de cinq secondes.
Donc, on entretient un peu le flou en disant “ça va venir, ça va venir”. C'est transitoire, on étudie, il va y avoir du stockage, etc. Mais cela fait une vingtaine d'années qu'on le dit !
L’Eclaireur - Quelle est la place, selon vous, des énergies renouvelables intermittentes ? Est-ce qu'elles seront là plutôt pour pallier les pics de la demande ?
Gilbert Moritz - Je pense qu'on n'a pas réfléchi à la place qu'elles doivent avoir. Avant, on avait le nucléaire et l'hydraulique, plus un peu de charbon et de gaz pour faire les pointes. Le nucléaire et l’hydraulique étant décarbonatés, le renouvelable devait compenser ce qu'on enlevait en termes de charbon ou de gaz. Sauf que cela ne marche pas comme ça... Le charbon, on pouvait le redémarrer, le gaz aussi. Mais quand il n'y a pas de vent, pas de soleil, comment faites-vous ?
Donc, en fait, on a simplement imposé une production en disant qu'elle est décarbonée et on la met en priorité en disant qu'elle est gratuite. Ce qui est totalement faux. Qui plus est, elle ne rend aucun service système. On l'a vu en Espagne. Et on les paie même quand elles ne produisent pas. Et on va dire que c'est une énergie gratuite… Il y a une logique que je ne saisis pas.
EDF a fait des études qui concluent qu'à partir de 30 ou 40 % d'intermittents en France, on arrive à peu près à gérer correctement. Au-delà, c’est un peu plus délicat.
L’Eclaireur - Mais n’est-ce pas trop tard pour relancer le nucléaire ? Est-ce que ce n’est pas trop tard aussi pour se lancer, potentielle alternative, dans la course aux SMR (small modular reactor) quand on voit que les Américains, par exemple, ont déjà un pied en Pologne ?
Gilbert Moritz - Il n’est pas trop tard pour relancer notre nucléaire mais il faut afficher une vraie volonté politique stable ne se basant pas sur des échéances électorales qui sont bien trop court-termistes. Le nucléaire est une industrie très capitalistique et de temps long.
Nous avons encore une filière industrielle disposant de compétences, certes en quantité moindre que lors du plan Messmer. Certains secteurs sont déjà en train d’accroître ces compétences, je pense aux écoles de soudage. Les premières commandes de gros composants pour les futurs EPR 2 ont été lancées, la loi d’accélération du nucléaire a été promulguée. Les entreprises qualifiées pour travailler dans le nucléaire se sont regroupés sous l’égide du groupement des industriels français de l'énergie nucléaire (Gifen). Mais ce n’est pas suffisant car beaucoup d’entreprises sous-traitantes attendent pour embaucher et investir dans ce nouveau programme nucléaire. Il leur faut de la visibilité et nous continuons de procrastiner sur les décisions nécessaires à prendre tout en développant une filière d’EnRs intermittentes et subventionnées. Voir la PPE 3...
De même, on vient de relancer les études sur les réacteurs rapides (Astrid) mais que de temps perdu depuis 1998 avec l’arrêt de Superphénix !
Quant aux SMR, nous avons lancé en France une dizaine de start-up sur le sujet. Certaines ont des projets assez avancés. Mais la réalisation et matérialisation de leur projet n’est pas encore garanti. La problématique en ce domaine est que nos concurrents internationaux (Chine, USA, Russie…) sont déjà plus avancés. Nous restera-t-il des parts de marché à prendre sur ce créneau à l’avenir ?
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